Djenguel BA a la rancune tenace, et c’est avec une joie surprise que je découvre qu’il existe des rancunes fécondes et heureuses (...) Merci d’avoir su, ensemble, échapper aux vieux crocodiles remontés d’avant le déluge et d’avant nos vieilles peurs, et qui toutes les nuits happent des pans entiers de nos rêves.
(Ce billet est un commentaire de Tendres Souvenirs.)
Nos souvenirs sont souvent aléatoires, presque toujours labiles. Le plus difficile est de se fier à notre mémoire. Même quand elle ne s’est pas totalement évaporée, nous nous rappelons rarement avec quelle encre elle fut écrite. Le souvenir des expériences vécues et des sentiments ressentis se faufile, du passé au présent, dans les interstices des temps de notre vie, charriant un mélange inextricable d’empreintes délicates de joies et de tristesse intimement soudées, de résonnances inspirées, ironiques ou mélancoliques, de coulées de boue rance et fétide de nos petites peurs et de nos haines.
Le bonheur que procure le petit texte de Djenguel BA, c’est le miel du cœur qui en coule avec tant de naturel. Non l’oubli des petites misères du monde, mais cette incapacité, on dirait congénitale, à ne pas les reconnaître pour plus qu’elles ne sont, et à savoir transmuter le plomb de nos existences en or de la vie.
Lorsqu’on affirme que la vengeance est un plat qui se mange froid, on oublie souvent qu’elle peut –rarement, il est vrai – être un art subtil du cœur, mitonné de sentiments tendres et profonds, et nappé de cette divine ambroisie qui donne aux amitiés vraies le pouvoir de rendre le sourire à la mort elle-même. Djenguel BA a la rancune tenace, et c’est avec une joie surprise que je découvre qu’il existe des rancunes fécondes et heureuses. Et quand on est la victime d’une aussi aimable vengeance, on se doit de la déguster avec délectation. Sans aucun souci de l’exacte vérité, et seulement animée par un élan vrai du cœur, « cette grande sœur de mon fils, et qui n’est pas ma fille », ignore le pardon des paroles aimables qui ne traduisaient que l’affection et le respect qu’on ne peut que lui porter.
Mais je lui suis surtout reconnaissant pour ce touchant poème sur l’amitié et sur toutes ces merveilleuses notes qu’elle égrène en l’honneur d‘“Elle”. Une amitié à laquelle trois décennies ont donné la patine des doux plissements géologiques d’une relation infiniment humaine à l’autre, belles arabesques de rides d’une longue fidélité partagée.
Djenguel et moi comptons certainement parmi les quelques rares personnes à même d’esquisser la carte du territoire d‘“Elle”. Moi, par le disgracieux petit bout de la lorgnette qui rend sombre ce qui n’est que gris : certains défauts , les quelques faiblesses, les petites bouderies et les plages de spleen. Djenguel, pour toutes les lumières illuminant les sommets d‘“Elle” : sa morale de la vie ; ses principes tout à la fois rigides, naïfs et attendrissants, mais toujours nourris d’un pur amour de l’humain ; ses yeux et son sourire pétillants du feu de la tendresse pour ceux que son cœur a pris sous sa coupe ; ses rages et ses révoltes à s’indigner contre l'injustice et l' arbitraire. Son souci obsessionnel du sort de l’univers (de la moindre plume de moineau à la petite étoile dans le ciel et au « noble ver de terre.)
Ma grand-mère avait coutume de répéter : “ko jiđđa neđđo kala, heddu heen ko ngañirđa đum jaŋngo” (quelque affection que tu portes à quelqu’un, réserve lui une part de haine pour demain). J’aurais aimé que ma grand-mère ait raison, mais je dis merci à Djenguel et à “Elle” d’avoir compris et de montrer qu’en dépit des vicissitudes de la vie, « notre ultime choix, pour autant qu’il nous en soit donné un, est celui de créer ou de détruire, d’aimer ou de haïr » (j’ai oublié qui était l’auteur de cette belle phrase). Merci d’avoir su, ensemble, échapper aux vieux crocodiles remontés d’avant le déluge et d’avant nos vieilles peurs, et qui toutes les nuits happent des pans entiers de nos rêves. Et encore une fois, merci à Djenguel de m’avoir rappelé ce que vous êtes, toutes les deux, avec tant de beauté et de naturelle pudeur.
ACB
PS : Pardon pour cette crainte qu’ELLE éveille en moi, tant ma conviction est profonde de ne me savoir pas digne du costume dont elle me vêt.