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De « La possibilité de travailler jusqu’à 70 ans » à « La retraite à 70 ans ». Les enjeux d’un symbole mal maîtrisé impactant fortement la nature d’un débat

Publié le 06 décembre 2008 par Délis

La politique est affaire de projets, de confrontations, d’idées, de personnalités et de communication. Concernant ce dernier aspect le symbole constitue, en période d’effritement des repères, un point de cristallisation des opinions. Nous venons d’en avoir la parfaite illustration.

Interrogés par CSA à la mi-2007, une nette majorité de Français - 63% - se déclaraient favorables à « ce qu’un salarié puisse travailler après 65 ans s’il le souhaite ». Automne 2008, ces mêmes Français affirment avec la même intensité (à 66%) que le fait de permettre « aux salariés qui le souhaiteraient de travailler jusqu’à 70 ans » est « plutôt une mauvaise chose, parce que cela entraînera à terme la remise en cause de l’âge légal de départ à la retraite ». L’opinion des Français a-t-elle fondamentalement évolué en un an ou la nature des débats - et de la formulation de ceux-ci - a-t-elle fortement influé sur les représentations ? Répondons à cette question en reprenant quelques points structurants de l’opinion.

  • Les Français sont fondamentalement attachés à la retraite à 60 ans. Toutes les enquêtes le montrent et le réaffirment, l’âge légal de départ à la retraite fixé à 60 constitue la norme mobilisée par les salariés. Ce chiffre représente d’ailleurs, à leurs yeux, plus un symbole qu’une réalité. Amenés ainsi à se prononcer sur leurs anticipations, la moitié des salariés estiment qu’ils partiront à la retraite après 60 ans. En dépit de cette projection, l’attachement à ce repère de 60 ans reste fort.
  • Un tel âge « repère » est aussi fortement mobilisé par les Français en raison des projections positives sur la retraite. Plus qu’un espoir, les Français expriment en grande majorité le sentiment que la « vraie vie » débute au moment de la retraite. Loin d’être imaginée comme une période d’a-socialisation, la retraite bénéficie de représentations positives. Il s’agit, aux yeux des Français, d’un des premier moment où l’on peut maitriser sa vie. Et la retraite est idéalisée. Etre à la retraite, c’est connaître un moment de conjugaisons positives d’éléments structurants de sa vie : être propriétaire de son lieu d’habitation, disposer d’une santé autorisant des déplacements en dehors de sa commune de résidence, pouvoir accueillir ses enfants et petits-enfants, avoir du temps pour se tourner vers les autres - à travers notamment les structures associatives -, se cultiver… Ces juxtapositions d’images d’Epinal construisent une vision harmonique et idéalisée de la retraite. Et favorise l’incitation à « y être » le plus jeune possible.
  • On se projette dans l’avenir avec d’autant plus d’enthousiasme que le présent apparaît peu réjouissant. Ainsi les évocations du travail et, notamment du monde de l’entreprise, ne sont pas positives. Ainsi, une part importante des salariés vivent leur activité professionnelle essentiellement comme subie et non comme choisie. L’entreprise était anciennement vue comme un lieu de socialisation et d’affirmation identitaire mais cela ne semble plus être le cas aujourd’hui. Les « promesses » de l’entreprise ne sont pas tenues. Le lien entre niveau de diplôme et type d’activité professionnelle n’est pas garanti. Les progressions statutaires et évolutions salariales sont vécues comme n’étant pas indexées à la compétence des individus ni même à la compétitivité de l’entreprise. La fraternité (quelque fois magnifiée a posteriori) n’est plus qu’un souvenir emprunt de nostalgie et semble avoir cédé le pas à une logique concurrentielle interne au salariat… Autant d’éléments participant au « désamour » des Français à l’égard de leur situation professionnelle.

Ces constats posés, observons maintenant le processus d’appropriation par les Français du débat sur la possibilité offerte aux salariés de travailler jusqu’à 70 ans. L’amendement récrié réunit, dès son vote, deux conditions propices à la suspicion : l’auteur et le moment.

L’auteur : dans notre démocratie - et même après modification de la constitution - nombre d’observateurs (notamment parmi les journalistes) estiment que le gouvernement se défausse parfois sur le Parlement pour « faire passer » des orientations qu’il estime difficiles à porter politiquement. En l’espèce ledit amendement était d’initiative parlementaire.

Second élément : le temps. Cet « additif » arrive en séance de nuit et est soumis au vote d’un public clairsemé. Autant dire qu’aux yeux des Français l’irruption de cet amendement n’arrive pas à la suite d’un débat politique très intense. Les conditions de la suspicion sont donc bien réunies.

Et les Français sont prêts à penser, dans ce contexte, que l’objectif final de l’amendement n’est ni plus ni moins, à terme, de repousser l’âge légal de départ à la retraite. Et d’un chiffre brandi comme un étendard « 60 » à un âge limite d’activité « 70 » le pas est franchi d’une projection d’intentions cachées du gouvernement. Un an après le débat sur les régimes spéciaux, six mois après l’aménagement de la réforme des retraites l’inquiétude des Français à l’égard de l’avenir du système restant toujours forte, les signes d’une modification des règles sont guettés. Et parfois interprétés différemment par l’opinion, contrairement à ce que souhaitaient les émetteurs.


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