Tiruchirappali, Tamil Nadu, juillet 08
J’imagine parfois tout ce que j’ai raté en refusant d’allumer la moindre cigarette : la fameuse contenance quand on ne sait pas trop comment se tenir, le motif pour aborder plus facilement la Lauren Bacall qui croise et décroise ses jambes là-bas près du bar, la goulée de concentration supplémentaire en tirant sur le mégot à l’heure d’écrire. Le simple plaisir d’en griller une, paraît-il. Je sais aussi ce que j’ai gagné : un peu de souffle pour éteindre des bougies de plus en plus nombreuses, une totale indépendance vis-à-vis d’un objet ridiculement éphémère, une santé qui ne bronche pas trop, un budget pour mes voyages…
A l’âge où mes camarades de classe s’y essayaient en cachette, je menais une guerre ouverte contre mon fumeur de père en lui confisquant ses Marlboro. Je lui serinais chaque jour les méfaits du tabac, jusqu’à le menacer sordidement de ne pas lui rendre visite à l’hôpital le jour où il serait soigné pour un cancer du poumon. Face à l’addiction nicotinique, l’attention maladroite d’un adolescent pour la santé de son géniteur fait long feu. Il me revient ce goût amer de l’échec chaque fois que je le vois rallumer le petit flambeau de son péché. Je me console un peu en trouvant une esthétique cinématographique aux gestes du fumeur. Que vaudraient les films de Claude Sautet sans les paquets de Gitane ? Des clopinettes.