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Der Freischütz

Publié le 09 décembre 2008 par Porky

Dans le genre opéra romantique, je crois qu’on ne peut guère trouver mieux que le Freischütz). Personnages, décors, atmosphère, action : tous les ingrédients du romantisme le plus échevelé sont présents dans cet ouvrage.

L’opéra de Weber fut créé en 1821, au Königlisches Schauspielhaus de Berlin. A l’époque, le compositeur est directeur de l’Opéra Allemand de Dresde. Après une jeunesse pour le moins agitée et tourmentée, il s’est assagi et c’est à Dresde qu’il composera ses chefs-d’œuvre, fondements du romantisme musical allemand. Richard Wagner, son héritier spirituel, rendra à son aîné un hommage émouvant lorsqu’il écrira le thème de la grande marche sur laquelle s’ouvre le tournoi des chanteurs de la Wartburg dans Tannhäuser : il utilisera alors l’un des thèmes de l’air d’Agathe du deuxième acte du Freischütz.

Le livret de l’opéra, rédigé en 1817 par Friedrich Kind a plusieurs sources : la légende populaire, d’abord, une légende très ancienne dont le héros est un tireur d’élite qui fait un pacte avec le diable parce qu’il doute tout à coup de ses capacités. Cette légende appartient certainement à la culture populaire de l’Europe Centrale. La deuxième source du livret est une histoire réelle arrivée en 1710 en Tchécoslovaquie à un jeune homme d’environ 18 ans : accusé de sorcellerie pour avoir fondu un certain nombre de balles suivant un certain rite, il échappa au bûcher en raison de sa jeunesse mais fut condamné à six ans de prison. Puis, la troisième source est une histoire publiée en 1810 qui raconte comment, pour l’amour de la belle Kätchen, un jeune homme s’est fait chasseur et a pactisé avec le diable pour qu’aucune de ses balles ne rate sa cible. Mais le diable est plus malin que lui : lorsqu’il lui faut prouver son adresse, le jeune homme tire sur une colombe et la balle frappe sa bien-aimée en plein front. Le jeune homme devient fou, et les parents de Kätchen meurent de chagrin. Bien entendu, Kind fit subir aux différentes histoires de nombreuses et notables modifications mais on retrouve dans le livret l’intrigue amoureuse entre les deux jeunes gens et le concours de tir qui doit décider de leur mariage. Ces deux éléments expliquent et justifient le recours à l’aide du diable.

Enfin, il faut sans doute voir dans un récit d’Hoffmann une dernière source qu’utilisa Kind. Le deuxième chapitre des Elixirs du Diable présente des éléments proches du livret du Freischütz : le gouffre infernal, la maison forestière, les balles franches… Weber avait lui-même arrêté le plan du livret et lui fit subir un certain nombre de retouches. Il demeure un des livrets d’opéra les plus solides et les plus simples : la structure est limpide (un acte d’exposition, un acte pour le nœud de l’action et un acte pour le dénouement), l’action progresse avec une parfaite maîtrise, et si l’atmosphère est bien celle d’un drame romantique, l’œuvre a la rigueur des tragédies classiques. La règle des trois unités est respectée. L’unité de temps est présente : le drame se noue et se dénoue en 24 heures puisque la première scène a lieu en fin d’après-midi et la scène finale de l’acte III le lendemain vers midi. L’unité de lieu est également respectée : l’action se déroule dans un périmètre très limité autour de la maison forestière. Enfin l’unité d’action est très nette car tout se résume à une question : Max arrivera-t-il à gagner la main d’Agathe sans pour cela devenir la victime de Kaspar et du diable ?

Ce livret présente néanmoins quelques petites faiblesses : l’intrigue telle qu’elle est construite réclame des retours en arrière ou des explications plus ou moins longues ce qui est fait dans les passages parlés. (Le Freischütz est un Singspiel, correspondant germanique de notre opéra-comique, dans lequel alterne chants et dialogues parlés.) Ces passages sont parfois un peu longs et laborieux. Quant au dénouement, il semble artificiel et le personnage de l’Ermite prend des allures de Deus ex machina. La logique eût voulu qu’Agathe meure à la fin de l’œuvre et que le salut de Max fût tout à fait compromis ; mais ce type de logique n’a pas forcément cours sur les scènes lyriques qui exigent parfois un happy end.

Ce ne sont cependant là que détails : le plus gros défaut du livret réside dans le côté sommaire des personnages. Aucun n’a vraiment d’épaisseur psychologique ni de véritable personnalité. Ils restent assez traditionnels bien qu’ils sortent de l’ordinaire par leur identité peu banale : un chasseur, une fille de forestier, un suppôt de Satan. Max est loin d’être un héros tragique : sans cesse manipulé par les forces occultes, il ne sait ni protester ni vraiment lutter contre elles ; aliéné de bout en bout, il est déchiré entre deux forces opposées : la conscience de commettre un acte irréparable en suivant les conseils de Kaspar et le désir de retrouver, même par les moyens les moins recommandables, son habileté de tireur et gagner ainsi la main d’Agathe.

Agathe, quant à elle, ne peut rien faire. Les événements vont se dérouler hors de sa volonté. Elle aime passionnément Max, s’inquiète pour lui. Elle semble sans cesse avoir la prescience de la catastrophe qui pourrait s’abattre sur elle et sur son bien-aimé. C’est une jeune fille pure et très croyante et c’est sa foi qui la protège dans la scène finale. Elle représente l’éternel féminin grâce à qui le pécheur trouve la rédemption –lieu commun assez courant dans les œuvres de l’époque et dont Wagner usera et abusera plus tard. (Senta dans Le Vaisseau fantôme, Elisabeth dans Tannhäuser représentent ces rédemptrices.) Elle n’a pas un rôle très étendu mais la musique qui lui est consacrée lui donne un rayonnement intérieur bien supérieur à celui de ses compagnons.

Kaspar, lui, c’est le méchant à cent pour cent, le mauvais pour qui on ne peut avoir une once de pitié. Il veut se venger d’un rival (il voulait la main d’Agathe) par la mort de la jeune fille et la damnation de Max ; en même temps, il veut se libérer du lien qui l’attache à Samiel (le diable) en donnant à ce dernier l’âme de Max en échange de la sienne. Ses sentiments amoureux ne sont jamais développés d’où le fait qu’il reste le personnage humain le plus « noir » du drame.

En dépit de cela, l’atmosphère du Freischütz est absolument envoûtante : la forêt de Bohème, le folklore, les pratiques de sorcellerie, les forces occultes sans cesse présentes pour perdre les humains contribuent à la densité dramatique de l’œuvre. Les éléments générateurs d’angoisse sont nombreux. La forêt prend dans ce contexte un sens symbolique, surtout au deuxième acte : c’est la puissance de la nature sauvage et en même temps la plongée dans les désirs les plus secrets et l’inconscient de l’être humain. Le Mal est sans cesse présent, oppressant, prêt à se manifester pour détruire. Le fantastique est donc une composante essentielle de l’opéra et sans doute atteint-il son point culminant au second acte, dans la scène de la Gorge aux Loups, lorsque Max va forger les balles enchantées. Scène de sorcellerie à l’état pur, qui envoûte et impressionne au plus haut point et peut donner lieu à tous les excès de mise en scène.

ARGUMENT : L’action se déroule au 17ème siècle, en Bohème. ACTE I – A la lisière de la forêt, devant une auberge, on fête le vainqueur du concours de tir : c’est Kilian qui a remporté la victoire aux dépens de Max, un des garde-chasse du Prince Ottokar. On se moque du jeune perdant qui a du mal à supporter les railleries et les moqueries. Survient Kuno, le garde forestier en chef ; il rétablit l’ordre mais manifeste une certaine inquiétude quant à la maladresse de Max, un de ses meilleurs tireurs. La malchance semble le poursuivre depuis un bon mois. Un autre forestier, Kaspar, émet l’idée que le fusil de Max est peut-être enchanté mais Kuno le fait taire. Il rappelle à Max qu’un concours de tir doit avoir lieu le lendemain et qu’il doit le gagner s’il veut obtenir la main d’Agathe, sa fille et devenir ainsi garde-forestier en chef, comme le veut la coutume dans la famille de Kuno. Max se désespère ; Kaspar lui conseille de faire preuve d’audace et tous essaient de le réconforter. Resté seul, Max s’interroge sur sa soudaine malchance et se croit abandonné du ciel.

Kaspar réapparaît, lui propose de boire un verre en l’honneur d’Agathe et du Prince et lui tend une boisson dans laquelle il a versé quelques gouttes de drogue. Puis il lui propose son aide et lui explique que son propre fusil est ensorcelé et qu’il ne peut rater aucune cible grâce aux balles magiques qu’il utilise. Si Max le veut, il peut venir à minuit à la Gorge aux Loups et tous deux fondront les balles qui permettront au jeune chasseur de gagner le concours du lendemain. Max accepte et Kaspar, une fois seul, se réjouit : il va pouvoir offrir au diable une nouvelle âme.

ACTE II – Scène première – Dans la chambre d’Agathe, la fille de Kuno. Annette, la cousine d’Agathe, est en train de raccrocher le portrait de l’aïeul qui vient de tomber du mur. La jeune fille, vive et spontanée, cherche à distraire Agathe de ses sombres pensées, mais en vain. Elle est d’autant plus inquiète pour Max qu’une visite le matin même à un Ermite lui a permis d’apprendre qu’un grave danger la menaçait. L’étrange comportement de Max la trouble. Restée seule, Agathe, ne pouvant trouver le sommeil, s’avance sur le balcon et dans la douceur de la nuit, invoque la protection du ciel. (Air d’Agathe, absolument magnifique.) Arrive Max qui ne veut pas avouer son échec au concours ; il déclare qu’il ne peut rester, devant poursuivre un grand cerf qui s’est réfugié dans la Gorge aux Loups. Agathe et Annette (revenue entre temps) essaient de l’en dissuader car ce lieu est maudit. Mais Max s’entête et les quitte, laissant Agathe dans la plus affreuse des inquiétudes.

Scène 2 – La Gorge aux Loups. Décor de cauchemar. Des esprits invisibles chantent le destin fatal de leur future victime, la tendre fiancée. Kaspar a disposé autour de lui tous les instruments du rituel et appelle Samiel. Il implore le diable de lui accorder encore un peu de répit en échange de l’âme de Max. De plus, il propose que la septième balle magique qui sera fondue cette nuit soit dirigée contre Agathe ; Samiel rétorque qu’il n’a aucun pouvoir sur la jeune fille mais accepte le marché de Kaspar : le sursis contre l’âme de Max.

Max arrive et hésite à s’engager dans le gouffre. Kaspar l’appelle ; le spectre de sa mère dissuade le jeune homme de descendre. Mais Kaspar fait apparaître l’image d’Agathe éperdue et Max consent enfin à le rejoindre. Les sept balles sont fondues l’une après l’autre, au milieu d’apparitions de plus en plus effrayantes, comme si la folie s’était emparée de toute la Gorge aux Loups. La tempête éclate et se déchaîne, effroyable ; à la septième balle, Samiel apparaît et tend sa main vers celle de Max qui se signe. Une heure sonne. Le calme revient d’un seul coup. Max, hébété, se redresse.

ACTE III – Scène première – Dans la forêt. Max retrouve Kaspar. Il ne leur reste plus qu’une balle magique à chacun. Max a tiré trois des quatre balles qu’il avait eues en partage, pour prouver son adresse et Kaspar a tué une pie. Sachant que la septième balle appartient à Samiel, Kaspar tire sa dernière balle après avoir refusé de la donner à Max. Il reste une seule balle, celle de Max, la balle du diable.

Scène 2 - Dans la chambre d’Agathe. La jeune fille est parée pour ses noces et récite une fervente prière afin que la Providence continue de la protéger. Entre Annette à qui elle raconte son dernier rêve : elle était une colombe blanche, Max tirait sur elle, la colombe tombait mais elle disparaissait et la jeune fille redevenait un être humain tandis que gisait à terre un grand oiseau noir. Annette se moque gentiment d’elle et raconte à son tour comment sa tante avait cru voir un fantôme en rêve alors qu’il s’agissait simplement de son chien. Les demoiselles d’honneur arrivent. Agathe ouvre le carton où se trouve sa couronne de mariée : elle découvre avec effroi une couronne mortuaire. De sombres pressentiments l’assaillent ; elle demande que la couronne soit tressée avec les fleurs blanches offertes la veille par l’ermite.

Scène 3 – Dans une vallée, aux abords de la forêt. Le Prince Ottokar et sa suite écoutent le chœur des chasseurs. Le Prince salue Kuno, le félicite pour le choix de Max comme mari de sa fille mais rappelle que le jeune homme doit se soumettre à l’épreuve du tir. Il propose au jeune chasseur de tirer sur une colombe qui s’est posée sur la branche d’un arbre. Au moment où Max va tirer, Agathe surgit d’entre les arbres et lui crie de ne pas tirer, car c’est elle la colombe. Trop tard, le coup est parti. Agathe s’effondre, de même que Kaspar, qui était caché dans l’arbre. On croit que Max a tué sa fiancée mais seul Kaspar est mortellement blessé, Agathe n’est qu’évanouie. Kaspar voit l’Ermite auprès de la jeune fille et comprend qu’il a perdu ; d’ailleurs, Samiel vient le chercher et il meurt en maudissant le ciel.

Le Prince ordonne que son cadavre soit jeté dans la Gorge aux Loups et demande à Max des explications. Ce dernier avoue avoir fondu des balles magiques. Le Prince, courroucé, le condamne au bannissement définitif mais l’Ermite intervient afin de demander la grâce du jeune homme : qu’il soit mis un an à l’épreuve. Au terme de ce délai, le mariage pourra avoir lieu. Le Prince accepte de changer sa sentence et d’exaucer le vœu du saint homme. L’opéra finit par des réjouissances générales.

VIDEO I – Acte II – Air d’Agathe – Délia Reinhardt - Pour l'entendre par Elisabeth Schwarzkopf, cliquez sur le lien.

VIDEO II – Acte II – la Gorge aux Loups – fin de la scène.

VIDEO III – Acte III – Intervention de l’Ermite – Scène finale.


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