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En langue étrangère !

Publié le 10 décembre 2008 par Perce-Neige

Ce qu’il fallait en conclure ? Je n’en sais rien, au fond… Car, lassée des mouettes qui s’acclimatent aux touristes, zèbrent l’horizon et s’arrangent, espiègles, pour vous iriser le ciel de silencieux alphabets, Maud avait brusquement délaissé, pour obliquer sur la gauche, les clapotis de gondoles esseulées que chérissait le canal censé, si du moins les conseils du jeune garçon étaient avisés, lui permettre de retrouver Charles-Antoine au plus tôt. Évitant, par la même occasion, de croiser le carnaval endimanché de nouvelles communiantes qui venaient à sa rencontre en ricanant de concert, elle avait un peu hésité, tout de même, trois ou quatre bifurcations plus loin, avant de retourner sur ses pas, puis de traverser une place minuscule qu’occupait, en son centre, un bouquet d’arbres au feuillage exubérant, mystérieusement peuplé de piaillements et de vocalises que son approche avait laissé indifférents. C’était trop bête, n’est ce pas ? Elle commençait, cette fois, en effet, à s’inquiéter sérieusement. A ne plus savoir où aller, ni même où elle était. Se pouvait-il que le monde se délite aussi vite autour d’elle ? Elle avait marché encore un peu, pressant le pas, espérant, en s’étourdissant davantage, chasser de son esprit l’angoisse qui venait d’y germer. Une vieille femme, qui semblait à peine comprendre le français, parvint à lui expliquer que le mieux était nécessairement de reprendre le quai principal, qu’elle apercevait, oui, là, un peu plus loin. Mais comment s’assurer de la véracité de propos qui avaient été proférés avec une telle assurance qu’il était rigoureusement impossible de les prendre, tels quels, pour argent comptant. Certes, la vieille femme avait longuement étudié le plan détaillé que Maud avait accepté, en désespoir de cause, de lui glisser dans les mains. Sauf que cela ne prouvait rien. Cette sorcière pouvait très bien avoir répondu n’importe quoi, juste histoire de ne pas perdre la face devant une étrangère, visiblement assez désemparée. Et puis, on ne pouvait exclure que l’incompréhension vienne de Maud et non de cette demi-folle… Tout cela était sans espoir. Maud s’était dit, à ce moment-là, que Charles-Antoine ne lui pardonnerait sans doute jamais de s’être égarée à ce point. Surtout ce jour-là. Et, d’ailleurs, personne au monde n’aurait un jour la faiblesse de la croire sur parole. Elle commençait sérieusement à s’essouffler, parvint, non sans peine, à maîtriser un semblant de vertige, remercia vivement la bohémienne (à la réflexion, oui, elle avait à faire à une bohémienne) et voulut s’engager sous un passage qu’elle crut reconnaître pour s’y être déjà faufilée, quelques jours plus tôt, en compagnie de Jade, quand elles avaient décidé toutes les deux, bras dessus bras dessous, d’explorer le quartier des pécheurs, histoire de s’exploser la rétine d’images qu’elles entendaient bien numériser à tour de bras avant de pouvoir les balancer aux quatre coins de l’univers à savoir sur le blog, à vocation vaguement littéraire, que tenait Jade depuis maintenant plusieurs mois. Sauf que le passage en question donnait, en réalité, sur une cour pavée, certes particulièrement charmante mais sans aucune issue sur un quelconque canal. Adossé à l’une des fontaines que l’on découvrait en s’avançant un peu, un couple d’une extrême beauté, en vérité, était enlacé et se caressait mutuellement de manière très sensuelle et sans gêne d’aucune sorte, comme s’ils n’imaginaient pas pouvoir être, un tant soit peu, dérangés dans leur activité. Maud avait déjà vu la jeune femme quelque part, elle s’en souvenait parfaitement maintenant. C’était trois ou quatre jours plus tôt quand, avec Charles Antoine, ils avaient déambulé dans le Dorsoduro toute la matinée et qu’ils avaient profité de l’absence de Jade, mine de rien pour bavarder un peu sérieusement et régler les derniers détails de la cérémonie. La jeune fille que Maud retrouvait là, était une très très jeune fille, en fait à peine une adolescente, et sa tenue débraillée, tout à fait arrogante, les avait alors choquée tous les deux. Et plus encore, d’ailleurs, le fait qu’elle semblait prendre un malin plaisir à éveiller les ardeurs masculines qu’elle tenait alors effrontément à distance en distillant avec beaucoup d’audace ses propres commentaires et ses sarcasmes quand un garçon, un peu plus entreprenant que la moyenne, se risquait à lui faire un quelconque compliment. Mais pourquoi, d’ailleurs, ce comportement les avait-il choqué à ce point ? Maud se le demandait soudain, tout en se dirigeant de manière résolue vers le jeune couple qu’elle imaginait pouvoir facilement solliciter pour l’aider à retrouver son chemin. Autour d’elle, c’était comme un bégaiement de façades roses, ocres, rapiécées, jaunes et bigarrées, théâtre improvisé de murs fatigués, affligés d’un eczéma de couleurs perdues, de varices électriques, de crevasses protéiformes mettant à nu des briques de sang aux angles définitivement décomposés. Soudain la jeune fille dut sentir sa présence car elle se redressa brusquement. Maud n’avait jamais croisé un tel regard. Empli d’effroi et de bonheur tout à la fois. Elle crut que le monde s’était, à son insu, retourné comme un gant. Et qu’il n’y avait, désormais, entre les êtres, plus aucune place pour les mots. Elle aperçut aussi la poitrine de la fille, totalement dénudée, extravagante de beauté, et que le garçon continuait à caresser maladroitement. Il y eut alors, quelque part, un vol erratique d’hirondelles, un soupçon d’étourneaux au dessus de leurs têtes, comme autant de poussières d’obscurité jetées à la face du soleil. Maud devenait folle, voilà ce qu’il faudrait sans doute en conclure !


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