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Jun Miyake “Stolen From Strangers”

Publié le 12 décembre 2008 par Colbox

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Stolen From Strangers

Que recherche un musicien lorsqu’il s’exile volontairement de sa terre natale pour parcourir le vaste monde ? Il espère bien sûr élargir son savoir, son langage, son regard. Mais il rêve aussi sans doute de modifier son rapport au temps. Traverser une frontière, ce n’est pas seulement changer de lieu : c’est aussi changer de présent, de passé, d’histoire. Voyager, c’est s’apercevoir que la vie ne coule pas partout de la même façon, et que sa course, loin d’être linéaire, est faite d’innombrables détours, boucles et dérivations.
Pour un musicien – dont l’art, par nature, est une manière d’interroger le mystère du temps qui passe –, le nomadisme est donc forcément porteur de grandes révélations. Depuis trente ans, le Japonais Jun Miyake parcourt ainsi le globe en diagonale, de New York à Paris, de Londres à Rio, de Tokyo à Berlin.

A force d’enjamber les fuseaux horaires, les barrières de langue et les fossés culturels, ce multi-instrumentiste et compositeur aux semelles de vent a inventé une musique qui se conjugue à tous les temps et se joue de toutes les contraintes de genre. D’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, ses créations flottent au-dessus de toutes les patries et de tous les partis. Conçu comme un road-movie, son treizième album, Stolen from Strangers, embrasse dans un souffle chimérique bossa-nova, electronica, orchestrations impressionnistes, jazz, choeurs balkaniques, chanson française, torch-song japonaise ou musiques d’ambiance.
Entre les mains de n’importe quel tâcheron à la solde des marchands de “sono mondiale”, un brassage de références aussi ambitieux aurait vite fait de tourner en kouglof indigeste. Rien de tel chez Jun Miyake : comme ses vieux complices Arto Lindsay et Vinicius Cantuária, qui illuminent de leur présence Stolen from Strangers, le Japonais est un musicien à l’appétit d’ogre, mais aux gestes délicats et à la pensée raffinée. Il est en outre un remarquable directeur de casting, capable de donner cohérence et densité à un générique apparemment hétéroclite. Arto Lindsay, Arthur H, Lisa Papineau ou le crooner Satoshi Murakawa tissent ainsi à tour de rôle la trame vocale de l’album, dans lequel seul l’insupportable Sanseverino vient faire un accroc.

C’est aux Etats-Unis que Jun Miyake a fait ses premières armes musicales, à la fin des années 70. Mais ce trompettiste de formation, diplômé du Berklee College of Music de Boston, ne jurait alors que par le jazz, qu’il plaçait au-dessus de toute autre esthétique. “J’avais 12 ans quand j’ai découvert cette musique, ça m’a fait l’effet d’une décharge électrique, raconte-t-il. Pendant dix ans, je n’ai rien écouté d’autre. Jusqu’au jour où, de retour à Tokyo, j’ai entendu un concert de Miles Davis. En voyant qu’il était incapable de prendre une nouvelle direction, je me suis dit que le jazz était mort ! Ça a été un crève-coeur, mais je me suis enfin tourné vers toutes les musiques que j’avais négligées. C’est à ce moment qu’on m’a proposé de composer pour la pub – un milieu qui, à l’époque, était ouvert à l’expérimentation. On me payait royalement pour faire tout ce que je voulais, avec une démarche vraiment artistique. De là est né le langage hybride qui est le mien aujourd’hui.”

Amorcée en 1983 avec l’album Jun Night Love, la discographie de Miyake porte haut le pavillon d’un homme qui a définitivement pris le large. Prenant ses distances avec sa culture d’origine, mais aussi avec son propre pays, il est devenu cet éternel étranger, promenant à travers le monde ce regard panoramique et perçant qui, au-delà de la seule sphère musicale, lui a valu d’être remarqué par des créateurs aussi variés que Bob Wilson, Pina Bausch, Philippe Decouflé ou Jean-Paul Goude. “Le fait de se sentir étranger partout est à la fois une source d’inconfort et de plaisir, de mélancolie et d’ironie, conclut-il. Mais c’est surtout une grande source d’inspiration, qui colore toute ma musique.”


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