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L’intelligence économique, co-construction et émergence d’une discipline via un réseau humain

Publié le 18 novembre 2008 par Infoguerre

Cet ouvrage, réalisé sous la direction de Jean-Pierre Bernat, rassemble la plupart des « pionniers » de l’intelligence économique en France. Chaque chapitre s’organise autour du domaine de prédilection de chacun de ces rédacteurs, qui reviennent sur « l’émergence » de l’IE en tant que discipline à part entière.

Du management stratégique de l’information

L’intelligence économique a mauvaise presse en raison de son assimilation aux pratiques d’espionnage. Malgré une distinction claire entre les deux pratiques (la légalité de l’une et non de l’autre), l’amalgame est facile et rapidement fait. C’est pourquoi, plutôt que de parler d’IE, le terme de « management stratégique de l’information » apparaît souvent plus politiquement correct, et moins sulfureux.  
Dans son chapitre, Humbert Lesca revient sur ce concept. « Ce qui caractérise les sociétés, c’est une sorte d’ignorance inconsciente de l’environnement économique, social, politique, et de toute façon mondial et non plus seulement national. Plus encore que l’ignorance de l’environnement, c’est l’ignorance des changements qui se produisent dans cet environnement, de telle sorte que ces sociétés continuent de faire comme elles ont toujours fait, ne voyant pas que peu à peu elles sont rejetées sur la touche, marginalisées et finalement en perdition. »  
Pour accompagner les entreprises dans la vigilance de leur environnement, Humbert Lesca a adapté les techniques de l’IE sous le terme de « veille anticipative stratégique » qui vise « à renseigner les responsables d’entreprise (ou autre organisation) sur les changements pouvant se produire dans l’environnement pertinent pour l’entreprise. » Selon lui, le renseignement doit permettre aux dirigeants de décider avec les bonnes informations, et surtout anticiper.  
Enfin l’auteur s’attarde également sur le concept essentiel de « signal faible » qu’il définit comme étant une « donnée le plus souvent d’apparence insignifiante et noyée dans une multitude d’autres données (bruit), mais dont l’interprétation peut nous alerter que se prépare un événement (peut-être pas même amorcé) susceptible d’avoir des conséquences considérables (en termes d’opportunité ou de menace). »

 
De la désinformation

Jean-Pierre Bernat revient quant à lui sur les mécanismes de la désinformation dans son chapitre intitulé « Du renseignement à la désinformation ». Selon lui, il existe six « filtres » qui peuvent avoir une influence sur nos jugements : le filtre du consensus (tout le monde pense cela, pourquoi pas moi…), le filtre de la cohérence (si c’est cohérent d’après mes déductions, c’est donc vrai…), le filtre de l’autorité (c’est mon chef, il a raison…), le filtre scientifique (c’est scientifique, c’est compliqué, je ne peux pas vérifier…). 
L’auteur passe ensuite en revue les « biais » qui affectent nos décisions. En effet ces biais sont le résultat de notre cerveau qui, constamment soumis à des stimulations, a mis en place des mécanismes inconscients qui facilitent les prises de décisions. Ces biais sont de 14 types différents : l’étiquetage, la catégorisation, la réciprocité, l’implication, la comparaison, le suivi, la familiarité, l’autorité, la rareté, la mémorisation, le hasard, le Sunk Cost, l’adversité au risque et la confiance excessive.

 
Des réseaux et de leur efficacité

Robert Guillaumot revient sur son propre parcours professionnel et sur sa pratique de l’intelligence économique. Il évoque un certain nombre d’anecdotes non dépourvus d’utilités pratiques pour notre époque, et notamment une sur l’organisation des JO de 1968 à Grenoble : « La réalité perçue par ceux pour qui l’on travaille est souvent différente de la réalité objective et qu’il est illusoire de croire que cette dernière sera crue, si elle n’est pas consommable ou acceptable par celui à qui elle est destinée. (…) Il y avait des sujets presque irrationnels qui devaient être maîtrisés : l’affectation pour toute la durée des Jeux, des hôtesses les plus attractives et les plus douées aux chefs de délégation des pays participants ; la qualité de la nourriture servie au Restaurant de la Presse. C’est ainsi que l’on fit venir le chef Roger Verger de Montréal où il se trouvait pour l’Exposition Universelle, pour s’occuper du menu servi aux journalistes… lesquels furent d’une humeur charmante pendant toute la compétition. »

Selon lui, la définition de l’intelligence économique serait la suivante : « la capacité grâce à l’exploitation judicieuse de l’information de connaître et de comprendre l’environnement économique dans lequel on a choisi de vivre et se développer pour y agir de manière intelligente et les technologies de l’information et de la communication sans lesquelles la transformation de la richesse de l’information disponible en connaissances utiles à la décision est totalement illusoire. » 
Il relate une conversation qu’il a eu avec Stephan Dedidjer dans les années 1980 à propos des meilleurs réseaux de renseignement les plus efficaces (dans l’ordre) : « le Vatican, les banques suisses, la place financière de la City de Londres et les communautés scientifiques. », et de poursuivre sur les raisons d’une telle efficacité : l’existence d’un objectif partagé, un maillage bottom-up pour la transmission de l’information, un langage commun, et des « observateurs-capteurs » implantés là où il faut. 

Un autre chapitre rédigé par Nicolas Moinet et Christian Marcon revient sur ces concepts de réseaux : « L’avenir est à construire et non à prévoir. Les ressources sur lesquelles nous le construirons sont à imaginer et non à gérer comme un héritage. Soyons-en convaincus : les clés de notre succès ne sont pas dans les ressources aujourd’hui disponibles, mais dans notre détermination stratégique à en trouver de nouvelles. » Les quatre dimensions de cette détermination stratégiques sont à leurs yeux : le sens de la direction, le sens de la découverte, le sens du destin, et le sens de la stratégie-réseau. 
Les auteurs reviennent sur la notion d’économie des forces au sein du réseau d’acteurs. Le bon stratège est celui qui connait les forces et les faiblesses de ses troupes. « Jules César disait qu’un général capable de marcher toute la journée sans trêve n’est pas un bon général, car il ne comprend pas quand ses soldats ont besoin de repos. » Il en va de même pour la stratégie en réseau, car si l’on ne connait pas les ressorts fondamentaux du réseau, l’on ignore ses forces et ses faiblesses. 

 
Intelligence au pays du soleil levant

Jean-Pierre Bernat s’associe avec Pierre Fayard pour rédiger un chapitre dédié à la connaissance communautaire au Japon. Loin du cloisonnement que nous rencontrons au sein des entreprises françaises, le Japon à su développer une culture du partage, dans laquelle le pouvoir réside dans les mains de ceux qui transmettent, et non de ceux qui stockent : « la valeur stratégique de l’information se situe plus dans le flux, et l’incertain du « en devenir », que dans les stocks capitalisés, certifiés et arrêtés. Il est souvent vain de prétendre la retenir, d’en empêcher l’échange et la circulation, cela revient à se condamner soi-même à une perception périmée de la réalité et des tendances qui la travaillent. » 
Les auteurs présentent ensuite un fonctionnement souvent inconnu en Occident, que sont les communautés de connaissance (les ba). « Le « ba » est un espace de conscience collective où se créent de manière collaborative des connaissances utiles. Le concept voisin de communautés de pratique ne le recouvre pas totalement car il s’agit plus de connaissances que de pratiques ». Ces communautés fonctionnent sur le principe du don réciproque qui entretient des cercles vertueux d’échanges d’information. Elles sont stratégiques car elles se structurent et s’articulent autour de projets partagés.  
Ce système de communautés perturbe notre vision occidentale classique de la hiérarchie. Au Japon, « la fonction de chef ne consiste pas tant à prendre des décisions, qu’à assurer les conditions de l’harmonie dans lesquelles elles se prennent et se mettent en œuvre. Le pouvoir personnel est assimilé à al capacité d’influence et à la maîtrise des rapports humains dans un groupe. »  

Un ouvrage avec certains chapitres très intéressants, mais qui s’adresse avant tout à des universitaires ou à des spécialistes de la discipline, qui cherchent à approfondir leurs connaissances en la matière.

L’intelligence économique, co-construction et émergence dune discipline via un réseau humain 
Sous la direction de Jean-Pierre Bernat, Editions Hermes Lavoisier.

AVS


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