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Un déclassement pour débuter le démantèlement de l’ACSé et de l’ANAEM (Décision n° 2008-214 L du 04 décembre 2008)

Publié le 15 décembre 2008 par Combatsdh

En application de l'article 37 alinéa 2 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 novembre 2008 par le Premier ministre d'une demande de déclassement de dispositions législatives de divers codes (CESEDA, CASF, CGI, Code du travail, etc.) fixant la dénomination de l'établissement public national " A gence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations " (ANAEM) ou de l'appelation " Agence" la désignant.

Un déclassement pour débuter le démantèlement de l’ACSé et de l’ANAEM (Décision n° 2008-214 L du 04 décembre 2008)Cette demande est motivée par la volonté du Gouvernement, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (voir la fiche sur le ministère de l'Immigration le M3I), de regrouper au sein d'un seul organisme les missions aujourd'hui confiées à l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations ( ANAEM) et à l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSE) relatives à l'accueil des "primo-arrivants". La constitution de ce nouvel organisme devrait donc se traduire au 1er janvier 2009 par le changement du nom de l'ANAEM et la disparition de l'ACSE et par le retour au bon vieux procécédé de l'Office: l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

Les arrières pensées de la demande de déclassement

Rappelons que l'ANAEM a été créée en janvier 2005 par les lois n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale par la fusion de l'Office des migrations internationales (OMI) et du Service sociale d'Aides aux Emigrants (SSAE).

A l'époque cette fusion avait déjà été fortement critiquée notamment du fait de la disparition de la mission très spécifique des travailleurs sociaux du SSAE à l'égard des immigrés. Le SSAE avait été créé en 1926 sur la base d'initiatives privées pour accompagner les mouvements des réfugiés essentiellement européens. L'association avait été reconnue d'utilité publique en 1932. Symboliquement le comité d'entreprise du SSAE a d'ailleurs versé son reliquat de trésorerie au Gisti lors de sa liquidation. Il a aussi été créé une association éponyme ( Soutien, solidarité et action en faveur des émigrants).

L'Office des migrations internationales s'était quant à lui substitué en 1988 à l'Office National de l'Immigration (ONI). C'était un établissement public administratif de l'Etat qui avait été créé en 1945 et qui avait le monopole du recrutement et de l'introduction de la main-d'œuvre immigrée. En 1988, avec son changement de dénomination, sa mission a été étendue à l'emploi des Français à l'étranger.

Depuis 2005, l'ANAEM est essentiellement chargée du service public du premier accueil des étrangers (formations civiques et linguistiques) principalement par l'intermédiaire du Contrat d'Accueil et d'Intégration (C.A.I.).

Ainsi, paradoxalement, alors que le gouvernement n'a de cesse d'évoquer une rupture dans les politiques publiques de l'immigration, la création de l'OFII revient à la structure d'accueil des immigrés comparable à l'ONI de l'ordonnance du 2 novembre 1945...

Le nouvel Office devrait aussi absorber l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égamlité des chances (ACSÉ), créée par la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances.

du Un déclassement pour débuter le démantèlement de l’ACSé et de l’ANAEM (Décision n° 2008-214 L du 04 décembre 2008)L'ACSE était elle-même une fusion de la politique de la ville (délégation interministérielle de la ville DIV) et Fonds d'aide et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations(FASILD). Ce dernier avait reçu cette dénomination et cette mission de "lutte contre les discriminations" en 2001 dans le cadre de la loi du 16 novembre 2001.

Cet établissement public s'était substitué au Fastif ( Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille), lui-même descendant du premier "FAS": le Fonds d'Action sociale pour les travailleurs musulmans d'Algérie en métropole et pour leur famille fondé en 1958 dans le cadre du Plan Constantine (plan de valorisation de l'ensemble des ressources de l'Algérie, au plus fort de la guerre d'indépendance).

On peut donc dire qu'en matière d'immigration les gouvernants changent plus souvent la dénomination des structures d'accueil et de soutien que les politiques...

On remarquera aussi qu'à l'égard des immigrés le gouvernement abandonne la liaison établie en 2001 par le gouvernement Jospin, particulièrement par Martine Aubry aux Affaires Sociales, entre politiques d'immigration, d'intégration et lutte contre les discriminations. Il renonce aussi à l'association de ces politiques avec la politique de la ville comme cela avait été voulu, à Un déclassement pour débuter le démantèlement de l’ACSé et de l’ANAEM (Décision n° 2008-214 L du 04 décembre 2008)la suite des émeutes urbaines et de l'état d'urgence d'octobre-novembre 2005, par le gouvernement Villepin dans le cadre de la loi pour l'égalité des chances (c'était le thème de l'intéressante contribution de Fabrice DHUME au colloque de Toulouse du 10 décembre 2008 v. ici ).

Est-ce un hasard alors que la HALDE a constaté le caractère discriminatoire de plusieurs dispositions du CESEDA notamment issues de la loi Hortefeux?

On peut craindre aussi que cette décision soit l'occasion de couper les subventions au bénéfice des associations issues de l'immigration afin de faire des économies, au risque de faire éclater tout le dispositif d'insertion sociale réalisé par la société civile dans les quartiers. L'Acsé était héritière du "1%" du FAS en faveur du logement des immigrés.

Les coulisses du déclassement

Appliquant une jurisprudence bien rôdée (pour l'année 2008 c'est la cinquième décision en "L"), le Conseil constitutionnel fait droit à la demande du premier ministre en considérant que les dispositions qui se " bornent à dénommer " un établissement public " ne mettent en cause ni les règles concernant 'les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques' ni 'la création de catégories d'établissements publics'" relevant de l'article 34 d ela Constitution.

Ces dispositions présentent donc un caractère réglementaire.

Rappelons que l'article 37 C prévoit:

"Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire.Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d'État. Ceux de ces textes qui interviendraient après l'entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le Conseil constitutionnel a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire en vertu de l'alinéa précédent".

Comme le signale le commentaire autorisé aux Cahiers du conseil constitutionnel, la juridiction constitutionnelle avait déjà à connaître du déclassement de la dénomination de l' "Office national d'immigration" (Décision n° 87-152 L du 24 novembre 1987, Nature juridique de la dénomination "Office national d'immigration").

C'est la même procédure qui a été utilisée - peu après le départ de Renaud Denoix de St Marc du Conseil constitutionnel et peu avant son arrivée dans l'autre aile du Palais Royal - pour le déclassement de l'appelation du "Commissaire du gouvernement" ( n° 2006-208 L du 30 novembre 2006) - qui ne devrait pas tarder à disparaître pour être remplacée par le tristounet "rapporteur public" (voir nos billets).

On se rappelle aussi que cette procédure avait permis de retirer une épine du pied du président de la République, Jacques Chirac, lors de la polémique sur le "rôle positif" de la colonisation qui s'était éteinte avec la décision du 31 janvier 2006 ( n°2006-203L), reconnaissant le caractère réglementaire de certaines dispositions de la lode déclassement du 2è alinéa de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 (voir fiche wikipédia - Le président Mazeaud et M. Accoyer avaient alors soufflé cette issue de secours au président).

A l'époque, ayant parallèlement développé la même analyse, nous avions d'ailleurs lancé une demande collective de déclassement de ces dispositions dans le cadre du mouvement des chercheurs (v. ici).

En effet, dans une décision " Association ornithologique et mammalogique de Saône et Loire" - dont le nom est bien aimé des étudiants en droit :) - le Conseil d'Etat a estimé le refus du premier ministre de recourir à cette procédure de déclassement avait le caractère d'un acte administratif et est susceptible d'être déféré devant le juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir (CE 3 décembre 1999, AOMSL, ROC, FNE : n° 199622 au GAJA).

La même procédure - ou plus exactement celle se déroulant sur avis du Conseil d'Etat pour les dispositions législatives antérieures à 1958 - avait été utilisée, en vain, contre l'article 44 de la loi de finances du 22 mars 1924 pour obtenir la suppression de l'étrange condition de nationalité (française, de l'Union européenne ou d'une ancienne colonie ou protectorat français) pour bénéficier de la carte famille nombreuse ( CE 22 octobre 2003, Gisti et LDH).

[Mais, rassurez-vous, le Gisti étant persévérant, après saisine de la Halde et une recommandation (voir ici ), cette condition a fini par être supprimée par une loi de 5 mars 2007 ].

Ont été déclassées la dénomination d' "Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations" ou celle du mot "agence" employé à son propos aussi bien dans le corps des textes que dans les intitulés des divisions des codes concernés. Mais cela vaut aussi sur les codes suiveurs - charge au gouvernement de s'en assurer (v. article L. 322-1 du CESEDA, en tant que "code suiveur" de l'article L. 341-8 du code du travail - déclassé par la décision).

On remarquera, pour l'anecdote, que le commentaire aux CCC précise qu'il résulte de cette décision " sans qu'il soit besoin de le mentionner dans la décision, que les conséquences purement grammaticales de ce changement de dénomination - une "agence" devenant un "office" -, telles que les changements de déterminant et de pronom ou encore l'accord des adjectifs et des participes passés, pourront être prises en compte par le pouvoir réglementaire".

Autrement dit, le Conseil constitutionnel rappelle le gouvernement au respect de l'article 1er de la Constitution: la langue de la République est le français.

Mais, sait-on jamais, le commentaire précise que "par exemple" dans l'article L. 5223-1 du code du travail, " les mots : l'"Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations" est "chargée" pourra être remplacé par le pouvoir réglementaire par les mots : l' "Office français de l'immigration et de l'intégration" est "chargé".

Les mauvaises langues évoqueront-elles un nouveau cas de modulation des effets dans le temps (grammatical) des décisions du Conseil constitutionnel?

Décision n° 2008-214 L du 04 décembre 2008 Nature juridique de la dénomination "Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations"


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