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La géographie électorale du PS à l’issue de la bataille de Reims - 2/2

Publié le 16 décembre 2008 par Delits

Au terme des trois scrutins internes qui ont profondément agité et animé le Parti Socialiste et vu se dérouler un affrontement d’une rare violence, nous souhaitions par delà les chiffres nationaux revenir sur les résultats de ces élections afin d’apporter des éléments de réponse à différentes questions. Quel rôle et quelle influence ont eu les notables locaux dans l’issue du scrutin ? Quelle est la nouvelle géographie électorale socialiste et en quoi porte t’elle les marques d’affrontements antérieurs ? Et enfin, comment se sont comportés les courants et quels ont été les ressorts des dynamiques observés ?

Géographie électorale des différentes motions

Le vote des adhérents socialistes demeure assez en phase avec les positions prises par les premiers fédéraux (que ces derniers disposent d’une capacité d’influence ou qu’ils aient choisi par calcul politique de coller à ce qu’ils estimaient être l’opinion majoritaire de leur base…) même si, on l’a vu, des divergences multiples se sont manifestées. Dans de nombreux endroits, le parti ne « vote plus au canon » et il ne suffit donc plus de connaître l’orientation des dirigeants locaux pour en déduire le vote des militants. La mise en regard des résultats départementaux pour le congrès de Reims et lors des primaires de 2006 pour la désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle donne également certaines clés d’explication pour comprendre les dynamiques et les logiques à l’œuvre.
Sans trop de surprises, comme on peut l’observer dans le tableau suivant, il existe une très forte corrélation entre le vote Fabius en 2006 et le vote en faveur de la motion de Martine Aubry, qui a donc bénéficié d’un soutien sans faille du courant fabiusien (67 % par exemple en Seine-Maritime ou 61 % dans les Pyrénées-Orientales), l’un des plus disciplinés du parti.

Le score des motions Hamon et Aubry en fonction du score de L.Fabius aux primaires

Mais Benoît Hamon a également, dans une moindre mesure il est vrai, vu les résultats de sa motion s’indexer sur ceux obtenus par Laurent Fabius en 2006. On peut y voir l’expression de dissidences dans le courant fabiusien qui auraient ainsi préféré voter pour la motion la plus à gauche plutôt que de suivre la consigne venue de la direction du courant. Mais il s’agit également selon nous de quelque chose de plus profond. Lors des primaires, le vote Fabius avait constitué un très bon marqueur du niveau d’ancrage à gauche de chaque fédération. Et en dépit des affrontements sur la conception du parti, sur la nécessité ou non de renouveler les pratiques et des rivalités de pouvoir entre les différents ténors, le vote au congrès de Reims s’est également joué sur un clivage opposant la « gauche » à la « droite » du parti. Le score du bloc de gauche (Aubry-Hamon) croît en effet linéairement au détriment du bloc de droite (Royal-Delanoë) dans les fédérations qui avaient le plus voté pour Laurent Fabius en 2006 et qui avaient alors manifesté une forte inclinaison à gauche.

 

Cette grille de lecture apparaît donc assez opérante au regard de ces chiffres. Elle semble également indiquer en creux, qu’en dépit de l’implication de certains strauss-kahniens (dont Jean-Christophe Cambadélis par exemple) dans la démarche des « reconstructeurs » puis dans le soutien à la motion Aubry, cette dernière ait davantage bénéficié de voix fabiusiennes, mues par un choix politique d’ancrage à gauche que de voix strauss-kahniennes, se ralliant par choix personnel. Le tableau ci-dessous confirme l’apport limité à la motion Aubry d’électeurs strauss-kahniens, qui dans leur grande majorité, semblent avoir opté pour la motion A, dont certains signataires figuraient parmi les lieutenants de Dominique Strauss-Kahn (Pierre Moscovici par exemple).

Le score des motions Delanoë et Aubry en fonction du score de D.Strauss-Kahn aux primaires

Cette ligne de clivage entre droite et gauche du parti qui s’était exprimée à l’occasion des primaires en 2006 s’était manifestée avec plus de force encore au moment du référendum interne sur la constitution européenne fin 2004. L’aile gauche du parti avait alors constitué les gros bataillons du « non » dont les contours avaient largement dépassé les rangs des seuls fabiusiens historiques (le « non » ayant obtenu, rappelons-le, plus de 41 % des suffrages). Il est frappant de constater quatre ans après une forte proximité entre la géographie du « non » et celle du bloc Aubry-Hamon. Les scores de chacune de ces deux motions augmentent en effet très linéairement en fonction du niveau atteint par le « non » à l’époque comme le montre le tableau suivant.

Le score des différentes motions en fonction du score du « non » au référendum interne

Si cette homologie entre le score du « non » et celui de Benoît Hamon est assez logique, la corrélation avec les résultats de la motion Aubry est un peu plus surprenante. La maire de Lille a certes tenu un discours à gauche et elle comptait les fabiusiens parmi ses principaux soutiens. Mais dans le même temps, elle s’appuyait sur les fédérations du Nord et du Pas-de-Calais qui avaient majoritairement voté « oui », un certain nombre de figures strauss-kahniennes toutes tenantes du « oui » l’avaient ralliée et elle-même avait également fait campagne pour le « oui » à l’époque. Malgré cela, le score de sa motion ressort comme très corrélée au « non ». Tout se passe comme si son appel à dépasser le clivage du référendum dans une volonté de rassemblement avait davantage été entendu à la gauche du parti et parmi les « nonistes » alors que bon nombre d’« ouistes », notamment parmi les électeurs de Dominique Strauss-Kahn lors de la primaire, avaient rechigné à mêler leur voix avec celles de leurs adversaires d’hier, coupables de surcroît ne pas avoir respecté le vote interne à l’époque. Ce frein expliquerait notamment pourquoi, comme on l’a vu précédemment, les transferts strauss-kahniens ont été plus fournis vers Bertrand Delanoë que vers Martine Aubry.

Le score de la motion Royal est, quant à lui, inversement proportionnel au résultat du « non » dans les différents départements. On avait déjà noté une certaine correspondance entre la géographie du « oui » et la carte du vote Royal lors des primaires. La structure de la géographie du vote pour la motion Royal ressemble de fait assez fortement à celle des primaires en dépit d’une baisse des niveaux (Plus de 60 % lors des primaires contre près de 30 % au congrès). Parmi les grandes permanences, on retrouve une première zone de force du Poitou-Charentes et une partie des Pays-de-la-Loire et une seconde dans le grand sud-est de la Haute-Savoie à l’Aude en passant par les fiefs des Alpes de Haute-Provence (où est implanté Jean-Louis Bianco) et les grosses fédérations « royalistes » de l’Hérault et des Bouches-du-Rhône. A l’inverse, des zones de faiblesse persistent dans des départements à forte tradition de gauche : dans le massif central, en Champagne-Ardenne, des Landes aux Hautes-Pyrénées ou en Haute-Normandie fabiusienne.

Mais sous cette apparente stabilité de la géographie du « royalisme », des pertes spectaculaires ont également été enregistrées dans des départements dont les ténors, qui avaient massivement épaulé Ségolène Royal Royal lors des primaires ont soutenu, cette fois, un autre candidat entraînant des basculements entiers de fédérations. C’est ainsi dans la Corrèze « hollandaise » que Ségolène Royal recule le plus par rapport aux primaires avec une perte de…65 points . Le même cas de figure s’est produit dans le fief de son ancien allié Arnaud Montebourg (-62 points Saône-et-Loire) ou bien encore dans le Morbihan (- 53 points) et la Loire-Atlantique (- 45 points), terres d’élections respectives de Jean-Yves Le Drian et de Jean-Marc Ayrault qui l’avaient fortement soutenue à l’époque. Enfin, dans les deux grosses fédérations du Nord (-51 points) et du Pas-de-Calais (-48 points), ralliées à Martine Aubry, Ségolène Royal cède également du terrain.

La cartographie des voix s’étant portées sur la motion Aubry est très différente. Les fédérations fabiusiennes constituent, avec le Nord-Pas-de-Calais, l’ossature de la géographie « aubryiste » : Seine-Maritime, Eure, Oise, Pyrénées-Orientales, Gers, Seine-Saint-Denis et Haute-Corse. A cela s’ajoutent, des départements historiquement de gauche et ayant fortement voté « non » : en Champagne-Ardenne et de l’Indre à la Saône-et-Loire notamment. Sauf exceptions, la motion de la maire de Lille enregistre ses meilleurs scores dans un grand quart nord-est du pays. A contrario, la nouvelle dirigeante est en deçà de son score national dans quasiment tous les départements situés au sud d’une ligne Nantes-Annecy. Elle dispose également de très peu de points d’appui en Pays-de-la-Loire et en Bretagne. Cette géographie, caractérisée par un profond déséquilibre nord-sud et une sur-représentation de ses soutiens septentrionaux, indique que la Première secrétaire devra, en plus des équilibres entre courants, tenir compte de cette disparité spatiale dans la composition de son équipe de direction pour asseoir sa légitimité sur de vastes territoires où elle a été faiblement soutenue lors du congrès.

Si le ralliement des grands élus et des barons locaux constitua l’un des enjeux de la campagne pour le congrès, le vote des nouveaux adhérents (dont les fameux « adhérents à 20 euros » arrivés à l’occasion de la présidentielle) apparaissait aussi comme stratégique au regard de la forte augmentation des effectifs. Le PS compte actuellement environ 230 000 adhérents contre à peine 130 000 en 2004 au moment du référendum interne… Il avait été dit lors des primaires que Ségolène Royal l’avait emporté grâce au soutien massif de ces nouveaux adhérents, idée que nous avions nuancée, chiffres à l’appui, en montrant que Dominique Strauss-Kahn avait également profité de l’appui de ces nouveaux adhérents. Les éléments à notre disposition vont dans le même sens pour ce qui est du vote au congrès. Si l’on calcule en effet le score des différentes motions en fonction de l’évolution du nombre d’adhérents dans chacune des fédérations entre 2004 et 2008, on ne fait pas apparaître de corrélations fortes mais seulement de vagues tendances (souffrant d’exceptions nombreuses) donnant une plus forte propension des fédérations ayant vu leurs effectifs le plus gonfler à voter pour les motions Royal ou Delanoë. Mais il s’agit encore une fois d’une tendance plus que d’une vraie loi statistique et une fois encore Ségolène Royal n’est pas la seule à avoir bénéficié du soutien de ces nouveaux adhérents.

Au terme de ces trois scrutins, le Parti Socialiste apparaît donc bien divisé en deux blocs antagonistes entre lesquels les tensions ont atteint un niveau rarement égalé. Par delà des rivalités entre les deux finalistes et leurs équipes, les lignes de fracture semblent profondes. L’analyse cartographique a notamment montré que l’opposition entre la maire de Lille et la présidente de Poitou-Charentes renvoyait également à des clivages de fond qui s’étaient déjà exprimés lors de précédents scrutins et qui ont joué au moins aussi puissamment que le ralliement de tels ou tels notables à l’un ou l’autre des deux camps.


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