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Le Tour de France par deux enfants. Episode IX) L’Auvergne.

Publié le 17 décembre 2008 par Herbertlegrandkhan

Rappel : Les chapitres précédents du tour de France : Picardie, Normandie, Bretagne, Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et Rhône-Alpes, sont accessibles dans la catégorie “Voyages” (à droite).

Joseph et Marcel n’avaient pas totalement récupéré de la dégustation de Beaujolais Nouveau. Ils avaient encore le teint cireux et yeux globuleux. Joseph était le plus marqué des deux. Il avait un pauvre regard de fou et sa barbe avait poussé de quelques centimètres. Il se tenait plié en deux les mains sur les genoux pendant que son frère admirait le panneau.

Dès le passage de la frontière, on sent imperceptiblement que quelque chose a changé. D’après Fernand Reynaud et nombre d’Auvergnats, “l’Auvergne est une des plus belle régions du monde. Elle constitue le cœur de la France qui est elle même le cœur de l’Europe. Les Auvergnats sont débrouillards et chaleureux et la culture auvergnate est prestigieuse et ancienne”. Les géographes et les statisticiens ont une image un peu plus nuancée. L’Auvergne est la troisième région la plus pauvre du pays après la Corse et le Limousin. Le taux d’alcoolisme est catastrophique. La population vieillit, l’économie est sclérosée et son territoire est presque totalement enclavé.

- C’est beau cette région ! Cela me rappelle la Picardie. Déclara Marcel qui reprenait quelques couleurs. Je suis pressé d’être à Clermont-Ferrand !

Alors qu’ils cheminaient gaiement sur un petit sentier colonisé par les orties (en fait la départementale 324) ils croisèrent un paysan grumeleux vêtu d’un vieux pantalon en velours marron et d’une veste bleue, qui menait son petit troupeau de chèvres. En voyant le teint cireux de Joseph et son air de brute, il les aborda amicalement.

- Hola les deux grabiers ! Comment va ? Je parie que vous venez du Cantal. Je l’ai reconnu tout de suite, vous avez l’air des gens du Cantal.

Joseph, qui n’avait pas tous ses esprits le dévisagea avec animosité.

- Vous trouvez que nous avons une tête de fromage ?

- Non, je parlais du département, répondit le vieux. Le fromage est jaune, comme les Chinois, et vous, cela se voit tout de suite que vous n’êtes pas chinois.

- Nous ne venons pas du Cantal répliqua Marcel. Nous venons des terres lointaines, au-delà des bruyères où tout n’est que songes et froidure.

- Vous venez de l’Aveyron ? S’enquit le paysan.

- Non, nous venons de Picardie.

Une ombre passa sur le visage de l’ancêtre qui semblait rassembler dans sa mémoire les souvenirs d’une vie d’errance… ou plus probablement la liste des sous-préfectures du certificat d’étude.

- Hé ! La Picardie ! Les terres sont riches là-bas.

C’est tout ce qui lui vint à l’esprit en pensant aux plaines du nord. Ce pauvre diable avait passé sa vie à surveiller des chèvres qui déambulaient entre les cailloux du Forez. Imaginer des terres noires et lourdes où l’on peut cultiver des betteraves et du blé lui fit perler des larmes de nostalgie sur la joue.

Ils passèrent un bon moment avec ce pépé. Il connaissait des milliers d’anecdotes sur les gens des environs, des histoires de bagarres, de gaudrioles et d’héritages qui avaient mal tournés. Marcel et Joseph n’avaient rien à foutre de toutes ces histoires mais cela passait le temps… Après plusieurs jours de marche en sa compagnie, ils arrivèrent à Billon, petit bourg médiéval aux belles maisons de pierre.

Les visiteurs sont rares en Auvergne. Voyant qu’ils n’étaient pas du coin, un indigène les aborda pour faire la conversation. Il leur demanda des nouvelles de l’extérieur, d’où ils venaient, puis il parla de son village qui était, selon ses dires, un lieu de passage du célèbre Don Quichotte. Les deux frères ignoraient tout de ce héros de légende pour le plus grand ravissement de leur guide. Ce dernier leur raconta alors la véritable histoire de Don Quichotte “l’homme d’Isserpent” et son fidèle serviteur Sancho Marzi.

Cette histoire commence dans le Bourbonnais où Don Quichotte vivait paisiblement comme seigneur d’Isserpent. Un jour, il conçu le plus étrange projet jamais imaginé : devenir chevalier errant et jaillir dans le monde pour manger des harengs saurs. Ne plus être le simple Alonso Fradin, mais un preux chevalier connu sous le nom de Don Quichotte d’Isserpent. Il accomplit ses premiers faits d’armes à Clermont-Ferrant où il lutta contre la directrice de la résidence universitaire. Son courage irascible suscita l’admiration de ses voisins de paliers, dont le fameux Sancho Marzi qui devint son valet, son fils, son frère.

On raconte que Fradin Quichotte arriva dans le village de Billon le 31 décembre 2007 pour lutter contre les chalets. Vêtu d’une armure scintillante, flanqué de son fidèle Sancho, il attaqua les boiseries à coups de bouteilles de bière. Ce fait d’armes a donné lieu à un petit pèlerinage local sur les lieux du combat où l’on peut encore voir une petite entaille. L’histoire de Don Quichotte d’Isserpent a acquis une telle notoriété qu’une comédie musicale a été tournée sur les lieux de l’exploit :

Marcel et Joseph furent très impressionnés par ce récit. “C’est incroyable, commenta Joseph, chaque région possède son propre héros où sa bête fabuleuse. En Picardie, c’est Gilles de Robien, en Lozère, c’est la bête du Gévaudan et en Bretagne c’est Robert Surcouf.”

Après une journée de marche, les deux picards atteignirent Clermont-Ferrand, l’altière capitale auvergnate. Cette ville a longtemps souffert d’une image assez négative. Dans la guerre des Gaules, Jules César compare la ville à un “marché aux bestiaux étrusque.” Arthur Young, le célèbre agronome britannique déplorait encore en 1787 la pauvreté culturelle des salons clermontois. “Les Auvergnats redoutent autant les Lumières que le savon” écrit-il dans son journal de voyage.

Depuis quelques années, la réfection de la place de Jaude, la construction du tramway et des pistes cyclables associé à un grand programme de plantation ont profondément modifié l’image de la ville. Aujourd’hui, on peut dire que Clermont-Ferrand est aussi jolie et riante que Longwy ou Montceau-les-Mines. Clermont concentre les forces vives de la région :  Les universités, les industries de pointe et les commerces de haut niveau. On raconte que les gens de Saint-Flour, dans le Cantal, viennent à Clermont pour acheter du pain. Les Cantaliens sont d’ailleurs un grand sujet de plaisanterie pour Clermontois. C’est bien connu, on se moque toujours de plus pauvre que soit. Les gens du Puy-de-Dôme se moquent des Cantaliens. Les Cantaliens se moquent des Lozériens et les Lozériens ne se moquent de personne car il n’y a personne en dessous.

Marcel et Joseph sont charmés par le charme pittoresque de la métropole arverne mais ils aimeraient bien voir le Cantal qui semble être une contrée légendaire. Ils se rendirent donc à la gare pour acheter un billet.

- J’ai bien un TER pour Aurillac qui part demain matin à 6h40, annonça le guichetier. Il arrive dans le Cantal huit heures plus tard.

- Huit heures ?! C’est énorme ! Protesta Marcel. J’espère qu’il y a un wagon restaurant ?

- Non, il n’y a pas de wagon restaurant et c’est interdit de manger dans le train, parce que ça fait des miettes, appuya son interlocuteur.

- Mais personne ne peut rester huit heures sans manger !! S’écria Joseph. Même un brahmane endurci !! Vous n’avez pas un train plus rapide ?

- J’ai bien un train corail qui part demain matin à 8h05. Il met quatre heure pour rejoindre Aurillac.

- C’est parfait ! Répondit Marcel, on va prendre ce train.

- Par contre je dois vous avertir, il passe par Aurillac mais il ne s’arrête pas.

- Comment fait-on pour descendre ?

- Ça c’est vous qui voyez. Il y en a qui ont essayé, y ont eu des problèmes.

- Bon, je crois qu’on va prendre le bus s’énerva Marcel.

- Des bus en cette saison ? C’est impossible, les cols sont fermés par la neige.

- Mais on est au mois d’août !

- Je sais bien, mais le col du Puy Mary est fermé à partir du 16 août, répondit le guichetier. Je vous conseille plutôt de partir en Haute-Loire. C’est joli et la route est praticable en cette saison.

- Nous allons suivre votre conseil, mais nous partirons à pieds, répondit Marcel. Allez, portez-vous bien !

Alors ils s’engagèrent dans un long périple à travers les montagnes. Ils longèrent d’abord la vallée de l’Allier pour franchire le Horst de Saint-Yvoine. Il leur fallu deux jours pour atteindre Issoire et autant de jours pour atteindre les gorges de l’Allagnon. Survivre est un combat quotidien dans ces contrées infestées de chevreuils et de vaches Salers. On peut marcher plusieurs jours sans trouver la moindre boulangerie. Parfois, ils rencontraient un être humain qui descendait d’un arbre ou sortait d’un fourré.

Herbert Magnon photographié par Claude Levi-Strauss en août 2007.

Aborigène auvergnat photographié par Bear Gyles en 2006.

Les Auvergnats partagent environ 98.7% de leur ADN avec l’homme, ce qui en fait nos plus proches cousins avec les bonobos. Ils possèdent également un pouce préhensile pour attraper les courgettes et un lobe frontal développé. Cependant, les Auvergnats ne possèdent pas exactement les mêmes capacités cognitives. Un anthropologue a analysé la photo ci-dessus pour arriver à la conclusion qu’un Auvergnat moyen est incapable de parler. La configuration de la mâchoire et des muscles faciaux ne permet pas d’articuler des sons intelligibles. Les Auvergnats des villes sont néanmoins un peu plus évolués car Danielle Gilbert et Jean-Louis Murat passent régulièrement à la télé.

À mesure qu’ils s’approchaient de la Haute-Loire, la nature devenait un peu plus hostile et le climat plus froid. La brume tapissait le fond des vallées et les premières neiges occupaient les sommets.

Branche morte

Quand ils arrivèrent dans le Velay, l’hiver s’est installé depuis peu. C’était le 21 octobre. Le givre blanchissait délicatement les terres volcaniques et les arbres avaient abandonné le feuillage ocre des belles journées d’automne.

riante-haute-loire

Le Puy-en-Velay, préfecture de Haute-Loire est une ville animée en toutes saisons. Les caravanes de marchands relient la ville aux comptoirs du sud et les blanchisseuses emplissent les rues de leur gouaille citadine.

- Ça a l’air sympa comme ville, commenta Marcel, mais les gens ont l’air un peu traditionalistes. Les lépreux accrochés autour du pilori me mettent mal à l’aise.

- Moi aussi, ajouta son frère, je ne serais pas contre une région plus civilisée et évoluée.

- Tu as raison, répliqua l’aîné, partons dans le Limousin !

Alors les deux orphelins reprirent le chemin d’improbables aventures en direction des marches occidentales du Massif Central.

À suivre…

  

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