Anarchie
Dans cette traversée du désert qu'est ma vie
depuis le jour où je suis né à moi-même
et que j'ai fait le choix d'être humain
et libre
tu es cette oasis
invisible au-delà de la ligne d'horizon
et que je sais exister
puisqu'il m'arrive de la visiter en rêves
Toutefois
parfois
dans ma longue marche vers toi
Anarchie
il m'arrive de me dire que tu n'es pas
que tu ne seras jamais
parce que tu ne dois pas être
afin que les anarchistes puissent être
Les anarchistes
Mes sœurs et frères en cœur
en raison
en mécréance
en liberté
en dignité
en révolte
en bonheur
en souffrance
qui sont moi
une multitude d'autres mois
quand je suis eux
dans mon unicité
Anarchistes
qui sont l'Anarchie
les oasis de ce désert
dans lequel tant de femmes et d'hommes ont renoncés à leur humanité
préférant paraître couchés
que vivre debout
au risque de mourir couchés
quand d'autres meurent debout
Anarchie
tu es en moi
et je suis en toi
Quand le vent de l'histoire souffle vers moi
je sens tous tes parfums
j'entends ton bruit et ta fureur
mais aussi le silence de ta sérénité
de ta paix
Alors je te sais possible
et donc réelle
comme un fruit mûr s'offrant à la main de celle ou celui qui a faim
Faim de justice
d'égalité
de fraternité
de liberté
d'humanité
Mais le vent de l'histoire prend parfois d'autres directions
et s'en va se perdre dans les dédales du mensonge
de l'imposture
des croyances
du renoncement
de l'asservissement
de l'ordre assassin
liberticide
humanicide
Et de toi
je n'aperçois alors plus que cette faible lueur
cette imperceptible et impertinente étincelle
qui déchire la nuit de l'obscurantisme
et se nomme espoir
révolte
rébellion
et parfois
Révolution
Et se fait rires et larmes
joie et tristesse
sang et miel
envie et désir
singularité et solidarité
femmes et hommes
enfants et vieillards
vivants et morts
deuils et noces
combat et repos
fête et légende
Même alors
je te sais belle et désirable
quand je te devine sur le visage moqueur d'un enfant
dans le cri de celle ou celui que l'on assassine
dans la mort du résistant
dans le regard fou du poète
derrière et entre les mots
dans la hargne d'un poing levé
dans le claquement de ce drapeau noir
qui flotte comme une constante provocation
comme un refus qui s'affirme à la face de la résignation
et qui partage le sel de l'amitié
dans ce pavé jeté contre une horde de zombies uniformisés
dans la lame qui vient lécher la digue
histoire de lui dire que si elle le voulait elle pourrait la briser
dans ce chant qui monte de gorges lointaines et pourtant si proches
Et quand le doute se fait assaillant redoutable
alors
je laisse mes rêves chevaucher la vague débridée de l'instant
et je te nomme sur les murs des prisons
sur les portes de tous les interdits
sur les bûchers de l'intolérance
sur l'autel de l'ordre
sur le miroir des bonnes consciences
sur le linceul de la morale
sur la stèle des apôtres de la vérité
qui est toujours leur vérité
jamais la mienne
et
Te libérant de mon cerveau
je te fais chaos
force destructrice accoucheuse de vie
Je te fais incendie
raz-de-marée
cyclone
ouragan
séisme
rire rugissant d'une révolte désespérée de tous les espoirs
porteuse de l'espérance de tous les désespoirs
Je te fais PEUR
pour que du choc de ta force libératrice
tel le soc d'une charrue traçant le sillon d'un avenir radieux
naissent celles et ceux qui restent à naître
qui ne sont toujours pas humains
et qui ne savent rien de toi
mais qui de toi ont
PEUR
Toi
Anarchie
qui est si belle
si désirable
qui est partout et nulle part
qui est ce rire joyeux
cette rage de vivre
cet émerveillement de toutes choses
cette perpétuelle invention
cette dignité indestructible
cette révolte méthodique
ce désespoir parfois
rayonnant dans et de celles et ceux dans lesquelles/elles je me reconnais
puisqu'ils sont toi
toi
Anarchie
qui est ce moi dans lequel je me reconnais
et sans lequel je ne pourrais être