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Bayrou dans Le Point : curieuse, la journaliste, intriguée

Publié le 18 décembre 2008 par Pguillery

Dans Le Point, Emilie Trevert est sceptique à propos de Bayrou, mais curieuse. L'article est intitulé "Bayrou le candidat perpétuel" :

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Posté à l'avant du bateau, les mains dans les poches de sa veste matelassée, François Bayrou fixe l'horizon. A-t-il aperçu ce vol d'oies sauvages, au loin ? Ou bien se remémore-t-il ses virées d'étudiant bordelais dans le bassin d'Arcachon ? Qui sait... Ce jeudi matin automnal, alors que son staff a trouvé refuge sous l'auvent du bateau de promenade baptisé « Superfurax », l'impassible Bayrou prend racine sur le pont. En plein dans le champ de vision de « Chouchou », le capitaine, qui se contorsionne pour tenir son cap. Soudain, après cinq longues minutes de silence, le président du MoDem se tourne vers le propriétaire du parc à huîtres sur lequel il navigue. Commence alors un dialogue à la Beckett.

Bayrou, observant le balisage du parc :« C'est des branches enfoncées ? »

L'ostréiculteur :« Des pieux de chêne. »

Silence.

Bayrou :« Les pieux, vous les enfoncez à la masse ? »

Malgré son air rêveur, l'élève Bayrou n'est jamais à court de questions. De l'histoire de la conchyliculture aux différentes espèces d'oiseaux, tout y passe.« J'apprends des tas de choses ! »lance-t-il, un brin fayot, tel un gamin participant à sa première classe verte.

Alors que Sarkozy court la planète pour éteindre la crise, que le PS est sonné au lendemain du congrès de Reims, Bayrou, lui, entreprend un tour de France à son rythme, en père peinard. L'idée lui est venue à la rentrée. Il a dit à son équipe :« Je veux voir des ouvriers, des salariés, des gens qui se lèvent tôt. »

Depuis fin octobre, à raison de deux jours par semaine, Bayrou va donc à la rencontre des « vraies gens » qui vivent la crise.« C'est une cure de vérité,dit-il.Ça vous oblige à parler la langue des gens. »Avec les caissières d'un hypermarché du Nord, les ouvriers d'un chantier de la banlieue de Caen, les bûcherons d'une scierie des Vosges ou les couturières d'une usine de chaussettes, il laboure en solitaire le terrain social, abandonné depuis trop longtemps par les socialistes.

Dans le train qui l'emmène à Nîmes, ce 13 novembre (veille du congrès socialiste), Bayrou bouquine un polar : « Prends garde à toi ! », de Patricia Wentworth. Il y est question de machination politique, d'« un jeu de dupes mortel où tous les coups sont permis ».Le troisième homme de la présidentielle connaît bien le sujet, lui qui fut trahi et abandonné par les siens, ses ex-amis UDF ralliés à Sarkozy. Aujourd'hui, il se préserve.« C'est très important d'être en dehors de ce chaudron, c'est un piège mortel ! »dit« le sage rebelle »,une expression qu'il affectionne.« J'ai choisi d'être le plus loin possible des manoeuvres politiques et le plus près possible de la vie des gens. »Très peu parisien, il est vrai, le député béarnais passe la moitié de la semaine dans sa circonscription, l'autre en déplacement. Mais parfois, au cours d'un dîner arrosé, il lui arrive de commérer, comme ses congénères, sur les coulisses de la petite politique. Il s'amuse alors des rumeurs prêtant une liaison à Ségolène Royal avec un ex-auteur des « Guignols », de la petite mine de François Hollande, ou encore de Sarkozy qui l'a convoqué, le 5 novembre,« pour savoir s'[il]n'avai[t]pas changé d'avis sur l'ouverture »,et qui voudrait bien lui« piquer Marielle »(de Sarnez)...

Fausse modestie

Son Mac noir branché sur l'AFP, il assure ne pas lire les articles qui parlent de lui :« Si c'est bon, tant mieux, sinon ça vous démoralise. »Ni la presse politique en général sauf... les papiers sur le PS ! Là, il s'amuse. Se délecte même depuis quelques jours.« Ça a quelque chose d'original d'être le sujet du congrès d'un parti dont on n'est pas le membre !dit-il, malicieux.Un observateur qui viendrait de la planète Mars se demanderait pourquoi un grand parti comme le PS se focalise sur un si jeune et si petit parti comme le MoDem ! En fait, c'est très révélateur. Je savais qu'en créant le MoDem ça ferait bouger les lignes. »Bayrou jubile. Ses prédictions se confirment : un socialisme à bout de souffle, une présidence à l'américaine, la fin des repères classiques...« Si je peux me permettre, j'ai été le premier à le dire »,ose-t-il, en toute fausse modestie.

Plus que jamais habité par sa mission-devenir président-, Bayrou se voit déjà en haut de l'affiche en 2012.« Le champ des EP[éligibles à la présidentielle, NDLR]est assez restreint »,avance-t-il sur le ton de la confidence. Sarkozy, un socialiste et lui !« On n'est pas le même quand on a fait 20 % ou 5 % des voix. Maintenant, je peux prendre le temps long. Il y a une familiarité avec les Français, un lien indestructible... Je le sais, je l'ai toujours su »,assure-t-il. Une conviction renforcée par un sondage sur la présidentielle, publié dansLe Figarodu 14 novembre. Face à Martine Aubry-dont il est persuadé qu'elle finira par faire alliance avec le MoDem-, Bayrou obtiendrait 18 % des voix au premier tour.« Pas 1 % ne s'est éloigné de nous ! Le socle français est intact »,se félicite celui qui dit pourtant ne pas croire aux sondages. Caricaturé en Calimero par « Les Guignols », souvent victime de ses humeurs, est-il à la hauteur de ses ambitions ?« Ce type-là, il sera jamais président !tranche un contrôleur du TGV, surpris par le tempérament bougon du centriste.Il n'a pas ce truc qu'ont Sarko et Ségo... Le charisme ! »

18 h 30. Un mistral glacial s'engouffre dans la gare de Nîmes. Sur le quai, Bayrou reboutonne son inusable veste marron. S'arrête discuter avec trois jeunes. Puis descend un escalier en se demandant« comment font les personnes handicapées dans cette gare ? »Ce soir, il anime un « café démocrate » à la Grande Bourse, sur la place des Arènes, où Ségolène Royal avait ses habitudes pendant la campagne de 2007. Dans cette brasserie début XIXe, devant 200 personnes, la tortue Bayrou sort de sa carapace. L'animal politique entre en piste. Sa méthode ? Pas d'ordre du jour, pas de sujet imposé. M. le Professeur laisse la parole à ses élèves, même les plus insolents.« C'est vous qui posez les questions, moi je m'efforce d'y répondre de manière qu'on ait un vrai échange et que ce ne soit pas un meeting politique. »En apparence, du moins.

Un policier, une enseignante, une artiste-Bayrou tient à la parité-l'interpellent, inquiets des réformes en cours et de leur avenir dans la crise. Qu'importent les questions, Bayrou a ses réponses. Toujours les mêmes : il fustige le travail du dimanche, la retraite à 70 ans, la« réforme-zapping »du lycée, justifie son vote au plan de sauvetage des banques...

A une femme l'interrogeant sur les écoles maternelles, dans un meeting à Arcachon-l'ancien lieu de vacances de Sarkozy-, Bayrou répondra par... Tapie ! Tapie, son dada.« On a donné à M. Tapie, en une journée, le double de ce qu'on a donné aux agriculteurs pour trois ans ! Je n'ai pas besoin de rappeler le pedigree de l'impétrant... »Applaudissements. Le refrain est populaire :« Nous vivons des abus de pouvoir... Les cartes sont sous la table, les Français n'y ont pas accès. »Ça sonne presque Lutte ouvrière. Bayrou tente d'insuffler, en douceur, un vent de révolte :« Les citoyens français ne devraient pas accepter ce genre de choses ! »répète-t-il à longueur de meeting.« Mais qu'est-ce que le citoyen peut faire pour s'opposer à cela ? »demande une pharmacienne, s'offusquant de la mode des ordonnances gouvernementales.« Eh bien, voter pour celui qui s'y oppose ! »répond le candidat Bayrou.« On parle beaucoup de vendre la peau de l'ours mais faut-il encore savoir comment on va le tuer ! Quelle est votre stratégie ? »tente un ingénieur à la retraite. Pas de réponse.

« Humaniste ».

Le lendemain matin, sur le marché de Nîmes, on retrouve l'insolent retraité, un panier de légumes sous le bras :« Si Bayrou s'y prend comme ça, il n'ira pas loin,juge-t-il.Y a déjà tellement de gens qui lui ont tourné le dos. Il devrait être plus dirigiste, donner envie aux gens de se battre ! »L'intéressé arrive, en retard, comme à son habitude. Officiellement, il accompagne un candidat aux cantonales, qui obtiendra 12 % des voix. A Arcachon et à Reims, en revanche, son soutien n'a pas eu d'impact sur les scores du MoDem aux législatives partielles (5 et 8 %). Serrage de pinces en règle. Un vieux monsieur le poursuit avec une pétition sur la sécurité des périphériques adressée au... président de la République ! Une étudiante lui tend timidement un livre de Rousseau.« Je peux avoir une dédicace ? »ose-t-elle avant de lui déclarer :« Je vous adore ! »Un fromager-poète lui déclame « avé » l'accent :« Votez pour le MoDem, vous ne serez jamais en peine ! »

On nous avait promis un tour de France« sans arrière-pensées »(dixit son cabinet), c'est raté ! Bayrou est bien en campagne.« Un homme politique qui fait son travail est toujours en campagne »,justifie son « sparring-partner », l'ancien journaliste Philippe Lapousterle, à qui Bayrou téléphone plusieurs fois par jour. Côté programme, en revanche, rien n'est encore défini. On sait juste que son projet est« humaniste ».

Dans un café nîmois, sous un tableau représentant Martin Luther King, Bayrou pose en révolutionnaire centriste. On lui demande quel est son rêve à lui. Un peu gêné, il finit par se lancer :« Mon rêve ? Je rêve d'un pays civique où de l'ouvrier au commerçant, en passant par le paysan, tout le monde se reconnaisse dans les choix du pays... » « Il a des idées simples, on a besoin de ça »,soutient une militante MoDem devant le PMU où son président prend le temps d'avaler une salade avant de rejoindre Paris.

(c) Le Point, 2008


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