C'est une intuition. Qui m'est revenue il y a peu. Elle s'adosse à un sigle que nous connaissons tous je pense et qui n'est pas une banque : CIO. Centre d'information et d'orientation. Ado, j'adorais aller traîner mes guêtres dans ce temple du futur. C'est dans les CIO, en effet, que l'on peut (pouvait ?) se renseigner sur un métier, une filière, que l'on peut s'orienter dans le dédale des formations, choisir en connaissance de cause une profession et les chemins qui y conduisent. Je passais des heures à regarder des fiches métier, des parcours, à mettre en tête des noms de diplômes, d'écoles, de ceci, de celà. Je trouvais cela fascinant. Je rêvais, de brochures en brochures. Je sentais bien, déjà, à l'époque, que les quelques heures passées à l'école avec des conseillers d'orientation, il me semble même que nous passions des tests qui étaient censés nous aider à nous orienter, n'étaient pas suffisantes.
C'était le temps du chômage que l'on voyait venir gros comme une maison. Premières peurs.
Le temps où le diplôme avait encore un peu un sens. Le temps où des parents étaient prêts à tout pour que leur gamin suive un cursus lui permettant de mener belle vie. Ils y croyaient, tous. Tous nous y croyions.
J'avais pour ma part cette intuition : pourquoi si peu d'heures à bosser sur notre orientation avec des professionnels ? Pourquoi on rêve d'un métier et ensuite tout se complique ?
C'est longtemps après que je me suis fait la remarque : gamin, on te demande de faire briller tes yeux et d'évoquer un métier, une profession. Tu le fais, tu grandis avec ça. Et puis à un moment, y'a un espèce de tunnel qui se met en place et dans lequel tu t'engoufres. Le métier, alors, est loin. A la place, le chemin qui est sensé y conduire a pris le dessus. Le scolarisme a tout avalé. Le métier est une espèce de truc informe au loin qui pianote plus ou moins avec patience. C'est le temps des compromis. Des parcours. Je fais tel truc, puis tel autre, j'obtiens tel sésame, puis tel autre. Il est alors loin, le métier, enfoui le projet, perdue de vue la destination. On peut objecter. Dire que ce n'est pas le cas de tout le monde. Qu'il suffit de ne pas lâcher le cap, ce genre de choses. Je suis moi-même mal placé pour évoquer cela : j'ai eu la chance de suivre un chemin, justement. Il ne m'a pas forcément conduit là où je l'aurais pensé, mais il a pu se nourrir de cohérence et de possibles. Mais combien d'autres n'ont pas eu cela ? Combien, du possible, n'ont fait que cumuler les impasses ? Réformer l'école, c'est revoir les contenus. C'est aussi rajouter des disciplines. Et amener la culture du projet au plus tôt. Déjà, gamins, nous pensions que l'école ne servait à rien. On voit bien aujourd'hui qu'elle est peut-être l'ultime rempart de la république. Un lieu à chérir et non à pourrir. Un lieu à rénover pour que d'autres souffles y soient possibles. L'orientation, la culture, le sport, l'éducation à l'image. Ce qu'il manque pour que tout cela arrive dans l'école ? Un projet. Une vision. Un sens. On parle réforme avec le rictus du tueur. J'aimerais qu'on parle évolution, avec la fierté des satisfactions futures. Avec conscience. Bonne conscience. Arrêtons de gérer. Commençons à oser.