Le prochain sommet de l’OTAN se tient les 2-3 décembre à Bruxelles. Le principal sujet de débat de cette réunion est l’avenir des relations otano-ukrainiennes. Les idées des Etats-membres de l’OTAN sur cette question s’opposent. Il me semble important d’attirer l’attention à la fois sur la situation intérieure ukrainienne et sur l’évolution géostratégique et géopolitique du continent européen pour aborder ce problème.
La question de l’adhésion ukrainienne à l’OTAN est complexe. En Ukraine même, nombre d’experts considèrent que l’entrée dans l’Alliance atlantique doit précéder l’adhésion à l’Union européenne. En revanche, l’idée des cercles français sur ce sujet est souvent à l’opposé car il est communément admis qu’il n’est pas nécessaire pour l’Ukraine de devenir un membre de l’OTAN pour entrer dans l’UE.
Il est vrai qu’à l’appui de cette thèse vient en renfort la majorité de la population ukrainienne hostile à l’Alliance atlantique… Selon la plupart des sondages, elle est contre l’adhésion à l’OTAN alors que l’immense majorité de nos experts est en faveur de l’idée d’adhésion. Par exemple, d’après un sondage réalisé fin août 2008 par l’Institut de Sociologie de l’Académie Nationale des Sciences d’Ukraine sur les moyens de renforcer la sécurité nationale, 16,6 % des Ukrainiens seraient pour l’adhésion à l’OTAN, 23,5 % pour l’adhésion au pacte de Tachkent, 43,3 % pour être neutres, 16,6 % d’un autre avis ou sans opinion. Néanmoins, il faut tenir compte de l’ignorance, voire de la désinformation, d’une grande partie de la population ukrainienne sur l’OTAN liées aux stéréotypes du temps révolu de la guerre froide.
Intéressons-nous maintenant aux experts ukrainiens pour connaître leur position sur le sujet. Leur argument est que l’Ukraine n’est pas dans une situation géostratégique stabilisée en étant coincée entre deux structures de sécurité collectives – l’OTAN à l’Ouest et le pacte de Tachkent à l’Est, l’Ukraine devenant le principal champ de bataille dans le cas d’un conflit entre les deux parties. Selon l’avis de l’ancien ministre ukrainien de la défense Konstyantyn Morozov, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN serait « le seul moyen de garantir la sécurité militaire de l’Ukraine en réunissant du potentiel de défense ».
De plus, si l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN il y avait, les tensions russo-ukrainiennes, chroniques pendant les périodes de crise du pays (disputes autour de la base de Sébastopol, interventions russes dans les domaines politique et économique ukrainiens, etc.), seraient fortement réduites.
Les experts ukrainiens pensent qu’en devenant membre de l’Alliance atlantique, l’Ukraine renforcerait son avenir d’Etat démocratique respectant les valeurs communes aux Etats-membres, réformerait son armée selon les standards communs et surtout, assurerait sa souveraineté en cas de conflit. Les adversaires de l’adhésion à l’OTAN rappellent que l’Ukraine est un pays constitutionnellement neutre, qu’il y aurait d’inévitables crises extérieures avec la Russie sans parler de possibles ruptures internes. Toutefois, certains experts soulignent que l’Ukraine ne peut pas se permettre de rester neutre. D’après Oleksandre Dergatchov, « il est peu probable que l’Ukraine puisse se permettre d’évoluer dans une totale neutralité, en ne comptant que sur elle-même pour assurer sa sécurité ».
Quant à Mykhailo Gontchar, il explique que « ce n’est pas un bon choix de rester un pays neutre car cela demandera plus de dépenses parce qu’un pays neutre doit garantir une défense de son territoire de tous côtés ce qui est dans la situation économique actuelle ukrainienne peu vraisemblable ». Si l’Ukraine n’adhérait pas à l’OTAN elle deviendrait pour Oleksandre Demenko « une monnaie d‘échange dans les relations entre la Russie et l’Occident. Dans le meilleur des cas elle jouerait le rôle de zone tampon entre les systèmes concurrents, dans le pire elle devrait se soumettre aux intérêts russes ». A noter qu’à la différence de leurs homologues français, les experts ukrainiens pensent que l’adhésion à l’OTAN est liée à l’intégration de l’Ukraine dans l’UE. Pour le général Vadim Gretchaninov, président du Conseil Atlantique d’Ukraine « l’adhésion à l’OTAN – c’est un certain type de préparation pour intégrer l’UE à terme ».
Mais beaucoup des experts ukrainiens réalisent que la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’Alliance atlantique est un problème complexe, qui peut diviser le pays. Pour Pavlo Jovnirenko, le moment opportun pour une adhésion apaisée est passé. Il propose à la place le concept de « neutralité conditionnelle ». L’Ukraine signerait un double accord avec l’OTAN et le pacte de Tachkent. L’Ukraine serait un pays neutre. Les deux organisations de sécurité accepteraient de respecter la souveraineté complète de l’Ukraine. Dans le cas où l’une de ces structures ne respecterait pas l’accord, l’Ukraine obtiendrait le droit d’adhérer tout de suite comme membre à part entière à l’autre organisation.
Le conflit russo-géorgien autour de l’Ossétie du Sud en août 2008 a suscité en Ukraine débats et écrits sur l’opportunité de la neutralité du pays. Par exemple, Sergey Grinevetskiy, un député (Bloc de Litvine) de la Rada propose une neutralité active permanente. L’Ambassadeur, Anatoliy Orel, directeur du Centre des recherches internationales et comparatives, estime nécessaire d’inscrire l’Ukraine en dehors de tout bloc, ou en d’autres termes, il envisage une politique de non adhésion à une quelconque alliance militaire. Last but not least, il faut accepter le fait que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’est plus de nos jours soutenue politiquement que par le parti du président Victor Iouchtchenko « Notre Ukraine » lequel ne pèserait que pour 15 % des voix…
En prenant en compte tous ces facteurs, et en particulier la crise politique ukrainienne marquée par les dissensions à l’intérieur de l’ancien camp orange entre le président Viktor Iouchtchenko et le premier ministre Yulia Timochenko, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’Ukraine ne peut espérer obtenir le Plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN pendant ce sommet des 2-3 décembre à Bruxelles.
Par Oksana Mitrofanova, docteur en Sciences Politiques, directrice des programmes européens au Centre des recherches stratégiques (Kiev, Ukraine), maître de conférences invitée à l’Université Panthéon-Assas, Paris II.
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