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Pour la belle Osa

Publié le 15 décembre 2008 par Arsobispo

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Celui qui, comme moi, a choisi ce livre pour Martin et Osa Johnson, pensant retrouver le compagnon de Jack London, le cinéaste de l’Afrique sauvage et des réducteurs de têtes, risque fort d’être déçu. Bien que l’auteur, soit sans doute, le fils légitime de l’aventure de l’ailleurs, ce n’est pas ce ressort qui tend cette œuvre dont les jurés du Goncourt se laissèrent aller un temps à y entrevoir leur lauréat.

« La beauté du monde », celle bien évidemment de l’Afrique sauvage et vierge, ne commence réellement qu’à l’issue de 280 pages de relation de la vie mondaine et intellectuelle du New York des années 20, en pleine prohibition mais aussi en plein ébullition culturelle. Et Michel Le bris s’entend pour retracer cette époque. Il y voit d’ailleurs une aventure toute aussi excitante qu’un safari africain. « …la véritable jungle était ici, plus dangereuse que celle de Bornéo. » fait-il dire à l’un de ses personnages.

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C’est l’époque des Ziegfeld follies, de l’alcool frelaté, d’une libération féminine bien temporaire, sous les strass de l’hôtel Algonquin, du Rivoli, du Jungle club, ou du Puncheon bar. Au Beaux-arts, chez Tony Soma, on y danse le toddle, le black bottom, en compagnie des flappers dont Zelda, l’épouse de Scott Fitzgerald est l’une des prêtresses. A ses côtés, amie et rivale, l’actrice Tallulah Brockman Bankhead et ses compagnons du « cercle vicieux » connu aussi sous les termes de « la table ronde du Gonk », le surnom de l’Algonquin. Tous sont présents : Robert Blenchey, (le grand-père de Peter Blenchey des « dents de la mer »), George Kaufman, Harold Ross, Dorothy Parker, Franklin Pierce Adams, le petit gros pédant à lunettes et sarcasmes, Alexander Woolcott, Heywood Broun, George Nathan, Robert Sherwood…

Et au centre, Osa Johnson, qui se cherche, se découvre, hésite, succombe et se ravise…

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Martin Johnson est occupé à d’autres découvertes. il peaufine son travail passé et prépare l’avenir. Il rencontre – et nous avec – les plus grands géographes du moment, notamment ceux du « Explorers Club ». Ainsi,Roy Chapman Andrews qui inspirera le héros d’Indiana Jones, et Yvette Borup Andrews son épouse. Lui  fut directeur de l’American Museum of Natural History de New York, et mèna des expéditions paléontologiques en Asie, Mongolie, désert de Gobi, Chine, Tibet, Birmanie. Son épouse navigue sur d’autres sphères, les cours d’Europe. Elle est rien moins que l’amie intime de la fille du Kaiser Guillaume.
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Martin rencontre Carl Akeley, grand chasseur et taxidermiste génial, spécialiste de la faune africaine mais surtout connu pour avoir accompagné l’ancien président Theodore Roosevelt dans son safari en Afrique. C’est alors qu’il prit conscience des ravages provoquées par l’expansion de la chasse sportive et la vulgarisation pédagogique de la faune africaine.

Il fréquente un célèbre paléontologue, le docteur Henry Fairfield Osborn, auteur prolixe, connu en France car certaines des œuvres y on été publiées. Mais il est surtout connu aujourd’hui par les jeunes pour avoir été « l’inventeur » du Tyrannosaurus rex et du non moins redoutable Velociraptor.

L’Afrique n’est pas la seule des préoccupations de ces géographes, Vilhjalmur Stefansson, est là pour en témoigner. Canadien et non norvégien comme son nom le laisse supposer, il fut un des grands de l’exploration polaire ; notamment du grand nord américain. Son aventure, après le célèbre naufrage du « karluk » le rendit célèbre dans le monde entier.

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Quand on ne pérore pas, on sort, swing et chant jazzy qui est en train de séduire la grande pomme. Et on se retrouve chez les uns et chez les autres. Je ne résiste pas à vous parler de ce passage consacré à un splendide déjeuner à la table de Yvette Borup, et de son époux Roy Chapman Andrews. Pour commencer quelques amuse-gueules traditionnels de Mongolie à grignoter sans façon : des baktsa, boulettes arrosées de beurre fondu aux saveurs pimentées, hushuur et buzz, sortes de chausson aux pommes exhalant leur aromes par un petit orifice pratiquée sur la croûte, bansh bouillis, shemog ou momo, raviolis farcis de viande et de légumes relevés d’épices, de coriandre, persil, ciboule et menthe, certains cuits à la vapeur, d’autres frits, qu’il faut tremper dans de la sauce de soja.
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En plat, la potée Ta Pin Lou, servie sur un plat en cuivre sur un lit de braises ardentes. En fait, la fondue mongole aux vapeurs de marsala : feuilles de chou blanchi, épinards émincés, curry, sambal, tofu, purée de piments, champignons, sauces rehaussées de ciboulette, de persil, de coriandre, de câpres, d’oignons et de sésame. En viande, des lamelles fines d’agneau, de volaille et de poisson. Chaque morceau doit être trempé dans ce bouillon aux trente épices. Quand la viande est terminée, c’est les légumes qui sont plongés dans le bouillon ou ils mijotent avant d’être dégustés à leur tour.

Rien que pour cette scène, Michel Le Bris méritait le Goncourt !

Mais trêve de soirées et de dîners dans ces milieux chics et insouciants New-yorkais, passons en Afrique. Voilà maintenant le Kenya. Et de nouveau des portraits extraordinaires qui font de ce livre, une véritable encyclopédie du monde de l’exploration anglosaxone au début du 20e siècle.

On retrouve bien évidemment le « baron rouge » Lord Delamere, mais aussi

  • Denys Finch Hatton, dont Ro
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    bert Redford joua le rôle dans « Out of Africa »,
  • l’écrivaine et pilote de brousse Beryl Clutterbuck Markham et son futur époux, le capitaine Jock Purves,
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  • le baron Bror Blixen bien moins connu que son épouse karen,
  • Paul Rainey, qui avait accompagné l’explorateur Harry Whitney dans l’arctique et qui chassait en Afrique avec des chiens - il se rendit célèbre en tuant 9 lions en 35 minutes,
  • Charles Cottar qui trouva l’astuce pour saisir de stupéfiantes scènes de film, se faire « charger » quitte à laisser un pied à un léopard ou un bras à un rhinocéros (c’est d’ailleurs l’un de ces animaux qui le tua bien plus tard à l’age de 67 ans),

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  • les frères Philip et Arthur Blayney Percival – le premier fut guide du duc et de la duchesse de York
  • le richissime Sir William Northrup MacMillan célèbre aventurier africain notamment guide de l’explorateur norvégien Burchart Heinrich Jessen. Il nomma un des pics des monts Kenya du nom de sa femme, Elle, en sa mémoire, fit construire une splendide bibliothèque à Nairobi.
  • le dandy Fritz Schindelar,
  • et tous les autres, Berkeley Cole, Richard John Cunningham, John Hunter, Alan Lindsay Black, Stanley Taylor,

Avec de tels références – époque et personnages - cet essai romancé ne pouvait être qu’épique… Mais c’est surtout un hommage à l’héroine qui nous mène dans cette époque et en ces lieues, tous aussi sauvages, en Afrique comme en Amérique, la belle Osa…

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