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F. Robert Rodman : “Winnicott, sa vie, son oeuvre”

Publié le 28 décembre 2008 par Colbox

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Libé 24 déc
Winnicott papy ours
Parution simultanée de deux biographies du pédiatre et psychanalyste anglais.
ROBERT MAGGIORI

F. Robert Rodman

Winnicott, sa vie, son œuvre
Traduit de l’américain par Danièle Faugeras et Sonia Hermellin Erès, 538 pp., 28 euros.

Vraiment populaire, il l’est devenu grâce aux Peanuts. Charlie Brown ou Snoopy ne le citent pas expressément, mais il est sûr que l’un des principaux concepts qu’il a élaborés - l’objet transitionnel - trouve sa plus célèbre illustration dans la couverture que Linus traîne toujours avec lui. Curieux destin que celui de Donald Woods Winnicott, dont la pensée est plus connue que le nom, en ce qu’elle a, comme par invisible perfusion, pénétré une large part de la pédiatrie, de la psychanalyse et de la psychologie de l’enfant, inspiré nombre de pratiques cliniques, modifié même le regard qu’on portait sur le bébé et la relation mère-enfant, le rôle du jeu ou des «gribouillages», l’importance, justement, du «doudou». Dès qu’on parle de tout-petits, on «fait du Winnicott» sans le savoir - comme Monsieur Jourdain.

Curieux personnage aussi que ce pédiatre-psychanalyste à la fois classique et hérétique, indépendant en tout cas, un pur créatif, qui ne se réclamait d’aucune école - restant sagement, au sein de la Société psychanalytique anglaise, «entre» le Groupe A (fidèle à Anna Freud) et le Groupe B (fidèle à Melanie Klein) - qui n’a pas créé d’école et qui, «par le jeu de la pensée, de l’imaginaire et de la spéculation», par sa «capacité de porter le regard sur ce que personne auparavant n’avait vu», continue à produire l’effet d’une «roue de Catherine», d’un «feu d’artifice tournoyant qui projette des étincelles dans toutes les directions». Curieuse coïncidence enfin que la parution de deux biographies - celle d’Adam Phillips, rédigée il y a vingt ans (lire ci-contre) et celle, publiée en 2004, de F. Robert Rodman, Winnicott, sa vie, son œuvre - qui se complètent, parfois se répètent, mais, bien que solides, précises, circonstanciées, n’arrivent pas à «figer» le «feu d’artifice».

Conflits. «Donald Winnicott naquit en 1896, l’année qui suivit l’incarcération d’Oscar Wilde à la geôle de Reading et l’année qui précéda la célébration des soixante ans de règne de la reine Victoria. L’Empire britannique occupait un quart de la superficie de la terre.» La biographie de F. Robert Rodman est de facture classique. Psychanalyste et écrivain américain (1934-2004), éditeur de la Correspondance de Winnicott, Rodman, qui a eu accès à des informations inédites grâce à la veuve de Winnicott ou d’autres membres de la famille, met constamment en connexion le devenir de l’œuvre du clinicien et les vicissitudes de sa vie relationnelle ou de son roman familial, et, de l’autre, dégage les fils qui tissent cette histoire avec l’histoire de la psychanalyse britannique depuis les années 30, dans le détail des conflits personnels ou doctrinaux qui la traversent.

Aussi voit-on comment Winnicott - qui au début se perçoit en «phénomène», seul psychanalyste anglais (analysé d’abord par James Strachey, le traducteur de Freud, puis par la kleinienne Joan Riviere) à être médecin-pédiatre et exercer en hôpital - est d’abord sensible à l’idée que l’élaboration d’un «Soi» authentique implique la prise en compte de l’agressivité, des sentiments archaïques de haine et des fantasmes originels de destructivité. Mais l’attention portée à ces fantasmes («dette» envers Melanie Klein) ne l’empêche pas de considérer aussi l’espace vital réel de l’enfant, les privations, frustrations et violences réelles qu’il peut y rencontrer et qui peuvent être causes d’angoisses de persécution ou, justement, d’agressivité. C’est pourquoi il va mettre de plus en plus l’accent sur l’idée, aujourd’hui reconnue, que l’«esprit» naît et croît dans une interaction constante entre l’«intérieur» et l’«extérieur», autrement dit reconnaît que, un bébé, «ça n’existe pas», en ce qu’il est partie d’une relation enfant-mère.

Pour Winnicott, l’enfant commence sa vie comme être déjà «social», auquel la satisfaction n’est donnée que dans un contexte relationnel : ce sont les soins dévoués de la mère qui (après un moment d’illusion et de toute-puissance hallucinatoire) font sentir à l’enfant que la vie est réelle. De là, ensuite, les concepts qui sont comme le label de sa pensée : mère suffisamment bonne, préoccupation maternelle primaire, holding, vrai et faux Self, object presenting, espace et objet transitionnel, handling…

Bad Boy.Mais sans doute sera-t-on davantage intrigué par l’enfance de Winnicott lui-même, telle que Rodman la reconstitue : sa vie familiale dans la grande maison Rockville, à Mannamead (Devon) ; ses années de formation à la Leys School ; le rapport avec sa mère, Elizabeth Martha Woods, qui le sevra très vite parce qu’elle n’acceptait pas la jouissance que l’allaiter lui procurait ; la relation difficile avec son père, John Frederick, homme d’affaires entreprenant, maire de Plymouth, incarnation de la puissance patriarcale ; les liens avec ses sœurs, Violet et Kathleen, des «saintes» qui restèrent vieilles filles ; son goût du sport ; son mariage en 1923 avec Alice Taylor, qui dura un quart de siècle mais ne comprit jamais de relation sexuelle ; sa liaison, sans doute un peu plus charnelle, avec Clare Britton, qu’il épouse en 1951… On laisse deviner les incidences de la vie sur l’œuvre, d’une vie passée dans un milieu où l’idéalisation était celle de la femme asexuée, et une œuvre axée sur la symbiose de la mère et du bébé.

Enfant, Donald se trouvait «trop gentil» et se mit à jurer, à se comporter en bad boy. Certains lui reprochaient une certaine dureté, d’autres louaient son «espièglerie de lutin», son humour, «son amour et sa tendresse». Alors qu’il se remettait du dernier de ses six infarctus, il grimpa à un arbre pour en couper la cime : «Il gâche la vue de notre fenêtre !» C’était un mois avant sa mort, le 22 janvier 1971. Il voulait toujours voir loin, dans le ciel comme dans l’âme des hommes - en gardant, dans la sienne, quelques secrets.

Lire également : Winnicott, une nouvelle approche, de Laura Dethiville (Campagne Première), et Winnicott, introduction à son œuvre, de Madeleine Davis et David Wallbridge (PUF, janvier)

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