Magazine Histoire

12 - L'heure tourne

Par Basile
Une façade noire. Un graffiti sur le volet. La sensation très nette que cette devanture n'est pas ouverte, pas plus qu'elle ne ressemble au rad sympa qu'il fréquentait il y a quelques années.
"Qu'est-ce que c'est que ce bordel?", maugréa Steve planté devant le n°14 de la rue Keller: "ils ont mis la clé sous la porte ou quoi?". Ses yeux ne cessaient d'examiner la façade peu alléchante du bâtiment, mais aucun signe visible ne permettait d'en apprendre plus sur sa fonction. Quelques pas. Un coup d'oeil au bout de la rue: personne. Attendre Paul. "Saloperie de journée!".
Un léger grincement attira son attention: un homme sortait d'un porche jouxtant le n°14; peut-être avait-il quelques infos. "Euh...excusez-moi...bonjour...vous sauriez éventuellement ce qu'est devenu le bar qui se trouvait là autrefois?", demanda-t-il en pointant du doigt le bâtiment. Le type se retourna, le visage fermé: il avait le crâne rasé, un cou de taureau et portait un T-shirt noir bien serré sur son torse sur lequel on pouvait lire le prénom Bobby. "Qu'est-ce tu cherches exactement?", lâcha-t-il d'un ton peu engageant. "Euh...je sais pas...rien de spécial...enfin juste euh...". Des balbutiements. Une sensation de gêne incroyable. Pourquoi fallait-il toujours qu'il s'écrase face à plus fort que lui? Steve releva les yeux: ceux du crâne rasé étaient pointés sur lui et pas d'une façon amicale. "Tu joues au con ou tu viens pour la première fois?" Blocage. Incompréhension. "Alors, soit tu te casses, soit tu reviens ce soir et pas dans cette tenue, ok?" Steve sentit l'angoisse lui étriller le ventre. Le mec s'avançait. Steve recula d'un pas: avant d'avoir pu ouvrir la bouche, une main s'abattit lourdement sur son épaule.
"Alors qu'est-ce que tu fous? Tiens! salut Robert!" Poignée de mains virile. Les yeux ronds, Steve contemplait Paul engager la conversation avec "Robert/Bobby". "Je vois que t'as fait connaissance avec mon pote Steve...c'est un ami d'enfance...un peu perdu en ce moment hein?", fit Paul avec un léger sourire tout en se tournant vers lui. Le dénommé Robert, l'air un peu moins rude, prit la parole: "Ca fait une paye qu'on t'a pas vu en tout cas! Si tu te repointes un de ces soirs, ramène-nous Steevy, on s'en occupera sans problème!..." Le mec s'éloigna, le bruit de ses bottes de biker claquant sur le bitume.
"Paul, tu peux m'expliquer ce que c'est que cette foire ou merde?" L'interpelé sourit: "Allez viens, on va se poser dans un vrai bar, on a chacun des trucs à se dire je crois".
10 minutes plus tard. Une table. Musique à sonorités brésiliennes. Deux pintes de cervoise - 2/3 de bière, 1/3 de vin blanc, un trait de jus de citron. "Alors là tu me fait halluciner! Je connais tes préférences sexuelles mais de là à fréquenter ce genre de club!..." Steve avait un peu de mal à intégrer ce qu'était vraiment le Keller's Club...oui, vraiment du mal. "Ouais bon, je sais que je t'en avais jamais parlé, mais c'est mon truc perso de temps en temps. Juste entre mecs qui savent pourquoi ils viennent. C'est un ex qui rentrait du Bénin à l'époque qui m'en avait parlé: on y est allé ensemble puis moi tout seul ensuite. C'est tout." Quelques instants de silence puis Paul fit: "Et toi, qu'est-ce qui se passe? pourquoi tu m'a fais venir au fait?"
Légèrement grisé par sa pinte, Steve sentit sa langue se délier et mis enfin son pote au courant: la fille, les flics, le sac, sa mère adoptive... Au tour de Paul de rester sans voix. Une clope. Une flamme. Le parfum apaisant du tabac qui envahit les narines. Réflexion. Steve sait qu'il peut compter sur le soutien de son ami. Il ne l'aurait pas appelé si ce dernier n'était pas capable de prendre de bonnes décisions."Bon, première chose: récupérer ton sac. Tu me files les clés et j'y vais. Deuxième chose: j'ai peut-être quelqu'un qui peut nous aider. Faut que je regarde si j'ai l'adresse avec moi." Paul prit sa veste en cuir posée à côté de lui et en tira son portefeuille - en cuir également. Un carnet minuscule en tomba. "Merde!" Il se mit à feuilletter, nerveusement. "Ah! ça y est!" Il montra une page à Steve: "Un ami de mon grand-père. Il est russe, ancien interprète. On a peut-être une chance avec lui, mais je sais pas trop: ça fait longtemps que je l'ai pas vu." Paul reprit son portefeuille et faillit s'étouffer en inspirant une nouvelle bouffée de sa cigarette. Coincée à l'intérieur, une photo de polaroïd dévoilait une scène terrible: lui, nu, à cheval sur le bas-ventre d'un autre garçon tout aussi dévêtu, le visage en extase, et qui n'était autre que son meilleur ami...assis juste en face de lui.
Stupéfaction. Il tourna lentement la photo.

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