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Quelques éclairs dans le ciel d’Houlgate

Publié le 28 décembre 2008 par Perce-Neige
Parfois, il arrivait qu’on les confonde, ou qu’on les prenne pour des sœurs, ou que l’on dise brusquement une chose à l’une, tout en pensant le dire à l’autre. C’était cela qui était le plus drôle ! Que Marion, la bouche en cœur, réponde à la question qui leur était posée à toutes les deux, tout en feignant accessoirement de ne pas être celle que l’on croyait. Ou l’inverse, tout autant, naturellement ! A force, d’ailleurs, il arrivait aussi qu’elles finissent elles-même par perdre le fil de leurs constructions imaginaires en ne sachant plus très bien, soudain, si cette étrange complicité relevait d’un choix délibéré, teinté de malice, ou bien d’un vertige plus profond dont la signification, au fond, leur échapperait toujours, plus ou moins. Bien des années plus tard, certains souvenirs apparaissent étrangement douloureux, n’est ce pas ? A peine adolescentes, elles avaient, ainsi, passé l’été 86 tout près d’Houlgate, dans la vaste villa de la famille Parmentier où Marion, à force d’y accompagner Violaine tous les week-end de printemps, avait fini par se voir attribuer une chambre à elle dont la fenêtre, aux multiples battants, donnait elle aussi sur la plage, l’étendue languissante de la mer, les forfanteries du soleil, le soir, qui sombrait sur l’horizon en déclamant des vocalises de pourpre, et de rose, que c’en était lassant. C’est cette année-là, précisément durant ces courtes semaines de vacances, qu’elles avaient appris à ânonner ce langage qui leur deviendrait commun… Lequel consistait, d’abord, à ne rien répondre au type quand l’un quelconque des maîtres nageurs qu’elles lorgnaient en gloussant (plus bronzé que moi tu meurs) s’approchait un peu trop de leur territoire en serviette éponge, jurant soudain ses grands dieux qu’elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Car, à cet instant-là, précisément, le zozo commençait à mentir sérieusement en ajoutant qu’elles étaient, l’une comme l’autre, bien plus jolies que toutes celles qu’il avait croisées jusqu’à présent. Elles laissaient, alors, l’horrible personnage déblatérer ses inévitables sornettes en restant obstinément silencieuses, le doigt sur la bouche, feignant de se forcer à garder le secret. Ou bien, tout à l’opposé, elles se lançaient dans des explications extravagantes qui, la plupart du temps, n’amusaient pas bien longtemps leurs prétendants du moment. Marion, la plus déchaînée, affirmait avec sérieux appartenir à la famille royale d’Angleterre. Ou bien, mais plus rarement, c’était Violaine qui gagnait le gros lot et se disait la nièce du Prince de Monaco. Tout, plutôt que d’engager une conversation un peu sérieuse avec l’un de ces rigolos. Car ça ne traînait pas ! Elles tournaient ostensiblement le dos à l’importun, reprenaient aussitôt leurs babillages et s’emparaient du tube de crème solaire qu’elles gardaient toujours à leur portée, et s’en badigeonnaient copieusement les épaules, et le creux des reins, et jusqu’à devoir soulever la bretelle du soutien gorge. Et s’affaler sur le sable en poussant divers soupirs de satisfaction. Les vagues pouvaient bien grimper à l’assaut de la dernière bande de territoire encore vierge, elles n’en avaient cure. La vie aurait toujours le même goût. Rien n’existait que leur empressement à ne rien faire. Ce fut Marion qui, la première, succomba à un début de collaboration avec l’ennemi. Un garçon, qui se prénommait Patrick, s’était assis, avec autorité, à côté d’elle, en observant le plus discrètement possible Violaine qui somnolait à plat ventre à deux mètres de là. Marion avait fini par se laisser entraîner dans ce qui n’était pas encore une conversation en bonne et due forme mais qui, tout de même, en prenait le chemin à toute allure. Non, l’autre fille, comme il disait, n’était ni sa sœur ni sa cousine ni rien d’approchant mais une amie, qui fréquentait, comme elle, le collège de Montmorency. Et alors ? Alors, le dénommé Patrick s’était cru autorisé à se servir de ce début de confidence pour dévoiler, en retour, certains détails, supposés particulièrement pittoresques, sans doute, de sa pourtant très courte biographie. Il était hébergé chez ses patrons, voyez-vous, un couple de restaurateurs du genre assez détestable, qui vous criait dessus du matin jusqu’au soir, vous traitait de fainéant à tout propos, et vous malmenait à la moindre occasion. Voilà ce qu’il avait à dire ! Puis il s’était ravisé et, surtout, avait annoncé, ni une ni deux, qu’il se proposait de les accompagner, illico, jusqu’à la villa des Parmentier. Et même de les retrouver sur le coup de vingt et une heures, aux alentours du quai, histoire de leur tenir compagnie au moment les pétards et le feu d’artifice allait brusquer le tintamarre noctambule. « Car c’est ce soir que tout se déchaîne ! » avait-il fait en mimant les fusées explosant dans le ciel et, accessoirement, tirant alors Violaine de sa somnolence. Laquelle s’était tournée vers lui en dévoilant la presque totalité de son sein qu’il avait fallu rattraper in-extremis, en pouffant. Mais quant à recruter un garde du corps aussi insignifiant que ce jeune mec, ça non, il n’en n’était nullement question, voilà ce que Violaine avait laissé entendre à Marion en soupirant. L’apprenti charcutier s’était vaguement débattu, avait insisté comme un malheureux en réalisant, d’ailleurs, que la deuxième jeune fille (celle qui dormait) était autrement plus sexy que la beauté à qui il s’était adressé en lui demandant l’heure. Mais ni la plus sexy ni la plus moche, ne s’étaient laissé fléchir, voilà la vérité. Elles en avaient juste profité pour plier leur serviette guettant du coin de l’œil le ciel qui se couvrait à demi.

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