Le retour du même, only different

Publié le 30 décembre 2008 par François Monti

Depuis la catastrophe Steven Hall, on frémit chaque fois qu’un jeune auteur met en œuvre des tactiques éminemment postmodernes, renvoyant trop directement à d’illustres prédécesseurs alors qu’il vaudrait sans doute mieux déployer des stratégies narratives un tant soit peu personnelles, si pas contemporaines. « The lost books of the Odyssey », premier roman de Zachary Mason, rappelle certains grands moments d’il y a quarante ans, ne frustre pas. Au contraire.

Pourtant, c’est le type de livre qui s’ouvre avec une introduction académique qui explique comment on parvint à mettre (et à décoder) la main sur les textes qui le compose. C’est le type de livre qui se referme avec un appendice expliquant les pérégrinations des textes à travers les âges. C’est le type de livre où même la bio de l’auteur est (glorieusement) fausse. C’est le type de livre où on réécrit le mythe. C’est le type de livre où on domestique le mythe. C’est le type de livre où il y a des histoires dans des histoires dans des histoires. Bref, Nabokov, Borges, John Barth. Surtout John Barth. Et ce n’est pas fini: c’est l’odyssée qu’il réécrit. Comme Margaret Atwood et Ben Ehrenreich très récemment. Sans l’avoir lu, on a l’impression de l’avoir déjà lu. Et même s’il est vrai que pas mal de ce qui se passe nous est familier, penser que l’on sait déjà ce qu’on y trouvera est une erreur.

Comme son titre l’indique, « The lost books of the Odyssey » se présente comme la compilation d’épisodes perdus des aventures de l’homérique Odyssée. On s’attendrait à un volume épais comme un dictionnaire, mais il est en fait relativement fin : ces livres sont surtout des fragments, tenant parfois sur pas plus de deux pages. Et comme son titre ne l’indique pas, il s’agit de plus que l’Odyssée et de bien plus qu’Odyssée lui-même. Par ailleurs, ce ne sont pas des pages, des chapitres, des livres perdus mais bien, dans la plupart des cas, d’écrits apocryphes, de variations bien postérieures à l’original, qui complètent, altèrent, contredisent le texte d’Homère. De plus, il ne s’agit pour les textes de Mason de développer le récit de départ, mais bien de se concentrer sur certaines images, sur certains thèmes – voir les sous-titres de chaque chapitre, de vengeance à tromperie en passant par mémoire.

On pourrait craindre que pour apprécier « The lost books of the Odyssey » il faille connaître « L’odyssée ». Ce n’est que partiellement vrai. Si l’effet d’une reprise ou d’une réinterprétation ou d’une réécriture dépend évidemment de notre compréhension de ce qui a changé, il est tout aussi possible d’apprécier le résultat de pareils procédés sans en connaître la source. Le lecteur lambda qui des classiques grecs ne connaît vaguement que les principales péripéties se retrouvera en tout cas ici dans une position lui permettant d’apprécier ce qui se détache de ce qu’il sait et ce qui pour lui est pur travail de l’imagination de Mason. Et précisément, la force du livre dérive principalement de cette imagination. Si on veut bien se frotter la pointe de la barbe en murmurant « brillant, brillant » devant la perversion du texte de base, il est tout de même encore bien plus satisfaisant de s’émerveiller devant la version masonienne de l’invention du stratagème de Troie ou de sa transfiguration de Hélène en renard tout simplement parce que c’est excellent en soi.

Si on a pu lire en ligne que « The lost books of the Odyssey » formait une sorte d’anti-Odyssée, un commentaire du texte d’Homère « soulignant ses élisions » et « sondant ses interstices », on a pour notre part l’impression que le critique lit lui-même une version fantasmée du premier roman de Zachary Mason. Bien que les nombreuses références au conflit fondamental d’une certaine mythologie jetant orient contre occident ne soient pas innocentes, ces considérations passent au second plan lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui nous a plu. Au final, c’est qu’en restant plus simple qu’un Barth et en utilisant veille casserole et vieille recette, le plat qu’on en sort, miraculeusement, recèle des promesses d’une voix nouvelle et séduisante à laquelle, pour peu qu’elle s’émancipe, on se marierait bien d’ici à quelques années.

Zachary Mason, The lost books of the Odyssey, Starcherone Books, $16

Le roman est disponible gratuitement en ligne dans son intégralité. Si ça vous plait, achetez la version papier…