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Tentations protectionnistes

Publié le 02 janvier 2009 par Hmoreigne

En ce début de nouvelle année, Les Echos rapportent une information inquiétante. Le patron d’Alstom Transport, Philippe Mellier, dénonce dans le Financial Times la fermeture progressive du marché chinois aux fournisseurs étrangers. Bien que réfutée par les gouvernements, la tentation protectionniste est présente dans de nombreux esprits.

Les Echos rapportent les propos tenus par le dirigeant du groupe français dans le cadre d’une interview publiée sur le site du quotidien économique britannique. “Comme on s’y attendait, le marché (chinois) se ferme graduellement pour laisser les entreprises chinoises prospérer”, “Si le marché se ferme aujourd’hui, nous ne pensons pas que ce soit une bonne idée que les autres pays ouvrent leurs marchés à une telle technologie parce qu’il n’y a plus de réciprocité“.

Philippe Mellier rappelle que les trains chinois utilisent des technologies dérivées de celles des étrangers, fournies en général à condition qu’elle ne serve pas hors de Chine. Or, dans le cadre de son marché intérieur très prometteur en raison des dimensions hors normes du pays, les autorités chinoises souhaiteraient  privilégier les trains de conception chinoise.

Dopée par les transferts de technologie et des coûts de main d’oeuvre imbattables, l’industrie chinoise notamment du fret ferroviaire est suspectée de vouloir prendre pied à l’étranger. Le jeu est dangereux. Avec 38 % de son PIB dépendant des exportations, la Chine est devenue dépendante des marchés américains, européens et japonais.

Au mois de novembre les exportations Chinoises  ont enregistré leur première baisse en sept ans. Selon la Banque mondiale, la croissance de l’empire du Milieu devrait tomber de 11,9 % début 2007à de 7,5 % en 2009. Un chiffre qui ferait rêver la vieille Europe mais qui suscite des cauchemars pour les autorités chinoises. Ce simple ralentissement risque de faire vaciller un géant économique aux pieds d’argiles dont l’équilibre repose sur une croissance à deux chiffres. Moins de croissance, signifie la fermeture ou la mise en difficulté de pans entiers de l’économie tournés vers l’exportation avec à la clef, un risque réel de troubles sociaux.

Face à la crise deux approches s’opposent. L’une largement minoritaire qui prône un protectionnisme intelligent. L’autre, dominante, hantée par le spectre de la récession de 1929.

En France, Emmanuel Todd voit dans le protectionnisme, la dernière chance de la démocratie européenne. Il est convaincu que l’effondrement de l’économie financiarisée et celui des Etats-Unis sont «des tendances lourdes». Son analyse est antérieure à la crise. Le politologue dénonce le concept du libre-échange hérité de Ricardo, économiste du XIXe siècle, selon lequel le libre-échange permet à chaque pays de se spécialiser dans les productions pour lesquelles il est le mieux placé, cette spécialisation profitant in fine à tout le monde. Selon Emmanuel Todd, les deux grandes puissances émergentes (Chine et Inde) du fait de leur poids démographique, n’ont aucune raison de se spécialiser et peuvent donc concurrencer sans limite les concurrents occidentaux, jusqu’à épuisement de ceux-ci.

La solution, pour Emmanuel Todd, réside dans la formation d’une entité économique étendue à toute l’Europe mais protégée de la «mondialisation» par de solides protections douanières. C’est ce qu’il appelle un «protectionnisme européen raisonnable». Le politologue est partisan de l’économie de marché et des échanges, mais estime qu’un protectionnisme bien compris, à l’échelle d’entités cohérentes, est une des façons de vivre le marché. Toujours selon lui, la constitution d’un bloc européen, auquel serait associée la Russie, est un projet internationaliste qui prendra une génération, stimulera la productivité du Vieux Continent et donnera à l’Union européenne l’occasion de «s’accepter comme centre de gravité du monde et de faire son travail de deuil sur la puissance américaine».

A l’inverse, dans un article publié le 26 décembre dans Les Echos (Résister au protectionnisme), Eric le Boucher s’interrogeait pour savoir si la leçon de l’histoire, celle de 1929, a été retenue. Même si la situation de 2009 diffère largement de 1929, le journaliste estime que le danger est bien présent. “En 2009, le danger restera gros. Parmi les hommes politiques, la rhétorique de la « protection » et la dénonciation des importations, bref de « l’étranger responsable des malheurs », reste une tentation permanente parce que facile. C’est traditionnellement vrai en Russie ou en Argentine, mais aussi en France, où Nicolas Sarkozy a créé un « fonds souverain » pour défendre l’industrie française, et aux Etats-Unis, où le thème de la mondialisation a poussé Barack Obama à promettre de réviser les politiques libre-échangistes.”

A défaut de parler de “protectionnisme”, un mot qui fait peur, les Etats s’engageraient un néo-protectionnisme. Un protectionnisme détourné, dépoussiéré, qui a défaut d’instaurer des barrières, consisterait à fausser la concurrence pour renforcer les économies nationales. La nouvelle politique agricole commune défendue par la France au nom de la « sécurité » alimentaire tout comme les gigantesques plans de sauvetage des banques et de l’industrie automobile sont aux yeux d’Eric le Boucher, des mesures à caractère protectionniste.

A tort ou à raison, Eric le Boucher estime que la vraie menace, viendra comme en 1930 d’Amérique et des choix futurs de Barack Obama. Sa crainte, largement partagée, est un bégaiement de l’histoire.

En 1929 une loi, le  Smoot Hawley Act , est à l’étude qui entend augmenter les droits de douanes sur des centaines de produits et de marchandises importés aux Etats-Unis. En dépit d’une pétition de plus de 1000 économistes et d’une soirée à la maison blanche passée par Henry Ford à inciter le Président à opposer son veto, Hoover signe finalement le Smoot Hawley Act le 17 juin 1930. A partir de là, tout s’effondre. Les autres nations engagent des représailles protectionnistes et les coûts des entreprises américaines s’envolent du fait  des nouveaux droits de douanes sur les biens intermédiaires importés.

S’ajoute à cela la question de la spécialisation décrite avec talent par l’économiste Emmanuel Martin. En très simplifié, on n’utilise par exemple pas le même nombre d’intermédiaires et de machines pour produire 100 voitures ordinaires et pour en produire un million. Dans le deuxième cas, on utilise des machines plus complexes, avec des procédures de production plus complexes. Ainsi, des investissements importants en machines et/ou en sous-traitance ne peuvent être rentabilisés que par un marché très étendu, pas et surtout plus par un marché rétréci par des mesures protectionnistes réciproques.

Que retenir de tout cela ? Au moins une chose : face à des situations aussi complexes, méfions-nous des discours et solutions simplistes.


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