Magazine Humeur

Détention de personnes gravement malades (CEDH 22 déc 2008 Aleksanyan c. Russie) par Nicolas HERVIEU

Publié le 04 janvier 2009 par Combatsdh

Dans le cadre de la célèbre affaire "Ioukos" (v. sur wikipédia) en Russie, celui qui fut le directeur du service juridique de cette société puis son vice-président exécutif (après le début des procédures pénales contre certains de ses dirigeants dont Mikhaïl Khodorkovskiy) a également fait l'objet de poursuites. M. Aleksanyan fut arrêté et se trouve placé en détention depuis 2006. Depuis cette date, son état de santé s'est beaucoup dégradé, notamment à la suite du développement chez cette personne du virus du SIDA et de maladies résultant de cette affection. Les autorités russes n'ont cependant pas immédiatement fait cesser sa détention pour le placer dans un hôpital spécialisé et ce malgré deux mesures provisoires en ce sens adressées par la Cour européenne des droits de l'homme à la Russie en novembre et décembre 2007. Le transfert vers un hôpital n'eut lieu que le 8 février 2008 après une nouvelle dégradation de l'état de santé du requérant.

Détention de personnes gravement malades (CEDH 22 déc 2008 Aleksanyan c. Russie) par Nicolas HERVIEUAleksanyan c. Russie

La Cour a examiné successivement les différentes allégations de violation de la Convention et tout particulièrement celle par laquelle le requérant estimait que son maintien en détention constituait un traitement inhumain et dégradant (Art. 3) au regard de son état de santé. Sur ce point, la Cour rappelle les principes dégagés dans ses jurisprudences antérieures et qui sont protecteurs des personnes privées de libertés, en particulier lorsqu'elles sont malades (§ 133 à 138). Cependant, le juge européen confirme également son opposition au principe de l'équivalence de soins entre les personnes libres et les personnes privés de liberté, position défendue notamment par le Comité européen pour la Prévention de la Torture (" the Court has held that Article 3 of the Convention cannot be interpreted as securing to every detained person medical assistance of the same level as "in the best civilian clinics" " - § 139).

Dans ce contexte, la Cour considère tout d'abord que l'absence de mise à disposition par les autorités russes de médicaments antirétroviraux, les plus efficaces actuellement pour lutter contre le VIH, ne constituent pas en soi une violation de l'article 3. Dans la lignée d'une jurisprudence récente (Cour EDH, Grande Chambre, 27 mai 2008, N. v. the United Kingdom, req. n° 26565/05 ), la Cour estime que le coût de ces traitements fait obstacle à ce que leur fourniture gratuite aux détenus soit exigée des Etats. L'obligation de mettre des traitement médicaux à disposition des détenus est donc indexé sur le niveau des ressources de chacun des Etats parties (" the Court does not consider that in the circumstances the authorities were under an unqualified obligation to administer the HAART treatment to the applicant free of charge. The Court is aware of the fact that modern anti-retroviral drugs remain very expensive [...] the Contracting States are bound to provide all medical care that their resources might permit " - § 148). Mais dans un second temps, la juridiction strasbourgeoise considère que l'absence d'assistance médicale adéquate à la pathologie du requérant au sein du lieu de sa détention couplée au refus de le transférer dans un hôpital extérieur spécialisé est, cette fois, constitutif d'un traitement inhumain et dégradant (§ 158). Partant, la Cour condamne la Russie pour violation de l'article 3.

Détention de personnes gravement malades (CEDH 22 déc 2008 Aleksanyan c. Russie) par Nicolas HERVIEU

En plus du constat d'une autre série de violation de la Convention (violation de l'article 5 § 3 - droit à la liberté et à la sûreté - pour avoir maintenu la détention provisoire du requérant sans justifications solides - § 181 à 197 ; violation de l'article 8 - droit au respect de la vie privée et familiale - pour avoir procédé à une perquisition au domicile du requérant sur la base d'un mandat insuffisamment précis - § 212 à 218), la Cour utilise ici deux techniques assez récentes dans sa jurisprudence. D'une part, elle relève l'absence de respect par la Russie des deux mesures provisoires adoptées par la Cour à la fin de l'année 2007 (§ 228 à 232) en utilisant cependant toujours, dans les motifs comme dans le dispositif de l'arrêt, un langage quelque peu différent des constats de violation des autres articles de la Convention (" the Court considers that by failing to comply with the interim measures indicated under Rule 39 of the Rules of Court, the Russian Government failed to honour its commitments under Article 34 of the Convention " - § 232). D'autre part, le juge européen indique expressément et à titre exceptionnel les mesures que la Russie doit adopter pour mettre fin aux situations de violations de la Convention (" The Court concludes that the Russian Government, in order to discharge its legal obligation under Article 46 of the Convention, must replace detention on remand with other, reasonable and less stringent, measure of restraint, or with a combination of such measures, provided by Russian law " - § 240) et ce, sur le fondement de l'article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts).

Aleksanyan c. Russie (Première Section, req. n° 46468/06) du 22 décembre 2008 - En anglais
Détention de personnes gravement malades (CEDH 22 déc 2008 Aleksanyan c. Russie) par Nicolas HERVIEU

M. Aleksanyan (v. sur wikipédia)

Arrêts de principe:

Actualités Droits-Libertés du 3 janvier 2009 par Nicolas Hervieu

Kudła c. Poland [GC], no. 30210/96, 26 octobre 2000

Mouisel c. France, no. 67263/01, 14 novembre 2002

Kalashnikov c. Russia, no. 47095/99, 15 juillet 2002

Khudobin c. Russia, no. 59696/00, 26 octobre 2000


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Combatsdh 295 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte