Je ne connaissais ni le pitch, ni le casting, ni même le réalisateur en allant voir ce film.Bon, hé ben le réalisateur s'est avéré être une réalisatrice, Courtney Hunt, qui est aussi la scénariste du film. Pas mal du tout, surtout quand on sait qu'il s'agit de son tout, tout premier film. Même pas un court-métrage avant ça, si on en croit Allociné et IMDb.
Frozen River, c'est l'histoire de Ray (Melissa Leo), une mère de famille qui, après que son mari accro aux jeux d'argent a disparu en emportant toutes les économies de la famille, n'a même plus de quoi payer de quoi manger correctement à ses gamins (qui bouffent des pop-corns à tous les repas). Elle croise, dans des circonstances pas très jojo, la jeune Mohawk Lila (Misty Upham), avec qui elle va se lancer dans un commerce à petite échelle en faisant passer des immigrés d'un côté à l'autre de la frontière canadienne.
(Je précise, sait-on jamais, que Mohawk n'est pas un prénom mais le nom d'une ethnie.)
Ce genre de films, à portée sociologique, sont très durs à manipuler sans tomber dans des travers excessifs ou carrément grossiers. Et la bonne, que dis-je, l'excellente nouvelle, c'est que Frozen River fait son petit bonhomme de chemin sans aucun accroc majeur, voire sans aucun accroc du tout, que ce soit au niveau du scénario aussi bien qu'à celui des jeux des acteurs.
Et quand je parle de portée sociologique, je suis encore loin du compte: Frozen River n'est pas un film 'à portée sociologique', mais véritablement une étude sur ce sujet: chaque gros plan (et il y en a beaucoup, des très gros plans, qui creusent à la surface et cassent le vernis tout lisse des personnages), chaque cadrage, chaque imperfection de la peau, chaque cigarette fumée est sociologique. C'est presque maladif.
Tout au long du film, un nom me venait sans cesse à l'esprit: celui de Ken Loach. Je n'ai vu qu'un seul film de ce réalisateur (film qui est paraît-il le plus mauvais de sa filmographie, pas de bol), It's a Free World, et j'ai trouvé de nombreuses convergences entre ce film et Frozen River. L'immigration. La précarité. L'instinct de survie naturellement associé au fric. L'envie d'aider et l'envie de s'en sortir. L'énergie du désespoir, qu'on appelle ça.
Et pour glisser un gros morceau de subjectivité et de trivialité là-dedans, j'ose dire que Frozen River, c'est un It's a Free World mais en beaucoup, beaucoup, beaucoup mieux. Pas de vraies longueurs (pour un film sur ce sujet, c'était un sacré pari), pas de noyade dans les sentiments chiants, pas de larmes qui n'aient pas leur place sur la pellicule. Tout est calculé au millimètre près, sans que le film ressemble à une dissertation scolaire.
Lila, la jeune Mohawk qui vit de bric et de broc dans un camping-car en bordure d'une forêt, ce n'est pas seulement un personnage secondaire, mais un élément clé du scénario. C'est avec elle que l'on s'aperçoit, même si on avait déjà vaguement conscience, que ce qu'on appelle fièrement le melting pot aux Etats-Unis n'est qu'une vaste mascarade. Les disparités ethniques des US et celles du Canada ne sont pas des mélanges mais des cohabitations plus ou moins pacifiques; chaque ethnie dans son quartier réservé et les moutons seront bien gardés.
Et le peuple Indien, dans ce système, est particulièrement stigmatisé, explosé de l'intérieur par un alcoolisme ambiant, parqué dans des réserves (en France, ce qu'on appelle une réserve c'est un parc pour animaux...), mis à l'écart de façon générale. Alors pour survivre, qu'est-ce qu'il reste? Les casinos, dont les revenus vont bien évidemment aux colons américains, ou l'illégalité, quelle que soit la forme qu'elle revêt.
La caméra de Courtney Hunt dissèque un univers restreint - plus restreint en tout cas que celui du passage de la frontière Etats-Unis/Mexique - sans douceur, sans tact, avec émotion mais pas de sentiments mielleux saupoudrés de sucre glace.
Et je donne un bonux amplement mérité au jeu des 2 acteurs interprétant les enfants de Ray, TJ et Jimmy, interprétés respectivement par Charlie McDermott (magistral, tout en colère étouffée) et Dylan Carusona.
Frozen River est nominé pour la 13ème cérémonie des Satellite Awards, le prix de l'International Press. Aux côtés d'un Milk, d'un Revolutionary Road, d'un Frost/Nixon et d'un Slumdog Millionaire, ça donne une idée de la qualité du film.
Sortie le 7 janvier 2009 (c'est dans 2 jours dis donc)