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La disparition du juge d'Instruction menace l'équilibre des pouvoirs : les Français doivent ouvrir les yeux
Publié le 06 janvier 2009 par Gezale«Nicolas Sarkozy envisage de supprimer le juge d'instruction pour confier l'ensemble des enquêtes judiciaires au parquet, sous le contrôle d'un magistrat du siège, appelé juge de l'instruction. Le chef de l'Etat devrait en faire l'annonce lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, mercredi 7 janvier.»
« En contrepartie de la suppression du juge d'instruction, la procédure pénale devrait donner une plus grande place aux droits de la défense, permettant à l'avocat d'avoir accès au dossier au début de l'enquête. Ce n'est pas actuellement le cas dans le cadre des enquêtes préliminaires du parquet.» Voilà ce qu'on peut lire dans le journal «Le monde» d'aujourd'hui.
Le Président de la République utilise donc tous les outils du pouvoir pour renforcer son pouvoir : Police, services secrets, audio-visuel, presse écrite, règlement de l'Assemblée nationale (j'y reviendrai) collectivités territoriales, code du travail, code de procédure pénale…il n'est aucun domaine qui, depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, ne porte son empreinte.
Il évoque aujourd'hui sa volonté de supprimer le juge d'instruction après avoir ordonné à Rachida Dati de réformer la carte judiciaire, d'accroître la sévérité des peines, de mettre place les peines plancher, d'augmenter le nombre des détentions provisoires qui pourtant devraient être l'exception et non la règle…Sans oublier les réformes concernant les mineurs, les malades psychiatriques (qu'on peut enfermer jusqu'à la fin de leurs jours)…etc.
Qu'est-ce qu'un juge d'instruction ?
En France, un juge d'instruction est un magistrat indépendant et inamovible chargé de diligenter des enquêtes judiciaires. Il ne peut généralement effectuer une enquête que lorsque le procureur de la République (le parquet) a ouvert une information. Il peut utiliser des officiers de police judiciaire (policiers ou gendarmes) pour effectuer des actes d'enquête en leur délivrant des commissions rogatoires. Il effectue son enquête à charge et à décharge et ne peut en aucun cas prononcer de jugement. Le juge d'instruction a pour mission de faire « tout acte utile à la manifestation de la vérité ». Il procède, sous le contrôle de la chambre de l'instruction de la Cour d’appel, à tous les actes qui permettent la manifestation de la vérité. Il rassemble tous les éléments de l'affaire, qu'ils soient à charge ou à décharge.
Lorsque son travail lui semble terminé, le juge d'instruction peut rendre une ordonnance de non-lieu ou renvoyer la personne mise en examen devant la cour d'assises ou le tribunal correctionnel pour y être jugée. En ce cas, le jugement sera pris sur la base de l'enquête menée par le juge. Afin de mener à bien sa mission, le juge d'instruction dispose de pouvoirs d'enquête très élargis. Depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 le juge d'instruction peut demander au juge des libertés et de la détention (JLD) de placer un suspect en détention provisoire.
On le voit, le juge d'instruction est un magistrat du siège. Il est donc indépendant du parquet et ne reçoit aucune instruction du pouvoir en place. En faisant du juge d'instruction un magistrat non plus totalement indépendant du parquet mais appelé à exercer le contrôle de celui-ci (avec quels pouvoirs ?) Nicolas Sarkozy et sa majorité le placeraient inévitablement dans un contexte hiérarchique susceptible de l'influencer dans des affaires sensibles. Imagine-t-on un procureur (sous le contrôle d'un juge d'instruction ou «de l'instruction») enquêtant sur l'affaire Clearstream alors que l'un des principaux plaignants n'est autre que le Président de la République ? Si la carrière du magistrat du parquet, la promotion de ce magistrat, sont dans les mains du pouvoir, quelle sera son indépendance pour conduire une enquête équilibrée ? Pour rendre cette réforme acceptable, il faudrait que le parquet devienne indépendant du pouvoir politique et ne reçoive de lui ni ordre ni instruction écrite ou orale.
Qu'il faille réformer certaines règles actuelles, certainement. Notamment celles concernant la présence de l'avocat auprès des personnes mises en cause (elle devrait être programmée beaucoup plus tôt) ou le cadre de la garde à vue qui devrait être exceptionnelle. Que le parquet soit conduit à mener les enquêtes sèmera le doute. Notre Constitution et la séparation des pouvoirs, la nécessité de l'indépendance des magistrats qui instruisent les affaires, de ceux-là même qui décident de poursuivre ou non les personnes mises en cause pour des délits ou des crimes, voire de les faire incarcérer après avis de la chambre de l'instruction, vont obliger Nicolas Sarkozy, son gouvernement et sa majorité à y regarder à deux fois.
Ce n'est parce qu'un juge a appliqué la loi avec des œillères dans l'affaire d'Outreau ou qu'un autre a mise en garde à vue le journaliste de Libération sans ménagement que Nicolas Sarkozy parviendra à nous convaincre du bienfondé de sa proposition. Sa tactique consiste à évacuer les problèmes économiques et sociaux au bénéfice des questions de société. Elle fera long feu. Il faut que les Français ouvrent les yeux.