C'est un joli roman, comme sa couverture aux allures printanières, qui cache bien son jeu. C'est l'histoire d'une famille avec cinq filles aux prénoms qui sortent de l'ordinaire - Beauty, Mim, Faithful, Fancy et Autumn. Unies comme les doigts de la main. Elles se soutiennent, se chamaillent, sont pratiquement inséparables, s'élèvent entre elles (les parents sont transparents, pour ne pas dire incompétents).
Elles ne le savent pas, elles passent tous les jours à côté, mais un individu les observe. Il les frôle, il les écoute, il suit leur vie. Seul le lecteur est dans la confidence. Et cette connivence est bien évidemment déplacée, dérangeante, crispante. La menace plane, s'infiltre dans chaque chapitre qu'une volée de papillons orne. C'est charmant, et pourtant... L'histoire prend le temps de raconter qui elles sont et comment cela se produit. Quoi, « cela » ? L'événement. La coupure. Le passage à l'acte.
C'est terrifiant. Mais pas seulement. Il y a dans la façon de présenter les filles Herbert une grande tendresse et une certaine originalité. C'est une famille aux bras cassés, une fatrie avec des faux airs de la tribu March (on y retrouve par exemple le « prêt » de l'une des filles pour une vieille tante qui vit seule dans sa grande maison, en échange elle participera aux frais de dentiste etc.). Mais il ne faudrait pas trop vite croire qu'on baigne dans du Louisa May Alcott, on en est loin. Les demoiselles ont la langue bien pendue, elles s'apostrophent, s'insultent, elles s'aiment beaucoup aussi. C'est un cocon, couvé par un souffle moderne et impertinent. Un peu à la façon des Quatre Soeurs, de Malika Ferdjoukh. Mais ça suffit les comparaisons. En fait, on y trouve en commun ce sens de la famille, de troupe serrée et solidaire, sans mièvrerie.
Pour le reste, on plonge un peu dans l'enfer, dans l'attente et dans la peur. Comme dit simplement la petite Fancy, c'est une histoire « drôle, triste et effrayante ». Ni plus ni moins. J'aime beaucoup ce qu'en dit la présentation de l'éditeur, « l'auteur raconte sur le fil, presque à bout de souffle », « une écriture dense et maîtrisée », « une respiration singulière », « un roman de grâce et d'intelligence ». Tout est dit. Poussez la porte de la curiosité pour y jeter un oeil, ce livre parle de ce qui nous lie et relie en nous bousculant gentiment. Et ça fait son effet !
Très bonne lecture.
Albin Michel, coll. Wiz - 302 pages - 13€
traduit de l'anglais (USA) par Jean Esch