Les agressions sexuelles, ce n’est pas qu’une histoire d’adultes dépravés. Des adolescents aussi s’en rendent coupables. Le quart de ces types d’abus est commis par des jeunes. C’est entre autres ce que nous révèle Bruno Sioui, dans son livre Jeux interdits.
Auteur de ce premier essai de la collection «Sexualités et sociétés» dirigée par Michel Dorais, chez VLB éditeur, Bruno Sioui est professeur en psychoéducation à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Il a aussi passé 20 ans dans des Centres jeunesse en tant qu’éducateur. Les ados, il connaît. Il avoue toutefois que de tous les types de délinquance auxquels il a été confronté, les agressions sexuelles étaient loin d’être au premier plan. «Le phénomène a toujours existé, mais il n’était pas mis en évidence. Par contre, au début des années 1990, les tribunaux de la jeunesse ont commencé à nous envoyer de plus en plus d’ados qui avaient commis une ou plusieurs agressions sexuelles,» se rappelle M. Sioui.
Augmentation des agressions sexuelles chez les jeunes
Comment expliquer cette recrudescence? L’auteur a son hypothèse. Il l’associe au virage à droite qui a sévit au Canada dans les années 1980 et à l’entrée en vigueur en 1984 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette nouvelle loi, par ses articles insistants sur la procédure criminelle, a marqué le début d’une époque dans le traitement des adolescents délinquants.
«On a arrêté de dire que les parents étaient les seuls responsables des actes de leurs enfants, les jeunes aussi l’étaient. Dès lors, la société est devenue plus intolérante par rapport aux délinquants et on a commencé à mettre l’accent sur les victimes», soutient-il.
Agressions sexuelles chez les jeunes: problématique méconnue
Il va sans dire, cette nouvelle vague de cas reliés aux abus sexuels a dévoilé une carence majeure en termes de ressources dans les Centres jeunesse. «Nous avions un sentiment d’impuissance quant à cette problématique, affirme M. Sioui. Il n’existait aucun programme relié à ce sujet. Ici, comme ailleurs, il n’y avait que très peu d’études auxquelles se référer. C’est ce qui m’a amené à m’intéresser au phénomène.»
Encore aujourd’hui, selon M. Sioui, les intervenants qui travaillent auprès des jeunes en difficulté ne sont pas formés pour ce type de situation. Sorti en août dernier, son livre, qui est en fait sa thèse de doctorat retravaillée, est un outil précieux qui en réjouit plus d’un. L’auteur s’en rend bien compte. «Je donne parfois des conférences. À chaque fois, les intervenants sont nombreux à venir me voir. Ils me remercient de leur donner des pistes concrètes. Ils sont démunis face au manque de ressources.»
La preuve indéniable de l’importance que l’on doit accorder au phénomène? Les études démontrent que le taux moyen de récidive est de 7 % lorsque les adolescents agresseurs sont traités. Cette donnée en surprend plusieurs, à commencer par M. Sioui. «À l’époque, on croyait tous que ces jeunes allaient récidiver à coup sûr», se rappelle-t-il.
Agression sexuelle: une perception faussée
Cette surprise sur le taux de récidive n’est pas la seule à avoir pris de court le chercheur. Parmi les 15 jeunes qu’il a interviewés dans le cadre de ses recherches, l’ancien éducateur avoue avoir été ébranlé par l’absence de regret de ceux-ci. «Je m’attendais à ce que ces jeunes se disent désolés du tort qu’ils ont causé. Ce n’est pas le cas. Ils ont un manque d’empathie flagrant pour leurs victimes. Ils sont conscients de leur geste, mais ils mettent l’accent sur les conséquences du geste pour eux-mêmes. Certains sont même allés jusqu’à dire que les victimes le méritaient.»
Cela dit, si les remords des jeunes agresseurs sont nuls, ils ne tentent pas de nier la gravité de leurs gestes pour autant. «Le manque de ressentiment contre les instances judiciaires m’a réellement surpris, raconte M. Sioui. En règle générale, les délinquants qui passent dans les Centres jeunesse ont une dent contre la justice. Mais ces jeunes-là, qui sont allés au poste de police, devant les tribunaux et dans des bureaux d’avocats, ont réalisé, à travers le processus judiciaire, qu’ils avaient commis une faute grave et ils ont accepté le fait de devoir payer une dette. Je crois qu’en acceptant la gravité de leurs actes, ils désirent oublier leur geste, tourner la page. Ils sont loin de se vanter de leurs comportements.»
Les jeunes agresseurs sexuels: des jeunes mal socialisés
Ainsi, cette problématique n’est aucunement liée à l’accessibilité sans borne de la pornographie sur le web, ni au phénomène de l’hypersexualisation. Ce type de délit en est un parmi tant d’autres que commettent ces jeunes, selon M. Sioui. Ils commencent avec des petits larcins, des vols à l’étalage et après ils commettent d’autres délits, plus graves. À l’instar de la plupart des jeunes délinquants, les adolescents agresseurs sexuels ont tous un point commun: ils sont mal socialisés.
«L’agression sexuelle commise par ces jeunes est, plus souvent qu’autrement, un acte de pouvoir. Beaucoup de ces jeunes, pour plusieurs raisons, sont rejetés. Ils ne savent pas comment se faire des amis, ils ont beaucoup de rage et ils s’en prennent à des plus jeunes», affirme l’auteur qui espère que son livre contribuera à humaniser le problème. «Nous ne sommes pas face à des agresseurs adultes dont la déviance sexuelle est cristallisée. Ce qu’il faut éviter, c’est de les marginaliser encore plus. Si on les isole, ils ne s’en sortiront pas.»
Jeux interdits, Ces adolescents accusés d’agression sexuelle de Bruno Sioui, VLB éditeur, 2008.