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Communication et influence : la stratégie des laboratoires pharmaceutiques. Exemple du Gardasil

Publié le 09 janvier 2009 par Infoguerre

La polémique enfle dans le monde à propos des campagnes de vaccination contre le « cancer du col de l’utérus ». A l’origine, ce sont des vaccins contre quatre génotypes de papillomavirus humain (PVH), le plus répandu, Gardasil (commercialisé par Merck et commercialisé par Sanofi Pasteur en Europe) et le Cervarix (GlaxoSmithKline) qui se sont transformés en vaccins contre le cancer du col de l’utérus dont la vaccination systématique est préconisée dans certains pays. Une certaine confusion, que les laboratoires ne lèvent pas explicitement, existe entre le fait de protéger contre les deux types de papillomavirus humain responsables d’une grande partie des cancers du col de l’utérus (les deux autres étant responsables de verrues), et de protéger contre le cancer du col de l’utérus en tant que tel.

Un autre sujet de polémique tient au décalage entre les campagnes de vaccinations entreprises et les effets réels de ces vaccins, positifs ou néfastes. En effet, les études ne prouvent pas l’efficacité réelle de ces vaccins, car elles n’ont pas encore le recul suffisant pour mesurer leurs effets secondaires.

Enfin les laboratoires pharmaceutiques sont également pointés du doigt pour avoir lancés des campagnes offensives afin de sensibiliser des populations cibles, les mères et les jeunes filles, à l’importance de se faire vacciner. Très efficaces, ces campagnes utilisent tout un éventail de moyens de communications pour arriver à leurs fins : vendre ces vaccins.

La stratégie des laboratoires aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, les sociétés pharmaceutiques ont commencé leurs campagnes par un puissant lobbying dirigé vers les leaders d’opinion (associations féministes, hommes politiques, sociétés médicales et conférences [1] (politico-médicales, etc.). Une direction habile de cette campagne et une utilisation judicieuse de la peur du cancer ont permis d’attirer l’attention des pouvoirs publics. En utilisant directement les canaux politiques pour promouvoir ce qui est aujourd’hui un sujet de préoccupation nationale à propos duquel des campagnes de sensibilisation ont été mises en place, les laboratoires, et Merck en particulier, ont réussi à imposer leur produit au niveau étatique. Que ce soit une conjonction d’intérêts due au hasard ou l’effet indirect des firmes, une vraie « guerre » est menée par le gouvernement américain contre le cancer du col de l’utérus, comme en témoigne ce spot du Center for Disease Control and Prevention (organisme gouvernemental). Cette « guerre préventive » et télévisée est relayée à plusieurs niveaux par Merck : soit par le biais des associations (par exemple avec la Cancer Research and Prevention Foundation ou une association féminine, Stepup), soit de façon directe avec un spot publicitaire assez alarmant qui promeut le vaccin – ou la maladie ? –  sur les écrans.

Ce matraquage est très ciblé. Nous pouvons ainsi voir un spot télévisé exclusivement destiné à la population latino-américaine des Etats-Unis, ou encore une diffusion dans les salles de cinéma avant la projection du film Sex And The City, dont le public est majoritairement féminin.

Cette insistance a eu des effets immédiats au niveau gouvernemental. Des vaccinations systématiques ont été proposées dans 24 Etats américains, et notamment en Virginie où les propositions sont entrées en vigueur et où se situent justement les usines de… Merck, qui investit dans cet Etat et promet d’y développer l’emploi. De même l’U.S. Citizenship and Immigration Services exige désormais que tout nouvel immigrant sur le territoire américain soit vacciné contre le HPV. L’empressement des Etats à vouloir rendre la vaccination obligatoire a levé une contestation importante de la part de professionnels de la santé et de particuliers, comme en témoigne le nombre impressionnant de vidéos, articles ou autres que l’on peut rencontrer sur Internet.

En Europe, la maladie « marketée »

Il est éthiquement [2] et légalement difficile de faire de la publicité pour un médicament en Europe. C’est pourquoi les laboratoires pharmaceutiques centrent leur marketing sur la maladie. Cette technique a un double avantage bien compris des chargés de communication : jouer sur des sentiments particulièrement sensibles et apparaître comme des campagnes préventives pour le bien commun.

La campagne publicitaire s’appuie sur un sentiment fort, le sentiment maternel, pour encourager les mères à faire vacciner leurs filles. Des spots publicitaires assez longs jouent sur la peur du cancer, nouveau fléau du siècle, et font évoluer des adolescentes et leurs mères pour en arriver à l’importance d’un suivi médical et d’une vaccination précoce.

Un autre canal privilégié auprès du public est celui du site Internet éducatif, aussi bien pour Sanofi Pasteur que pour GSK. Existant pour une dizaine de pays, ces sites ne sont pas sans rappeler le design des sites officiels, avec une ergonomie et des couleurs pastelles qui incitent à la confiance. Utilisant la forme rassurante du site officiel, il se présente comme un outil de prévention contre la maladie. Fonctionnant sur un schéma éducatif, ces sites renseignent avec justesse (pour autant que nous puissions en juger) sur les réalités du cancer de l’utérus. Toutefois, ses sites, pour démontrer l’efficacité du vaccin, utilisent des chiffres optimums, dont l’exactitude est soumise à caution.

La fiabilité des études présentées par Merck et GSK est sérieusement remise en cause

En Allemagne, une étude de l’Arznei Telegramm pointe du doigt la lecture orientée qui a été faite des chiffres obtenus, et un manifeste a été lancé par 13 médecins de haute réputation pour s’insurger contre les recommandations de la santé publique de vacciner massivement. En Finlande, une étude a été commandée par les autorités nationales pour juger de l’efficacité du vaccin : elle ne livrera cependant des réponses qu’en 2020…

L’incompréhension ou l’énervement que suscitent ces campagnes publicitaires sont aiguisées par un constat flagrant : ce cancer est assez peu meurtrier en Occident, comme nous le montre cette carte. En réalité, il tue beaucoup dans les pays pauvres où aucun système de prévention n’est facilement accessible et où la commercialisation de produits aussi chers (environ 135 euros par dose, sachant qu’il en faut trois) serait un échec.

Les vaccinations massives vont en effet avoir un coût important pour les Etats qui les mettent en œuvre (à peu près 100 millions d’euros par an pour la France où le Gardasil est conseillé et remboursé à hauteur de 65 % par la sécurité sociale depuis le 11 juillet 2007). Et c’est là que prend toute l’importance des campagnes menées par les laboratoires. Leur matraquage a en effet pour but premier de faire accepter l’utilité de leur produit aux pouvoirs publics, seule garantie qu’ils seront bien accueillis sur le marché, surtout lorsqu’ils sont chers, car bien remboursés.

Des gouvernements pris en otages ?

Aux vues de l’importance et du raffinement des campagnes menées, il est évident qu’elles ont eu un impact fort. L’éternel dilemme revient à chaque nouvelle commercialisation novatrice (dernier exemple de ce type, le BCG, aujourd’hui administré à tous les enfants) : la santé est trop coûteuse pour les Etats, et trop précieuse pour l’industrie privée. C’est pourtant un business. Heureusement, il est différent des autres et les Etats ont mis en place des réglementations extrêmement rigoureuses visant à encadrer l’activité pharmaceutique. Le moindre faux pas est très durement puni et la société risque sa viabilité si elle abuse de sa position de pourvoyeur de santé. Il suffit de s’attarder sur les spots publicitaires pour se rendre compte qu’elles diffusent un message contrôlé : les réglementations nationales encadrent  sévèrement les propos émis. Alors que le British National Health Service va commencer la vaccination systématique des jeunes filles de 12 ans à l’école, que l’Allemagne se pose la question, et que les Etats-Unis y ont répondue favorablement, des voix s’élèvent pour dénoncer l’inefficacité de cette vaccination, voire sa dangerosité et le manque de fiabilité des études menées par les laboratoires.

Le matraquage publicitaire aurait-il réussi à influencer des autorités publiques en charge de la santé des populations ? Ou ce matraquage aurait-il réussi à prendre les populations en otage, ne laissant plus d’alternatives à des Etats obligés de capituler devant l’urgence des besoins ressentis ?

JB

[1] « Cervical cancer » est l’expression anglaise pour cancer du col de l’utérus.

[2] En Europe, la publicité sur les médicaments est extrêmement réglementée. La santé est un sujet trop délicat pour qu’il soit laissé à l’initiative des laboratoires de communiquer sur les traitements. L’Union Européenne, en 2004, a reconduit l’interdiction de faire de la publicité pour les médicaments sur prescription. En France, une liberté contrôlée est laissée aux laboratoires qui peuvent communiquer sur certains de leurs produits tout en respectant un nombre de restrictions importantes : ainsi, il faut que la publicité fournisse un très grand nombre d’informations précises sur la maladie, ne fasse pas directement la promotion du médicament, conseille de se référer à un professionnel de la santé…


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