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Voyage en première ligne

Publié le 12 janvier 2009 par Dje

Ce sont les dernières destinations à la mode. Au diable les îles, le soleil, la belle vie, maintenant on va faire des virées dans les montagnes irakiennes, visiter les favelas de Rio ou parcourir les contrées tchétchènes. Dans ce monde où les conflits armés se succèdent et s’éternisent, le tourisme de guerre est un phénomène grandissant, galopant même. Moyennant un gros cachet, certains tour-opérateurs acceptent d’emmener des touristes inconscients dans des zones hautement dangereuses. Vous les avez peut-être vus lors d’un reportage d’Envoyé Spécial la semaine dernière. Edifiant.
On pourrait croire que ça part d’un sentiment noble, celui d’aller à la rencontre de peuples blessés, de leur apporter un peu d’espoir, et pourquoi pas d’aider l’économie locale via le tourisme. Il n’en est rien. Juste des quinquagénaires bien pensants avides de voir le feu de près, de toucher du doigt la réalité de la guerre, dans un voyeurisme écœurant. J’ai regardé ce reportage par curiosité, pour voir si à un moment une quelconque marque d’ouverture d’esprit interviendrait, mais c’était peine perdue. Pourtant ils le disaient avant de partir, ces pseudo-baroudeurs qui se la jouent bohème, leur but était d’aller vers les gens, de faire des rencontres, d’échanger. Au lieu de quoi on a l’impression de voir une colonie de vacances qui se promène dans un zoo, prêts à jeter des cacahuètes aux autochtones complètement perdus face à cette arrivée impromptue.
En ajoutant en sus l’œil déformateur de la caméra, on a l’impression de voir de la télé-réalité en temps de guerre. Les petites interviews en aparté des touristes renforcent le sentiment général de dégoût, eux qui sont là à parler de ce qu’ils ont cru comprendre des mœurs et de la réalité du pays dans un discours gorgé de condescendance et de moralité niaise. Ils prétendent vouloir communier avec la population et s’immerger dans leur culture, mais ils entrent dans les mosquées comme on entrerait à la Poste, sans enlever leurs chaussures et se plier aux coutumes, alors même qu’à deux mètres d’eux les fidèles sont en train de prier pour que la guerre s’arrête. Se sentent-ils vivants dans ces moments-là ? Se sentent-ils mieux de voir au plus près la souffrance des gens ? C’est en tous cas ce qu’expriment leurs visages.
Je les vois déjà rentrer chez eux, briller en société en racontant leur périple si dangereux au milieu des obus qui éclatent et des gens qui meurent. Ils oublieront bien sûr de préciser les moyens militaires mis en œuvre pour les sécuriser, voitures blindées et personnel de sécurité armé jusqu’aux dents. Qu’on ne vienne pas me parler de danger… A l’instant où des civils vivent dans la peur, eux traversent la ville avec une escorte à faire pâlir le pape. Suis-je le seul à être dérangé par ce contraste ? Mais eux ne se rendent compte de rien, c’est naturel, ils ont payé pour ça.
Le pire dans tout ça, c’est que la population les accueille à bras ouverts. Pris en otage par leur propre désillusion, ils ne comprennent pas le cynisme de la situation, espérant vraiment que ces visiteurs inattendus sont là pour les comprendre et les aider. Si ils savaient qu’ils ne sont que les jouets de professionnels sans scrupules qui exploitent la misère pour apporter leur dose de curiosité malsaine à des bourgeois en mal d’aventures insolites… J’en suis presque venu à souhaiter que ce bus saute sur une mine avant la fin du reportage. Vous vouliez voir la guerre ? Vous voilà servis ! Mais non, tout se termine bien, tout le monde rentre chez soi en ayant l’impression délicieusement douce d’avoir fait une bonne action et d’avoir donné un peu de rêve à des peuples en souffrance. Et sitôt la douane passée, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Qu’il est facile d’être compatissant quand on se cache derrière une vitre ou un écran. C’est la bravoure des lâches que de se prétendre solidaire, et les lâches sont en train d’installer une dictature mondiale. Hélas, les paroles n’ont aucun poids face à la réalité des actes.
(C'est donc ça nos vies... 12.01.2009)

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