Pour un certain nombre d’observateurs du jeu vidéo, l’un des faits marquants de l’année 2008 aura été l’émergence des productions indépendantes. Porté en étendard de ce phénomène, l’étonnant Braid s’est ainsi retrouvé dans les listes des meilleurs jeux de l’année 2008. Le Time l’a même classé second derrière GTA. Cette percée des productions indépendantes s’explique selon moi par plusieurs facteurs.
D’abord, par la concentration du marché. Les investissements
nécessaires sur console next gen sont tels que les gros éditeurs
préfèrent limiter leur line up. Entre les jeux AAA à gros budget d’un
côté, et les titres casual de l’autre, qui sont moins chers à produire,
mais qui nécessitent des investissements marketing énormes, il ne reste
guère de place pour le reste. Par voie de conséquence, quand un
développeur indépendant présente un concept de jeu alternatif à un
éditeur majeur, il se fait envoyer sur les roses. La plupart du temps.
Alors que la DS et la Wii pourraient être de formidables plateformes
pour les développeurs indépendants, plus accessibles financièrement,
plus propices à l’expérimentation, elles subissent elles aussi,
malheureusement, le même phénomène.
« Votre jeu atteindra au mieux 300.000 exemplaires monde. En dessous du
million d’exemplaires potentiel, nous n’investissons pas ! »
Il en existe même, je vous jure, qui regardent avec condescendance les
résultats, soi-disant moyens d’un Phoenix Wright par exemple (450.000
exemplaires tout de même !). Un jeu comme In Memoriam ne trouverait
sans doute plus d’éditeur aujourd’hui. Le Pr Layton aurait-il eu le
même succès commercial s’il n’avait pas été édité par Nintendo ? Et
Soul Bubbles, renommé Kirby Bubbles par Nintendo, aurait-il eu le même
destin ?
Heureusement, comme tout le monde le sait, la nature a horreur du vide.
Une partie du public, en manque d’originalité, finit par se tourner
vers d’autres plateformes et d’autres modèles de diffusion : les jeux
en téléchargement payants sur PC, XBLA, PSN ou même Wiware. Ceux-ci
leur proposent l’alternative qu’ils ne trouvent plus ailleurs. Pour les
petits développeurs indépendants, ces nouvelles plateformes sont un
refuge, une aubaine. Quitte à financer seul un jeu autant l’éditer
soi-même ! I-fluid de mes amis Exkee a fait 15.000 exemplaires sur
Steam en quelques semaines. Dans un modèle de distribution classique en
boites, au même tarif public, il faudrait 6 à 7 fois plus de volume de
ventes pour générer un revenu équivalent au développeur !
Pour les joueurs, en mal de nouvelles formes d’expériences
interactives, ces jeux plus accessibles, plus originaux, et surtout
moins chers, apportent une réelle bouffée d’air frais.
On assiste ainsi à cette rencontre miraculeuse entre un public de
connaisseurs de plus en plus large et des créateurs passionnés et
sincères qui remettent la création au centre de leur démarche. Dans le
jeu indépendant règne un état d’esprit proche de celui qui existait au
début des années 90 et qui malheureusement a fini par disparaitre chez
certains éditeurs et certains studios. Leur taille critique ne leur
laisse désormais pas d’autres choix. Comme le dit le créateur de Braid
dans une interview passionnante publiée par Chronicart « je ne laisse
pas le marché déterminer le contenu de mon jeu : je réalise le jeu que
j'ai envie de faire, pas celui qui est censé me rendre riche. Beaucoup
de gens ne seront pas d'accord avec moi sur ce second point, mais je
pars du principe que quand on cherche uniquement à faire du profit, on
se lie aux mêmes impératifs que les gros éditeurs : on devient
simplement un petit poisson avec un petit budget. »
L’une des raisons qui explique également l’émergence du jeu indépendant
c’est l’arrivée d’une nouvelle génération de game designers. Nés en même temps que le jeu vidéo, excellemment formés. ils
connaissent son histoire et sa grammaire sur le bout des doigts. Braid
d’ailleurs reprend un concept de jeu de plateforme à l’ancienne en le
renouvelant, avec le contrôle du temps, de manière magistrale. Attachés
à leur indépendance et à leur liberté, ces jeunes game designers
trouvent avec ces nouvelles plateformes un moyen d’expression à leur
mesure.
Attention toutefois aux excès d’enthousiasme : les créateurs de Lost
Winds ne sont pas nés de la dernière pluie et les créateurs de World of
Goo ne sont pas des débutants non plus. Parce que ceux-ci ne sortent
pas de nulle part, il est important de souligner qu’il ne suffit pas
d’une idée originale, de bonnes résolutions et de quelques centaines
d’euros pour faire un bon jeu. Braid a couté la bagatelle de 180.000
dollars, presque le prix d’un petit jeu sur DS.
Il est fort probable que l’année 2009 confirme cette tendance de fond. La crise économique ne facilitera pas les prises de risque. On verra la majorité des gros éditeurs empêtrés, pour des raisons financières, dans leurs politiques de suites. Mais il est fort possible que certains d’entre eux, plus malins que les autres, créent des structures indépendantes, structures satellites auxquelles ils accorderont une grande liberté de création pour contrer les structures indépendantes. Ou bien ils engageront des partenariats privilégiés avec de petits studios bourrés d’idées et d’énergie. La politique EA partners en est peut-être une prémisse.
Je l’ai dit souvent au cours de mes interventions publiques : nous sommes passés en 30 ans d’un artisanat à une industrie de blockbusters, sans passer par cette phase intermédiaire dans laquelle le cinéma des années 40 et 50 était passé : celle d’un art populaire mettant en prise de véritables auteurs avec un très large public de connaisseurs. Il n’est jamais trop tard pour rattraper le temps perdu. Sur cette touche optimiste, je vous souhaite à toutes et à tous une excellente année 2009.
Illustration : Braid de Jonathan Braid, 2008.
Voir également sur ce sujet l'article d'Ecrans concernant Crayon Physics