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La Vespa de Nanni Moretti.

Publié le 13 janvier 2009 par Pensezbibi

Comment oublier cette balade en Vespa ? Comment oublier le film de Nanni Moretti s’ouvrant sur un homme en scooter noir ? «Sur ma vespa» : c’est le premier chapitre de « Journal intime » tourné en 1994. Il dure 27 minutes et quarante secondes. Pas de plus belles séquences sur une ville (Rome) que ces minutes et que ces quelques secondes. 
Nanni se balade en scooter et emprunte les chemins de longs panoramiques. Il prend son temps pour dire qu’il « sera toujours avec peu de gens», qu’il a «confiance en l’homme mais pas dans la majorité ». Il prend le temps de dire que le temps presse aussi : pour détester le film Henry, Portrait d’un serial killer de John MacNaughton, pour se désoler d’une critique, pour s’arrêter à Garbatella. Sinuosités, libertés de ton à Casalpalocco où il interpelle la jeunesse bafouée d’un résident de 1961 et à qui il crie sa courte rage. Il monte le ton contre l’omniprésence des «chiens de garde et des cassettes-vidéos » derrière les murs. Nanni dit en images ce qu’il aime, il aime les musiques conjuguées de Khaled («Didi »), de Léonard Cohen ( «I’m a Man ») et de Keith Jarrett ( le concert de Koln), il aime la danse (merveilleuse apostrophe en langue italienne de Jennifer Beals, héroïne de «Flashdance »). Et comment ne pas rejoindre Moretti pour s’engager avec lui sur ces magnifiques panoramiques de quartiers romains (les prononcer, là encore, avec l’accent italien du réalisateur : Garbatella 1927, Village olympique 1960 , Tufello, 1960, Vigne Nuove, 1987) ? Comment ne pas aimer ce rythme filmique tout en déambulations et en virages pris sans brusquerie. «Ce que j’aime faire aussi, c’est regarder les maisons, dit-il de son accent inimitable. Comme ce serait beau un film fait de maisons, de panoramiques sur les maisons ». Premier film où le décor – qui n’en est plus un - devient le corps du film.
La ville revisitée, la ville et ses quartiers populaires d’antan, la danse, le cinéma à venir, le cinéaste Pasolini, fantôme en bordure d’écran : tout s’accumule. Comme ces Unes des journaux empilés sur l’assassinat du cinéaste de la Marge, de la Minorité.
Plage du crime, plage du film en longs plan-séquences. Ce « Pasolini-Plage » est à rebours des sables brûlants de la Méditerranée. Sur les à-côtés, la lande est pelée, les roseaux verdâtres et au détour, juste derrière les barres de sûreté de la route, il y a un terrain de foot qui a la gale, il y a deux poteaux rouillés et une stèle mangée par le temps. Et encore juste derrière le vieux grillage, voilà Pasolini, toujours vivant, voilà toujours, en promesse entière, une certaine vision d’un cinéma rageur et enragé, voilà des films à venir indestructibles.


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