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[Bilan] Jekyll (6 épisodes)

Publié le 15 août 2007 par Heather

L'été n'est plus la période creuse où le sériephile retardataire pouvait rattraper les séries de la saison qui venait de s'achever, prenant son mal en patience en attendant la rentrée. Cet été 2007 aura été particulièrement riche en séries. L'offre des chaînes câblées américaines fut importante et -le plus important- dans l'ensemble de bonne facture, ce qui est à saluer. Les nouvelles saisons auront permis aux séries plus anciennes de tenir de leur rang (Big Love, Eureka, Psych, The Closer...), tandis que plusieurs nouveautés sont sorties du rang (John from Cincinnati, Mad Men, Damages, The Kill Point...). Pourtant, en dépit de toute cette richesse, mon véritable coup de coeur de l'été n'est pas américain, mais britannique. Série de la BBC, Jekyll a offert un récital enthousiasmant et complet, tant sur la forme que sur le fond, des ingrédients qui font une bonne série : un vrai plaisir télévisuel à suivre.

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Livrer une version moderne du Dr Jekyll & Mr Hyde était un défi intéressant à relever. Dans l'ensemble, le résultat est une réussite. Sur le plan de l'intrigue même, l'histoire se passant dans le présent, les moyens modernes permettent d'explorer de nouvelles voies pour faire face à ce dédoublement de personnalités. Les techniques utilisées pour établir la communication entre Jackman et Hyde occasionnent des monologues savoureux, comme lorsque la "transformation" a lieu en pleine agression de la part d'un petit truand. Chacun est sensé s'enregistrer dans un magnétophone portable, pour mettre l'autre au courant de la situation lorsqu'il s'éveille. Mais Hyde a quelques réticences à se plier au protocole, s'ensuivent diverses situations cocasses durant lesquelles Jackman, ignorant où il se trouve, a tendance à payer la note de la chambre d'hôtel une deuxième fois ou ne retrouve jamais l'emplacement où la voiture a été garée par Hyde. De petits détails de la vie quotidienne, qui dans un autre contexte auraient été insignifiants, prennent ainsi une toute autre dimension. La série les exploite pleinement de façon très juste, prenant plaisir à jouer sur la double personnalité mise en scène.

L'effort de modernisation du récit a amené les scénaristes à inclure une mystérieuse et très puissante organisation, agissant dans l'ombre, qui semble en savoir bien plus sur la condition de Jackman que lui-même. La série se complaît dans les archétypes du genre, tout en conservant une certaine distance salutaire par le ton employé, évitant habilement l'écueil d'un trop grand sérieux qu'il aurait fallu prendre au premier degré. L'attrait réside dans cette ambivalence. En effet, cette organisation est une incarnation parfaite des méchants tels qu'on peut les concevoir dans les fictions. Mais, si les scénaristes utilisent des dynamiques a priori classiques, une fois encore, la spécificité réussie de Jekyll transparaît. Un décalage réjouissant est cultivé dans la mise en scène du fonctionnement interne de cette compagnie, notamment grâce à ses employés. Cette touche d'humour noir omni-présente, parfois sarcastique, souvent vaguement absurde, comme l'illustre l'exposé des conquêtes féminines de Mr Syme par exemple, confère une dimension supplémentaire au récit.

Plus généralement, c'est la richesse d'ensemble qui frappe le téléspectateur. Chaque personnage, même secondaire, parvient à tirer son épingle du jeu, s'imposant toujours grâce à des personnalités tranchées hautes en couleurs. Seule l'infirmière/assistante de Jackman et Hyde se montre sans doute trop transparente pour parvenir à marquer les esprits alors que la tension ambiante va crescendo. Les dialogues sont vifs, bien ciselés et convaincants. Le ton de la série alterne entre du pur drama puisant dans l'émotion et cet humour noir typiquement britannique qui rend un bon nombre de répliques très savoureuses. Les personnages entretiennent cette même ambiguïté. En témoignent les échanges entre Jackman et Hyde ou encore les répliques inimitables de Mr Syme, incarnation du méchant flegmatique, qui sont un vrai délice. Le casting se révèle dans l'ensemble plus que convaincant, le tout étant porté par l'excellente interprétation schizophrénique et enthousiaste de James Nesbitt. Impressionnant de maîtrise, ce dernier parvient à recréer parfaitement la dualité entre Jackman et Hyde.

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La force de la série est aussi de parvenir constamment à se ré-inventer. Les rapports entre les personnages ne restent pas figés, évoluant constamment. Mais nous avons également droit à un véritable récital des différentes techniques de construction d'un épisode. Les scénaristes prennent plaisir à s'essayer à toutes les options, changeant la perspective ou le style de la narration à chaque épisode. Ils n'hésitent pas à utiliser des flashback ou à raconter la même histoire d'un point de vue différent (d'abord selon Jackman, puis selon Hyde). Je propose d'envoyer les DVD de ces six épisodes à tous les scénaristes d'Hollywood qui se complaisent à inclure flashbacks et autres effets narratifs plus ou moins inspirés dans leurs séries. La construction scénaristique de Jekyll mériterait à elle-seule d'être étudiée de façon spécifique, tant elle apparaît convaincante, utilisée à propos et non à contre-sens. J'ai rarement vu des aller-retours temporels s'intégrant avec autant de fluidité dans la narration, sans aucun accroc. Cela donne des épisodes parfaitement homogènes où le téléspectateur n'a aucun mal à suivre le fil. Mais surtout, il y a la satisfaction de sentir et d'apprécier la recherche manifeste pour l'intégration des différentes scènes et les efforts de construction des scénaristes. Chaque épisode est un produit fini à lui-seul, fiction travaillée sur la forme comme sur le fond. Et l'ensemble s'emboîte parfaitement. Pour une fois, on n'a pas l'impression de céder à la facilité, ni d'avoir à faire à un montage bancal où les flashback rompraient le ton d'ensemble de l'épisode ou le fil du récit. C'est un vrai plaisir à suivre, mais aussi un résultat convaincant qui est vraiment à saluer.

Certes, tout n'est pas parfait. La chute finale à la fin du sixième épisode, notamment, peut amener à discussion, même si l'idée, prenant à contre-courant le téléspectateur, est à mon sens intéressante. Tout cela ne peut cependant éclipser la vraie réussite d'ensemble. Il faut d'ailleurs vraiment saluer Steven Moffat, le créateur de Jekyll. C'est déjà à lui que l'on devait l'hilarant Coupling (la version UK -Six Sexy en VF, non l'ersatz américain raté), il a écrit parmi les meilleurs épisodes de Doctor Who, et voilà qu'il nous présente une fiction comme Jekyll. J'adore son style d'écriture (et ses auto-références -par exemple, le "are you my daddy ?" de Hyde évoquant automatiquement le double épisode de Doctor Who durant la Seconde Guerre Mondiale -extra!). Il fait preuve d'une belle polyvalence.

Bilan : Jekyll manie habilement les genres, série fantastique se complaisant dans cet humour noir que les britanniques maîtrisent si bien, mais qui sait aussi assumer sa part de drama versant plus dans l'émotion. Réjouissante sur le fond, admirablement finalisée sur la forme, c'est une série à découvrir et tout à fait le genre de fiction que j'adore. Au vu des dernières révélations et clins d'oeil de fin, si jamais la BBC pouvait commander une suite, je ne dirais pas non.


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