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Eric Besson : Phénoménologie de l’animal p…

Publié le 18 janvier 2009 par Petiterepublique

Animal politique, bien-sûr. Forme assez aboutie de la figure de l’ambitieux, doté d’instinct, capable de trahir et d’aller au plus haut. La France en a connu de sublimes, quelquefois compétents et somme toute qui surent servir leur pays. La formule s’applique-t-elle à Eric Besson, bientôt ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale ? Après ces quelques mois en tant qu’obscur secrétaire d’Etat à la Prospective et à l’Economie numérique, on peut imaginer sa satisfaction d’être ainsi promu. Mais la formule s’applique-t-elle vraiment le concernant ? Doit-on seulement garder le nom sans l’adjectif ? Non, Patrick Besson n’est pas un animal, c’est un être humain, comme vous et moi. Pas tout à fait pourtant…

Une carrière exemplaire :
C’est en 1993 qu’il rejoint le Parti Socialiste. Epoque singulière. C’est la fin des années Mitterrand et le gouvernement Bérégovoy perd les élections législatives, ouvrant cette période de l’avènement de Balladur et ses rêves de grandeur. Celui qui avait échoué au concours d’entrée à l’ENA a-t-il alors décidé d’être un militant exemplaire, entrant par la petite porte dans un parti à la recherche de nouveaux repères et sans vrais leaders ? Sans doute, les choix engageants sont toujours de bonne conscience, en tous cas apparaissent-ils ainsi, même avec les perspectives et ambitions cachées dans le creux des âmes. Et ce fut pour Eric Besson fort judicieux. Après s’être frotté au journalisme comme rédacteur du magazine Challenges puis à la lutte contre l’exclusion au sein de la fondation Vivendi, O.N.G qui fit tant pour les petits épargnants, il devint deux ans plus tard maire de Donzère dans la Drôme, puis député dans la foulée. En 2003, il rejoint le bureau national du Parti Socialiste en qualité de secrétaire national chargé de l’économie et de l’emploi, et pressenti un temps pour remplacer Hollande à la tête du parti. Beau parcours, à l’orée de l’élection présidentielle de 2007 pour celui qui est resté fidèle à Jospin et qui œuvre pour qu’il se représente, malgré la décision de ce dernier de se retirer, déclaration vite regrettée mais jetée comme une gifle à ses électeurs le soir de sa défaite.

La mécanique d’une trahison…
Pour faciliter le propos nous retiendrons ce terme, juste d’un point de vue formel lorsqu’il appela à voter Sarkozy, mais  sous-évalué en considérant le trait de caractère. Que s’est-il passé ? Il faut oublier le livre de circonstance Qui connaît Madame Royal ? écrit par l’intéressé, pour s’en tenir aux faits. Eric Besson a jusqu’au bout soutenu une candidature de Lionel Jospin, au-delà même de son renoncement à se présenter aux primaires organisées au sein du parti ; Besson poussait même l’idée d’une candidature autonome car il y avait dans l’air en cas de victoire un poste possible de Premier ministre. Mais ne vivant pas en lévitation au-dessus de la réalité, Jospin rengaina son orgueil et ses tendances à s’émouvoir en public lorsqu’il s’agit de lui et remisa ses ambitions, laissant ses affiliés sans ressource ni avenir. Concernant Eric Besson, ce fut alors un remix de la fable de Perrette, « La Laitière et le Pot au lait », avec pour seul retournement possible le ralliement à la candidature de Ségolène Royal…
Mais c’est, au sein de son équipe de campagne, une fin de non-recevoir. On peut mesurer alors le dépit se transformant en hargne et rancœur, avec ce sentiment d’impuissance d’être peu apprécié à sa juste valeur. Plus d’espoir, il faut alors se créer une fenêtre de tir et donc faire ce choix de saboter la candidature de Royal ! Pratique habituelle dans nos mœurs politiques, mais s’agissant de visées opportunistes, il convient qu’elles aient l’apparence du courage et de l’intelligence.

Sarkozy, mon beau chevalier blanc…
Quand on a écrit « La France est-elle prête à voter en 2007 pour un néo-conservateur américain à passeport français ? » et encore « En supprimant ou en restreignant fortement les principaux dispositifs de régularisation, Nicolas Sarkozy se prive des outils permettant une régularisation au fil de l’eau et évitant ainsi les régularisations de masse. En d’autres termes, Nicolas Sarkozy fabrique des sans-papiers, lui qui prétend lutter contre l’immigration clandestine !… », cela ne paraît pas si évident de se rallier à son panache blanc. Et pour ce faire, il faudra payer cash… Reprenons le déroulement des faits. Tout commence par une crise de nerfs. En février 2007 Eric Besson lance une violente diatribe contre les propositions économiques de la candidate lors d’une réunion du secrétariat national, sans être gêné qu’elles soient fortement inspirées de ses travaux en qualité de secrétaire national chargé de ces questions. Puis il y a ce voyage en Chine de Ségolène Royal… La rupture sera consommée et il faut qu’elle le soit publiquement, manière de laver l’affront d’avoir été maltraité par la candidate. Il écrit donc son pamphlet Qui connaît Madame Royal ?, manière de répondre à la question qu’elle posa « Qui connaît Monsieur Besson ? » Il s’ensuit une période de flottement au cours de laquelle il annonce sa démission du parti et de ses mandats électoraux, son retrait de la vie politique, écho quasi freudien de la déclaration de Lionel Jospin le soir de sa défaite. Est-ce une manœuvre pour donner un peu d’espace avant son ralliement public à Nicolas Sarkozy ? Possible car les deux hommes se connaissent très bien… En 1997, Eric Besson a bataillé fermement contre lui au cours des débats parlementaires pour l’adoption de la loi des 35 heures, puis il fut son principal contradicteur lorsque Sarkozy devint le ministre de l’Intérieur de Chirac, et celui des Finances. Mais certains font remonter à 1995 la connivence entre les deux hommes par l’entremise de Jean-Marie Messier. En tous cas, le change est donné et Eric Besson se retrouve alors dans la peau d’un repreneur de l’équipe de foot de Nantes ! Pour ceux qui le crurent, l’illusion dura peu, le temps d’attendre les résultats du premier tour…
Le soir du 22 avril, il annonce son ralliement, prend la parole quelques jours plus tard lors d’un meeting électoral à Poitiers devant plus de 10.000 sympathisants UPM médusés. Allant plus loin dans la démarche, il se transforme en coach de Sarkozy lorsque celui-ci prépare le débat d’entre-deux-tours avec Ségolène Royal… Du rarement vu dans les annales politiques, digne du retournement d’un espion racontant par le menu les secrets de ses précédents commanditaires. Mais Sarkozy, adepte de la stratégie de l’araignée et de son baiser qui tue, tient bien sa proie et en tire tout le suc, tout en lançant ce signal fort aux autres. Ils suivront bien sûr, mais après l’élection de leur nouveau champion, sans qu’il leur puisse être reproché d’avoir tout fait pour ruiner les chances de leur candidate. Si la trahison était un crime dont se seraient rendus coupables les Kouchner, Jean-Marie Bockel, Martin Hirsch, Fadela Amara, pour Eric Besson, il faudrait ajouter la préméditation.

Une tradition bien française
Il est  inutile de se demander ce que l’Histoire gardera du parcours d’Eric Besson. Rien car, finalement, la banalité de l’acte le renvoie à son néant et dès lors son destin ministériel n’a pas d’importance. Sa promotion au ministère le plus controversé de l’ère sarkozyste, sa future intronisation parmi les barons de l’UMP rappellent les trente deniers donnés à Judas et il restera attaché à son faiseur comme le pendu à sa corde. Qu’il déplaise ou qu’il se démonétise, il sera renvoyé au cimetière des gadgets avec lesquels on a fini de jouer. Le cadavre bougera encore, cherchant des appuis qui se déroberont. Puis il sombrera dans le désarroi et l’amertume. En fait la trajectoire d’Eric Besson n’a d’intérêt que pour une étude de cas, illustrant une tradition bien française de l’ère moderne. Si l’on met de côté les quelques ministres d’ouverture tels que Durafour ou Jean-Pierre Soisson, recrutés par Mitterrand mais issus du centre donc par nature versatiles, on ne trouvera pas de responsables politiques de droite trahissant leur parti pour se retrouver à gauche. C’est donc une caractéristique de celle-ci que de générer de tels hommes. Et ils sont nombreux !

Déat, Doriot et tant d’autres…
On peut remonter très loin dans l’histoire du siècle dernier. Clémenceau, le brillant révolutionnaire, socialiste accompli sut se transformer en sanglant ministre de l’Intérieur, envoyant la troupe pour briser des grèves et il n’aurait pas connu la gloire sans la divine surprise de la première guerre mondiale. Tant d’autres l’ont précédé ou le suivront, plus obscurs et oubliés de l’Histoire. Seul Jean Jaurès sort du lot, mais sans la balle qui l’a statufié, aurait-il lui aussi souffert de ce mauvais cancer de la conscience que de trahir ses années de jeunesse ? Tout est affaire de circonstances et dans cette zoologie de la trahison le régime de Vichy fut un vivier. Jacques Doriot, dirigeant communiste et maire de Saint-Denis, pourfendeur des fascistes dès le début des années trente ne supporta pas de voir ses ambitions bafouées et que lui soit préféré Maurice Thorez au sein de la direction du parti. Et il devint l’un des pires collaborateurs, partisan des nazis au point de revêtir l’uniforme de la Wehrmacht sous lequel il mourut en 1945. Que dire d’un Marcel Déat, journaliste, jeune député socialiste en 1926, promis (lui aussi..) à succéder à Léon Blum, socialiste sincère et virulent aux prétentions contrariées qui devint ministre du maréchal Pétain en rêvant d’être le chef d’un parti unique fasciste ? Bien entendu il ne faut pas oublier Pierre Laval, membre du Parti Socialiste avant de verser dans le radicalisme et dont on connaît la triste fin !

L’avenir appartient-il aux traîtres ?
Il ne faut pas gâcher l’histoire du mouvement ouvrier et démocratique, ni même celle de notre pays par le souvenir de ceux qui les ont trahis et ces arbres abattus ne cachent pas la forêt. Mais la matrice est bien là qui les fabrique. Ambitions bafouées, vanités contrariées, opportunisme, orgueil et velléités, ces virus ne demandent qu’à frapper et sont les symptômes de la faiblesse des corps constitués que sont nos partis de gauche. Et cette affaire est d’importance lorsqu’il s’agit des forces de progrès. Le fait qu’il y ait au sein de ces partis des instances ayant donné des responsabilités à de tels hommes montre qu’il convient de réinventer leur fonctionnement. L’on ne parle pas impunément au nom des plus humbles et la trahison de leurs mandataires donne un tour de vis à leur espérance, suscitant le trouble des consciences et cette idée noire qu’en politique, « ils » sont tous pareils. Pourtant la droite est la droite, elle ne sera jamais portée sur le mélange des genres et on ne peut pas lui reprocher d’être l’instrument de la défense des intérêts de la bourgeoisie, selon le vocable du siècle précédent, aujourd’hui de la finance internationale, bref de la mondialisation du capitalisme. Elle ne s’en cache pas, déclinant ce credo selon lequel ce qui est bon pour les possédants l’est aussi pour ceux qui n’ont rien et ses leaders portent haut, souvent avec appétence, ses couleurs. Nicolas Sarkozy en est un et on peut lui reconnaître ce talent d’être le maître de ces temps de décadence idéologique où l’on oublie trop vite que la confrontation de classes est une réalité concrète : familles jetées dans la misère, précarité, dureté de la vie, licenciements, économie de survie, justice et médias sous contrôle et instrumentés. Quant à la gauche, tant qu’elle n’aura pas réinventé ses instruments d’organisation et suscité l’esprit de résistance, elle est vouée à être le spectateur de sa déchéance. Face à ces ingrédients d’un désarroi généralisé et cette pénurie de perspectives, il est naturel que des hommes, tels qu’Eric Besson, Bernard Kouchner, Jean-Marie Bockel et consorts, bien différents de nous autres, suivent l’inflexion de leurs âmes et le chemin de leurs aînés. Ils en auront sans doute le destin.

Jean-Philippe Demont-Pierot


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