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Piqûre de rappel

Publié le 12 janvier 2008 par Jean-Philippe Immarigeon

Au risque de me répéter, il y a plusieurs choses que mes compatriotes ne comprennent pas concernant les Etats-Unis et qui risquent de les faire tomber de l’armoire dans un an. Enfin, j’espère, parce que l’aveuglement des Français est tel qu’on peut se demander ce qui pourra un jour leur ouvrir les yeux.

Tout d’abord, comme je l’avais déjà écrit dans American parano (le livre), les Américains ne sont pas contre la guerre et l’invasion de l’Irak mais contre l’échec de cette guerre. En bons pragmatiques, il n’y a aucun jugement moral de leur part sur leurs actes. Si les massacres et la torture permettent de remporter la victoire, vivent les massacres et la torture. Ils l’ont dit et écrit dès le lendemain du 11 septembre 2001, les journaux proches des démocrates ont applaudi des deux mains, des débats y ont été lancés sur l’utilité de la torture, et on sait que le Pentagone s’est passé en boucle La Bataille d’Alger de Pontecorvo.

Pour les Français de tradition humaniste et de libre-arbitre catholique, une guerre militairement gagnée comme en Algérie est une guerre perdue. Pour un Américain de culture luthérienne et anti-humaniste, qui ne se préoccupe pas de savoir s’il agit bien ou mal ou si les tortures qu’il pratique vont le damner étant donné qu’il a la grâce acquise une bonne fois pour toutes, tout est question d’efficacité et de management.

Bush en Orient

Le ou la future président des Etats-Unis raisonnera comme ses compatriotes. Ses décisions sur l’Irak, sur Guantanamo, sur les lois d’exception sécuritaires, etc… seront dictées à la seule aune de leur utilité. Il y a donc une méconnaissance et une incompréhension totale et volontaire de la part de Français, de ne pas voir le fossé culturel et civilisationnel qui nous sépare depuis toujours des Américains. Plus grave : les Français prêtent aux Américains leur même mode de pensée, et refusent d’entendre ou même de lire ce que ces mêmes Américains écrivent et disent sur eux et sur nous depuis deux siècles. Et se bercer de quelques éditoriaux des journaux de la côte est est s’aveugler volontairement : où étaient ces mêmes éditorialistes lorsque la France se faisait traîner dans la boue ? Où seraient-ils aujourd’hui si la guerre d’Irak avait été un succès ?

Or ce qu’on veut ignorer en France alors qu’il suffit de surfer sur Internet ou d’acheter la presse américaine, c’est que depuis plusieurs semaines l’opinion publique US est priée de constater que le niveau des violences a considérablement baissé à Bagdad, que des milliers d’Irakiens exilés retournent chaque semaine dans leur pays, que les opérations militaires ont permis la destruction de plusieurs réseaux de résistance, etc… Donc que le surge fonctionne. C’est pour cela que Bush a annoncé que les troupes US resteraient bien au-delà de son mandat, c’est pour cela que McCain a dit qu’il renforcerait le dispositif et que ça pourrait durer encore 10 ans, c’est pour cela que les candidat(e)s démocrates sont devenu(e)s très prudents sur le retrait éventuel des troupes US.

US Universal Soldier

Pour nous Français ça n’a aucun sens : le plan Challe de 1960 avait aussi fonctionné. Et l’affaire irakienne, cette faute historique, est jugée par nous sans possibilité d’appel. Mais nous raisonnons ainsi parce que nous sommes Européens. Les Américains ne le sont pas. C’est idiot, mais c’est comme ça. Et comme je le rapporte dans Sarko l’Américain, ils sont définitivement « montés à l’envers de nous », comme m’avait soufflé une charmante attachée consulaire britannique à San Francisco (voilà, son prénom m’est revenu entretemps, elle se prénommait Denise).

Il n’y en a qu’un qui soit en phase avec l’Amérique, c’est Sarko. Mais c’est parce lui aussi il est monté à l’envers des Français et de leur civilisation pour lequel il ne cesse d’exprimer sa haine. Mais sans savoir pourquoi, il met dans le cœur de la cible, car l’Amérique qu’il aime, celle qui nous déteste, est la vraie et la seule Amérique, et la seule qui existe désormais. C’est l’Autre Amérique, comme on dit dans les salons parisiens, qui n’existe plus.

D’où les crises à répétition, dont celle de 2003 n’était ni la première ni la dernière, et qui à chaque fois sont plus violentes. Il est donc ridicule de voir nos hommes politiques, nos journalistes, nos intellectuels se précipiter de nouveau depuis deux semaines en extase de ce qui se passe et va se passer aux Etats-Unis d’ici le 4 novembre. Ce qui va se passer ? Rien ! Et après ? Et bien l’Amérique va continuer comme aujourd’hui, et nous serons contraints de lui dire « merde » une bonne fois pour toutes.

PS : pour illustrer les échanges des commentaires ci-après, voici deux cartes parues dans Le Monde Diplomatique, avant la guerre d'Irak et plus récemment...

Heartland

Central Command

Cet article a été repris par Newropeans Magazine dans sa rubrique Transcontinental.


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