Le diable est-il dans nos verres ?

Par Oenotheque

Denis Saverot & Benoist Simmat : In Vino Satanas.

Voilà déjà quelques temps que de nombreuses voix s’élèvent pour alerter sur ce qui n’est ni plus ni moins que la mise au ban, à l’intérieur de nos frontières nationales, d’un produit que le monde entier pourtant nous envie : le vin. Il ne nous est pas seulement envié pour sa valeur culturelle, pour les notions de plaisir ou de prestige qui lui sont attachées, mais également pour son poids économique, puisqu’il occupe 60.000 emplois, développe 15 Mds d’euros de chiffre d’affaire et représente le second poste d’exportation du pays. Et pourtant, il est l’objet d’une véritable diabolisation de la part des pouvoirs publics. Le livre de Denis Saverot (rédac’ chef de la RVF) et de Benoist Simmat (reporter au service économique du JDD) arrive à point, à la fois pour faire un état des lieux objectif de ce paradoxe, et pour alerter l’opinion public avant que la France ne se tire définitivement une balle dans le pied en cassant sa viticulture.

N’ayez crainte de vous ennuyer en lisant ce livre, qui est très loin d’un indigeste rapport d’audit. Au contraire, les auteurs y alternent quelques scènes, voire anecdotes, représentatives du monde du vin, avec des analyses avec plus de recul sur les faits, le tout sans esprit polémique. Certes quelques passages un peu « people » auraient mérité davantage de concision. S’il peut être amusant de détailler le faste des fêtes organisées par la baronne Philippine de Rothschild, cela ne nous apprend pas grand chose sur le fond. D’autres chapitres sont bien plus éclairants. Où l’on voit comment s’organise le marché gris, celui de la contrefaçon, mais aussi comment sont dupés les journalistes à qui l’on réserve une barrique de dégustation un peu spéciale. Où l’on mesure les écarts sur 150 ans entre les superficies des domaines classés en 1855, tout en voulant nous faire croire à la supériorité d’un terroir. Où l’on croise bien entendu Robert Parker, ainsi que plusieurs flying winemakers français, que le monde nous arrache à l’instar de nos grands crus. Où l’on croise également des capitaines d’industrie, Bernard Arnault, François Pinault, Albert Frère ou encore Vincent Bolloré, dont la possession d’un château permet de réduire substantiellement l’ISF, une propriété viticole étant un outil de travail. Où l’on croise par contre bien peu de lobbyistes en faveur du vin, peu nombreux mais bien empêtrés dans leurs querelles de clochers. Où l’on entrevoit les artisans de la croisade antialcoolique, mettant vin, alcools forts et binge-drinking dans un même flacon, jouant des chiffres de la consommation d’alcool, mais négligeant ceux des antidépresseurs et anxiolytiques.

Un ouvrage complet, faisant bien le tour de la question, même si on n’y trouvera aucune grande révélation. Néanmoins se dessine, en filigrane, une question qui dépasse celle de l’avenir de la filière vitivinicole. Ne sommes-nous tout simplement pas en train d’assister à un changement de civilisation, un déplacement des lignes de forces, où le déclin du vin ne serait finalement qu’un symptôme du déclin de la place de notre pays dans le monde ?

In Vino Satanas. Denis Saverot & Benoist Simmat. 240 pages. Editions Albin Michel. 2008. 16 €.