Un soir ...

Par Oenotheque

Maurice Constantin-Weyer : L’âme du vin.

Baroudeur ayant passé onze ans au Canada, sans y boire une goutte de vin, poilu au Chemin des Dames, écrivain à succès, prix Goncourt 1928 pour Un homme se penche sur son passé, avant de sombrer dans l’oubli, Maurice Constantin-Weyer fut un personnage aux nombreuses facettes. C’est celle du gourmet, de l’esthète amoureux de la France et de ses vins, qui se dévoile ici. Ode lyrique (parfois un rien ampoulée) à sa boisson favorite, guide des régions et des appellations en devenir (le système des AOC a été institué trois après la sortie du livre), critique en règle des pratiques œnologiques douteuses, recueil de conseils gastronomiques, L’âme du vin est un peu tout cela. Et plus encore, puisqu’il nous offre un témoignage historique très vivant sur les us et coutumes œnologiques de l’entre-deux-guerres.

Certes, on peut aujourd’hui se gausser de quelques erreurs de jugement de Maurice Constantin-Weyer. A juste titre, il critique l’habitude des Bordelais de frapper le sauternes, il n’en recommande pas moins de le boire jeune, puisqu’il a déjà atteint sa plénitude. Il bannit la flute au profit de la coupe pour le champagne. Il recommande de servir les entremets avant le fromage, afin de l’accompagner du plus noble et du plus anciens des vins rouges de sa cave, point d’orgue du repas. Mais ce serait oublier un peu vite que tout dégustateur, aussi fin et éclairé gourmet qu’il puisse se croire, n’en reste pas moins influencé par les croyances qui lui sont contemporaines.

On ne peut, par contre, s’empêcher de rêver à l’évocation de quelques flacons prestigieux : Lafitte et Margaux 1848, Croizet-Bages 1869, Pape Clément 1878, Yquem 1893 ou encore Latour 1896. Des flacons qui, certes, n’étaient pas à la portée de toutes les bourses, et que les amateurs avisés encavaient pour leurs enfants. Les plus modestes se contentaient alors de Cos-d’estournel ou de Léoville-Lascaze, vendus dans toutes les brasseries au prix d'un muscadet ou d’un beaujolais. Faut-il ajouter qu’en cette époque la plupart des grands châtelains bordelais perdaient de l’argent ? Ils conservaient et entretenaient leur domaine surtout pour la gloire et l’honneur. Les fonds d’investissement et les capitaines d’industrie désireux d’alléger leur ISF n’étaient pas encore passés par là.

Le style est parfois un peu daté, mais là n’est le moindre des charmes de ce livre qui nous parle comme le ferait un grand-père de l’heureux temps de sa jeunesse, une époque où l’on entendait encore, certain soir, l’âme du vin chanter dans les bouteilles …


L’âme du vin. Maurice Constantin-Weyer. Avant-propos de Jean-Paul Kauffmann. Gravures de Paul Delvaux. 268 pages. Editions de la Table Ronde - Collection la Petite Vermillon. 2008 (édition originale de 1932). 8,50 €.