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Fabrice : "Je veux jouer" avec les femmes, les femmes

Publié le 06 janvier 2009 par Boisset
Fabrice, je t'aime même si t'es prétentieux et cabotin !

Le théâtre, une leçon d'humilité face aux grands auteurs LE MONDE | 27.12.08 | 14h18  •

Vous dites que c'est pour résister au complot de la bêtise et de la médiocrité que vous avez conçu votre spectacle, "Le Point sur Robert" (Espace Pierre-Cardin), dans lequel vous mêlez des textes de Valéry, Barthes, Chrétien de Troyes ou Flaubert avec des propos très personnels.

Pour résister, oui, à la haine de l'intelligence, partagée par la gauche et la droite. La gauche parce qu'elle refuse l'excellence au nom de l'égalité, la droite parce qu'elle est obsédée par les contingences matérielles, la gestion, le rendement, et qu'elle ne voit l'art que comme un objet de consommation. Je voulais faire un spectacle agressif contre l'époque, cette époque que je déteste, que je trouve démagogique : à gauche, le nivellement par le nombre, à droite - cette droite actuelle, affairiste et vulgaire -, l'exploitation par l'abrutissement.

C'est votre acte de résistance citoyenne ?

J'ai conçu le spectacle au moment de la dernière campagne présidentielle. Tout le monde, notamment dans le milieu du théâtre, cherchait à accomplir des "actes citoyens". Moi qui n'ai pas une grande conscience politique comme ces merveilleux acteurs de gauche qui s'indignent à tout bout de champ, je me suis demandé ce que je pouvais faire. Et je me suis dit que j'aimerais construire quelque chose autour de Paul Valéry, qui, pour moi, représente le scandale de l'intelligence. Parce que l'intelligence, aujourd'hui, est peut-être ce qu'il y a de plus scandaleux.

Vous renvoyez la droite et la gauche dos à dos ?

Je crois qu'en fait je suis profondément un homme de gauche qui, par passion de la pureté, n'accepte pas le cabotinage, le pathos ni les compromissions des hommes de gauche, et qui du coup s'est transformé en réactionnaire - pas politiquement : je ne vote pas. Je me méfie comme la peste des déclarations généreuses, des grandes leçons. Le philosophe Gilles Deleuze a dit une chose qui me trouble beaucoup : "Un homme de droite pense que la vie s'arrête sur son palier. Un homme de gauche pense que l'Afrique existe." En ce sens, je suis très homme de droite. J'ai un côté célinien : rien de ce qui est sordide dans l'humain ne m'est étranger. J'ai une idée assez médiocre de moi-même, et je me dis que j'ai déjà du mal à gérer ce qui se passe sur mon palier...

Dans le spectacle, il y a Valéry et Barthes, donc, mais aussi une dimension de one-man-show qui n'est pas négligeable. C'est votre côté histrion ?

Tout dépend de ce que l'on entend par histrion... C'est un terme réducteur, quand même. On m'a collé cette étiquette, notamment parce que j'ai beaucoup joué ce rôle à la télévision. Je vais à la télévision pour vendre mes spectacles ou mes films. Je fais le show parce que c'est la seule façon de détourner leur système : je fiche le bazar, et, quand rien ne va plus, je leur balance du Molière ou du La Fontaine en direct... Choisir le one-man-show, c'est faire un pacte contre l'ennui. Cette étiquette d'histrion me fait penser à un mot de Pierre Brasseur dans un dîner où il était invité avec des banquiers. Ces messieurs lui avaient demandé de les faire rire. Brasseur leur avait répondu : "Et vous qui êtes bourrés d'oseille, faites-moi un chèque de 100 000 francs..."

Tout grand acteur n'a-t-il pas une part histrionique importante ?

Oui, mais tout est dans la "part". C'est sûr que je ne suis pas de la tradition des acteurs tristes, graves. Je pense d'ailleurs que tout grand acteur est un acteur comique. Michel Bouquet, par exemple, a une part de drôlerie exceptionnelle. Mais, paradoxalement, la part histrionique n'est pas ce qui m'intéresse le plus. Ce qui me passionne, c'est de trouver la note : celle des auteurs, et celle de ma confidence. Et à l'intérieur de cela, il peut se passer des choses très bizarres avec le public. Michel Bouquet dit aussi qu'on ne joue pas pour les spectateurs, mais pour quelque chose en eux qu'ils ne connaissent même pas.

Vous admirez aussi beaucoup Laurent Terzieff, qui n'est pas franchement un acteur comique...

Oui, mais Terzieff, il est chrétien... (Rires.) Il est surtout à mille lieues des conventions bourgeoises. Il ne peut pas y avoir d'acteur bourgeois. Il y a une phrase magnifique de Jouvet à Blier - un des plus grands acteurs français, pour moi - dans Entrée des artistes : "Tu joues bourgeois. Tu t'installes confortablement dans un métier qui n'a pas de confort." "Rire veut dire je ne veux pas de l'autre, je n'accepte pas l'autre." Pour en revenir à l'histrion, je pense surtout qu'on ne peut pas ennuyer les spectateurs. Le cinéaste Benoît Jacquot m'a dit un jour que si mes spectacles avaient autant de succès, c'était parce que les gens y avaient enfin le droit de bouger... Alors, histrion, oui, dans le sens où toute cette affaire m'a dépassé : je ne savais pas au départ que j'étais capable de faire du music-hall, d'être aussi drôle. D'autant plus que je hais les spectacles comiques habituels. Cette mécanique conformiste où chaque phrase doit être drôle me révulse : c'est une aliénation. Alain Finkielkraut a raison de dire que nous périrons sous ce genre de rire, le rire qui exclut. C'est aussi ce que pointait Barthes :

C'est ce que vous avez cherché dans ce spectacle ? Une forme qui dérange le spectateur dans son conformisme ?

Sa connerie ! Ses assurances. Comme disait Flaubert : "Qu'est-ce que la bêtise ? C'est celui qui conclut." Le danger à éviter à tout prix pour moi, ce serait de pactiser avec le public contre les auteurs qui forment la trame du spectacle.

Vous êtes avec Barthes, mais aussi au Palace, la boîte de nuit des années 1980, évoquée dans le spectacle...

Mais Barthes allait au Palace ! C'est bien là qu'on voit qu'on a changé d'époque : il n'y a plus que la sinistrose intello d'un côté, et la vulgarité la plus crasse de l'autre. Je ne fais pas de théâtre pour gagner ma vie - je la gagne beaucoup mieux au cinéma. Si je fais du théâtre, c'est pour passer un moment de pure exigence d'intelligence, de drôlerie et de vérité. L'idée, c'est quand même qu'on sorte de là en se disant qu'on est tout petit face à ces grands auteurs, et que ce sont eux qui devraient avoir droit à la parole.

Vous avez l'impression d'être dans une position rare aujourd'hui ?

Oui, parce qu'il y a soit le théâtre subventionné, où l'on est entre soi, soit le théâtre privé, qui est à l'agonie, et surexploite une convention morte : il faut que ça rapporte, alors ils ressassent les mêmes recettes, les mêmes vedettes, et sont incapables d'innover, de perturber, de troubler. Moi j'aime être élevé par des génies, mais aussi rire, rire, rire, et ne pas m'ennuyer. Rire avec Nietszche, quand il dit : "On ne tue pas par la colère, mais on peut tuer par le rire. Alors, tuons l'esprit de pesanteur."

Comment travaille-t-on cette articulation entre la part histrionique et le rôle du passeur de textes ?

La magie miraculeuse de l'écrivain qui devient vie a été ma préoccupation principale pendant trente ans. Je ne me suis occupé que de cela : le texte, l'auteur et la trahison. Avec Jouvet comme guide, et notamment cette phrase : "Ils boursouflent la phrase par leurs intentions personnelles et ils détruisent l'innocence de la réplique." J'ai eu la chance d'apprendre le métier dans le cours de Jean-Laurent Cochet, où il fallait travailler le passage de texte, et pas la confidence personnelle. On devait d'abord apprendre à articuler pendant des heures. Moi, je suis comme Michel Bouquet : je viens sur scène pour passer quelque chose de plus grand que moi. Mais cela ne suffit pas d'aimer et d'admirer Baudelaire ou Molière : il faut savoir les phraser. Cela demande des années de pratique. Comme un pianiste, avec ses gammes.

L'entraînement est fondamental ?

Oui. C'est ce que disaient Artaud et Jouvet : l'acteur doit être un athlète affectif. Si tu n'es pas un athlète, tu es un théâtreux, et tu emmerdes tout le monde. Un acteur est toujours organique. Jouvet, toujours lui, expliquait que l'acteur doit abdiquer son intelligence, pour mieux pouvoir retrouver une autre intelligence, qui consiste à penser la sensation. La réplique, le texte doivent être projetés avec toute l'énergie du corps, sinon ils sont morts, asséchés, et le théâtre perd son pouvoir d'ébranlement.

C'est ce que vous recherchez : ébranler les spectateurs ?

Je crois que je cherche à ce qu'ils lâchent quelque chose d'eux-mêmes qui dépasse leur ego. Il y a quand même quelque chose de l'ordre de la catatonie, de la dépossession, dans le théâtre. Jouvet disait que quand il voyait Giraudoux écouter ses pièces, il entendait son corps se délivrer. "Qu'est-ce qu'une phrase ? C'est un état à atteindre. Qu'est-ce qu'un poète ? C'est une cicatrice", ajoutait-il. L'acteur est là pour délivrer la cicatrice intérieure.

A quoi rêve Fabrice Luchini, maintenant ?

  A la Comédie-Française...

  C'est une blague ?

Pas du tout. J'adorerais cela, que m'ont refusé Jean-Pierre Miquel et Jean-Pierre Vincent : entrer au Français pour deux ans, jouer Le Misanthrope, un Labiche, et quelques Trissotin. Cela m'amuserait énormément.

C'est surprenant...

Oui ? Vous savez, je suis comme tous les acteurs : j'ai un manteau d'Arlequin, des troubles de la personnalité, je dis une chose et son contraire. Barthes avait bien raison d'avoir peur de nous.

Propos recueillis par Fabienne Darge Article paru dans l'édition du 28.12.08

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