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Kimono d'art et de désir

Publié le 23 janvier 2009 par Julien Peltier


Kimono d'art et de désir

Aude Fieschi, écrivain français (Sénégal, 1952), diplômée de l’Institut de Langues Orientales en Langue et Littérature japonaise, s’est rendue à plusieurs reprises au Japon. En 2002, est paru aux Éditions Philippe Picquier "Kimono d’art et de désir". L’ouvrage, un petit livre de 131 pages, est classé au rayon « Mode » d’une grande enseigne culturelle... Décryptage d’un essai au papier épais, qui l’estampille « ouvrage de collection ».

L’auteure nous invite à la découverte du vêtement japonais, le kimono. L’ouvrage est un essai qui ne cherche pas à faire dans la rhétorique. Au contraire, le langage est simple, concis, didactique. Le découpage est également basique. Une introduction, une conclusion et trois grandes parties :
• Le kimono des origines à Meiji
- Bref historique
- Particularités du kimono
- Modes et lois
- Les couleurs
- Le décor
• Kimono et art
- Le kimono en peinture
- Kimono et esthétique
- De l’esthétique à l’érotisme
• Le kimono aujourd’hui
- Au contact de l’occident
- Choisir son kimono
- Les types de kimonos
- L’habillage
- Les accessoires
- Les créateurs contemporains
Ainsi, le plan du document n’est pas si différent de celui d’une dissertation soignée. Sauf qu’Aude Fieschi, passionnée par le pays du Soleil Levant, semble bien au faite du sujet. Dès l’introduction, l’écrivain nous présente immédiatement le costume traditionnel comme une merveille artistique. Elle cite Pierre Loti, en préambule, une façon de nous alerter sur le soin tout particulier qu’elle a pris à s’inspirer d’autres auteurs, férus d’habillage, comme elle. « Et moi, je ne puis me rassasier de regarder ces deux créatures ; elles me captivent comme des choses jamais vues et incompréhensibles. Leurs corps frêles, posés avec une grâce exotique, sont noyés dans des étoffes rigides et des ceintures bouffantes dont les bouts retombent comme des ailes fatiguées. Elles me font penser, je ne sais pourquoi, à de grands insectes rares ; sur leurs vêtements des dessins extraordinaires ont quelque chose de la bigarrure des papillons nocturnes » (Pierre Loti, Madame Chrysanthème, 1885). Cette citation, inspirante, fait appel à l’imagination du lecteur, et le plonge immédiatement dans l’univers très particulier du kimono. Le voici qui imagine instantanément des décors uniques, des étoffes chatoyantes, des couleurs vives… et surtout l’effet « chrysalide » de cette enveloppe corporelle, révélant la fragilité, la délicatesse et la grâce féminine. Nous sommes avertis et conquis.
Cette impression merveilleuse se poursuit à travers l’historique : le kimono n’a pas toujours eu cette forme cylindrique très simple. La période Heian fut celle de toutes les folies, et des codes les plus stricts. Auparavant, les femmes ne portaient pas un mais une dizaine de kimonos, et la couleur de chacun devait se marier exactement aux autres. Un calvaire qui nous rappelle avec force – surtout pour celles qui ont eu l’occasion de porter le vêtement – que le kimono est aujourd’hui un habit peu pratique, même s’il est moins contraignant qu’au huitième siècle. Le kimono encore porté aujourd’hui dérive du kosode, le « sous-vêtement » devenu principale garde-robe. Les motifs et les couleurs ne sont apparus qu’au cours de l’ère Edo, lorsque les méthodes de tissage et de teinture évoluèrent*.
Aude Fieschi ne s’attarde cependant pas sur l’histoire du vêtement. Elle préfère expliquer ce qui fait du kimono une parure exceptionnelle : la simplicité du patron, l’absence de gaspillage du tissu et la forme cylindrique qui dématérialise le corps. Puis l’auteur revient sur les caractéristiques de l’habit. Pour cela, elle « zoome », s’intéressant à la couleur en premier lieu, puis au « décor » (les motifs). Le lecteur apprend ainsi que la codification est extrême. Rien n’est laissé au hasard, chaque motif est un symbole, chaque couleur a un sens. Et du vêtement naît l’art. L’habillage n’est plus anodin, il est travaillé : « Au Japon, il n’y a pas d’art mineur. Ce qui compte avant tout c’est de pousser son art jusqu’à l’excellence, qu’il s’agisse de poterie, de teinture, de tissage, de laque, de bronze, etc. ». Le kimono célèbre donc le Beau, puisqu’il est art. Mais quel Beau ? L’esthétisme japonais met ici en valeur le corps. Et de là, le corps valorisé devient érotique. Il n’y a donc qu’une infime frontière entre le Beau « artistique » et le Beau « érotique ». L’auteur en profite pour décrire les différentes parties du corps, érotisées par le port du kimono. Et encore une fois, toute la culture japonaise transparait au travers de l’habillage et des manières des femmes apprêtées. Et le lecteur d’apprendre que, comme pour beaucoup de choses, la femme doit se faire discrète. Tout est suggéré, rien n’est vraiment montré : le bâillement du kimono au niveau de la nuque, son le pan qui s’entrouvre légèrement pour dévoiler la cheville, ces « révélations » sont sources d’un désir fort chez les Nippons, tandis qu’en Occident, ces parties du corps ne touchent pas la sensibilité masculine. Encore une fois, l’occidental a du mal à comprendre ce monde aux mœurs si différentes. Et cependant, il est fasciné par tant d’imagination. Le kimono lui évoque élégance, suggestion et richesse.
Qu’en est-il aujourd’hui du kimono ? Aude Fieschi s’interroge dans la dernière partie de son essai. Si l’auteure énumère les catégories de kimono et le procédé de l’habillage, elle nous rappelle une valeur nippone fondamentale : alors que les occidentaux n’aiment pas s’embarrasser de coutumes et rejettent la nostalgie, les Japonais eux, ne ressentent pas le besoin de choisir entre modernisme et tradition. Ainsi, ils adoptent la mode occidentale, tout en gardant leur coutume, pour les occasions formelles. Il n’est donc pas rare de croiser des business women et des femmes en habit traditionnel, dans les rues bondées de Tokyo. Et les créateurs contemporains ne rechignent pas à créer un décor moderne pour cette forme rectangulaire à longueur unique. Les créateurs déjà expérimenté n’hésitent d’ailleurs pas à apprendre leur art à de jeunes recrues. Ainsi, le Kimono ne se perd pas, il s’adapte à une société active, constamment à la recherche d’optimisation.
« En revêtant un Kimono, la femme fait part de son amour de la beauté, d’une autre féminité, de la mesure, et de son attachement à certaines valeurs du Japon traditionnel. Pour un moment elle est autre, elle est l’art personnalisé. », dit Aude Fieschi. Et cette conclusion de l’essai, le lecteur a eu l’occasion d’en prendre la mesure, tout au long du travail de l’écrivain. Il reste cette impression d’une mode inaltérable, presque immortelle, difficile à appréhender pour le néophyte. Car la femme devient le théâtre d’une pièce élitiste. Elle représente l’esthétisme, disparaît au profit d’une œuvre unique. Et seuls des hommes qui emploient si peu le « je », sont capables accepter tant d’abnégation, pour un simple vêtement.
Noah

Article : Kimono d’art et de désir

Bibliographie
Aude Fieschi a déjà publié plusieurs traductions littéraires aux Éditions Picquier :
• Maruya Saiichi, L’ombre des arbres
• Inoue Yasushi, La mort, l’amour et les vagues, Nuages garance
• Miyabe Miyuki, Une carte pour l’enfer
Elle est également l’auteure du Masque du Samouraï, chroniqué dans nos colonnes
Enfin, elle a traduit aux éditions Stock, de Fujiwara Tomomi Le conducteur de métro et Ratage.
Article : Kimono d’art et de désir

* Pour plus d’informations, se reporter à premier article du cycle "kimonos"


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