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Lettre ouverte à Barack Hussein Obama, par Khal Torabully, écrivain mauricien

Par Ananda

Lettre ouverte à Barack Hussein Obama, nouveau président des Etats-Unis

Le 22/01/09

Par Khal Torabully

Monsieur le Président,

Je vous écris cette lettre 2 jours après votre investiture, avec la distance nécessaire, car je la voulais décalée des ferveurs et liesses qui ont déferlé en torrents d’espoir et d’émotions en divers points de la planète, et pour cause. Il n’échappe à personne, M. Obama, que vous êtes l’homme du moment, je veux dire l’homme de ce vingt-et-unième siècle bouillonnant.

Pour moi, vous mettez fin à l’unlilatéralisme bushien. Les noirs, les métis, les minorités, les opprimés de ce monde voient en vous un des leurs. Vous voulez quitter le binarisme, en affirmant dans votre discours inaugural de président élu, qu’il fallait reprendre le dialogue avec le monde musulman, car c’est sur un mensonge historique que s’est bâti le choc des civilisations du triste sieur Huntington, maître à penser de la sinistre administration Bush, empêtrée dans des scandales et manipulations divers.

Monsieur le Président, j’avais, au lendemain de l’incendie de la Bibliothèque de Baghdad, cela est douloureux pour un poète de l’avouer, perdu tout espoir en l’humanité. Le cynisme d’une armée d’occupation, violant toute convention internationale qui lui impose le respect et la défense du patrimoine culturel du pays occupé, m’avait littéralement anéanti. J’étais à Vérone le jour du déclenchement des hostilités, pour l’Académie Mondiale de Poésie, et le thème choisi était, ironiquement, la paix. Pour surmonter ce traumatisme, moi qui aime les livres, et encore plus les manuscrits – la Bibliothèque de Bagdad en avait de rares, d’exceptionnels – j’avais initié un projet de livre collectif à Paris, intitulé La cendre des mots. Geneviève Clancy, directrice de collection, m’avait donné sa totale confiance et 70 poètes du monde entier y avaient participé, rejetant la barbarie de la pax americana, que nous comparions à la pax romana mais sans la culture de Rome… L’apex de cette atrocité est Guantanamo, une zone de non droit où la torture se pratique à la face du monde, impunément. Vous voulez effacer cette verrue de la démocratie américaine, au grand soulagement des gens épris de justice.

L’unilatéralisme est l’expression d’une barbarie sans nom, s’appuyant sur le racisme et l’exclusion. Permettez-moi de vous dire que votre élection me redonne foi en l’homme, et ce n’est pas peu dire, tant mon anéantissement fut grand à Vérone.

Certes, il vous faudra vous atteler à redonner une base et une idéologie économiques nouvelles à votre pays ravagé par les spéculations, l’effritement du système bancaire, les velléités du complexe militaro-industriel qui fait ses choux gras des guerres sans fin. Il faudra moraliser les pratiques monétaires et industrielles. Il faudra panser le social, car la fracture sociétale est béante et risque de s’aggraver dans le sillage des faillites. Ce sont des tâches urgentes chez vous, et elles auront un impact sur le monde.

Vous avez, cependant, une tâche incommensurable à l’étranger, surtout en ce qu’il s’agit de la Palestine, de l’Afghanistan et de l’Irak. Nonobstant la situation indescriptible qui règne à Gaza, je voudrais m’attarder sur le cas irakien.

Ce pays fut envahi sur des prétextes infondés d’armes de destruction massive… Ce pays se meurt sous nos yeux, les morts innocentes se comptent par centaines de milliers, les handicapés sont innombrables. L’Irak, l’ancienne Mésopotamie fut l’un des berceaux de l’humanité. Le code Hammurabi, l’alphabet et, ironie du sort quand on pense à la crise bancaire, l’usage de la monnaie, y sont nés. C’est peut-être d’ici qu’il faudra partir pour moraliser les finances et les affaires du monde…

Monsieur le Président vous avez annoncé qu’il faudra régler ce dossier et arrêter le carnage. Vous avez ce bon sens qui manquait tant à votre prédécesseur, qui a projeté l’image d’une Amérique inculte, peut-être l’un des grands dommages collatéraux de cette guerre… Le récent comité Nobel, avant d’attribuer le Nobel à notre compatriote Le Clézio, ne disait-il pas qu’aucun auteur américain ne le méritait parce que le pays américain était « ignorant » ?

Monsieur le Président, permettez-moi de m’appesantir sur ce point. Et je m’arrêterai ici. Votre pays, avec Bush, a précipité ce que les analystes appellent le déclin américain. Ce déclin est imputable aux guerres menées çà et là pour une conception du monde, prônée pas les tenants apocalyptiques de l’entourage bushien, que le monde ne partage pas forcément. Le dominant, en colonisant d’autres terres, en malmenant la vie qui s’y trouve, se détruit aussi dans ce processus. On ne saurait faire de « guerre propre » ou « chirurgicale », autre production « culturelle » et lexicale de Bush. La guerre est forcément sale, et les manipulations médiatiques n’y peuvent rien.

En ce sens, il vous faut un symbole. Il nous est impératif de revenir à la Bibliothèque de Bagdad. Dans cette capitale de culture, déjà, en 1258, le mongol Hulagu et ses alliés menèrent une expédition punitive barbare contre le calife abbasside Al-Musta’sim et sa cité. Les livres inestimables de médecine et d’astronomie qui furent jetés dans le Tigre assombrirent celui-ci, en raison de l’encre qui se répandit dans les flots. Le 14 avril 2003, cette triste histoire se répéta car les troupes de la pax amaricana, ont laissé brûler impunément les ouvrages de ce lieu unique au monde.

Robert Fisk écrivit ceci dans The Independent du 15 avril 2003 : « Et les Américains n’ont fait rien. Partout sur place étaient éparpillées les lettres de recommandation aux cours d’Arabie, des demandes de munitions pour des troupes (…), autant de manuscrits délicatement écrit en arabe. Je tenais dans mes mains les derniers vestiges de Bagdad, de l’histoire écrite de l’Irak. Mais pour l’Irak, c’est l’Année Zéro ; avec la destruction des Antiquités dans le Musée d’Archéologie samedi et la combustion des Archives nationales et ensuite la bibliothèque Coranique, l’identité culturelle de l’Irak est en train d’être effacée. Pourquoi ? Qui a allumé ces feux ? Dans quel dessein délirant cet héritage est-il détruit » ? Monsieur Obama, vous avez dit, dans votre discours inaugural, que vous voulez développer de relations avec le monde musulman, basées sur le respect mutuel.

Il est important que vous alliez sur les cendres de cette Bibliothèque Monsieur le Président, là où les hordes de Hulagu et les troupes de la coalition ont laissé s’accomplir la destruction d’un pan de la mémoire de l’humanité.

Il est important que vous y alliez Monsieur Obama, que vous rouvriez symboliquement et officiellement ce refuge pour les productions de l’âme et de l’esprit, parce que nous sommes tous irakiens chaque fois qu’un livre de notre patrimoine humain est subtilisé ou se volatise au cœur d’une destruction programmée, au nom des armes de destruction massive ou non. Proclamez à la face du monde un pardon, un pardon de l’empire américain bushien au vu de ce crime contre les beautés de l’âme et de l’esprit, un crime avéré contre l’humanité, et redonnez à cette Bibliothèque la chance de respirer l’encre, le papier, les calligraphies, les miniatures, les vieux traités d’hydrologie, les sublimes pages de poésie, les sensations des voyageurs parcourant la vieille terre d’Irak…

Et proclamez, je vous en conjure, Monsieur le Président, proclamez que la plus grande arme de destruction massive, c’est l’ignorance. C’est cela qu’il nous faut combattre, que ce soit aux Amériques, dans la vieille Europe, en Asie, en Afrique et dans le monde arabo-musulman. Faites que l’Amérique soit l’aiguillon de cette nouvelle conscience humaine. Vous en avez la carrure et la destinée historiques. En votant pour vous, l’Amérique s’est montrée belle de cet élan transculturel, et c’est le nouveau rêve américain qui se profile dans cette volonté de dépassement et de mise en relation avec les diversités de votre continent et du monde.

M. Barak Hussein Obama, vous incarnez l’espoir de toutes les nations et des citoyennes et citoyens qui croient au dialogue des civilisations dans un monde exsangue, livré aux « marchands », dont André Malraux disait « que leur monde est sans âme ». Good luck Mr President !

© Khal Torabully, Sémiologue, poète et écrivain, 22/01/09


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