Comme beaucoup de Français, je me sens tributaire d’une époque où la France a connu des heures de gloire. Comme l’on dit : ”Napoléon perçait sous Bonaparte”. J’ai eu l’occasion de l’écrire au moment de l’élection du Président de la France. Et en deux cent cinquante ans, l’ambition des hommes est restée la même. La mondialisation a simplement changé la donne. Les rapports de force médiatiques ne s’arrêtent plus aux portes de Moscou, mais dans les grandes envolées de Washington. Être le leader du monde ne veut plus dire seulement être le leader de l’Europe, ou encore son Président temporaire.
J’ai eu le plaisir de visiter pendant les vacances de Noël l’exposition temporaire de l’Institut du Monde Arabe. Plus que Bonaparte et l’Egypte, le véritable titre de l’exposition est en effet certainement « Un siècle d’influences franco-égyptiennes 1769-1869 ». La première date correspond à l’apparition au jour d’un petit Corse qui deviendra célèbre et à celle de Muhammad Ali qui amènera l’Egypte à changer et sera la contrepartie incontournable de l’ambitieux général. Et en 1869 on inaugure le canal de Suez grâce à un accord international et à la conviction du petit-fils du même pacha Muhammad Ali que Victor Hugo comparait à un tigre. Son descendant fut amené à capituler devant le début de la mondialisation du capital, que les Britanniques contrôlaient mieux que lui, pour une opération aussi ambitieuse que d’éviter le contournement de l’Afrique !
Dans le cadre des collaborations de l’IMA avec les pays arabes et avec l’aide du Musée des Beaux-Arts d’Arras où l’exposition débutera après Paris, le 16 mai 2009, c’est donc à une sorte d’opération vérité que la France et l’Egypte se sont soumises. Vérité entre Sarkozy et Moubarak qui semblent montrer une certaine admiration réciproque mélangée de calculs, mais qui peut servir un peu plus qu’à accueillir les visites du couple présidentiel, comme par exemple à monter de bons offices dans les conflits du Proche et du Moyen Orient.
1798. Un général vient de gagner la campagne d’Italie et l’espace transalpin ne lui suffit déjà plus. L’Egypte est un bon plan, lui dit Talleyrand, surtout pour contrer l’Angleterre. Tout le monde politique parisien espère qu’il va s’ensabler là-bas, comme Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, devait s’enflammer dans les banlieues, pour le bonheur de Monsieur de Villepin.
Las, la gloire n’est pas seulement une question de réussite, mais d’abord de communication. Nous le savons bien aujourd’hui et Bonaparte maîtrisait son image à la hauteur des moyens de l’époque, comme l’ancien Ministre des banlieues, Président aujourd’hui…qui a mis en scène son karcher avec maestria.
D’abord, ne pas choquer. C’est encore cela qui m’a étonné le plus. Au départ, Bonaparte demande le respect de la religion musulmane : « Soldats, vous allez entreprendre une conquête dont les effets sur la civilisation et le commerce du monde sont incalculables…Nous ferons quelques marches fatigantes ; nous livrerons plusieurs combats, nous réussirons dans toutes nos entreprises. Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans ; leur premier article de foi est celui-ci : Il n’y a d’autres dieux que Dieu et Mahomet est son prophète. » Et il semble que cette volonté de respect, sinon de dialogue interreligieux, comme on dit aujourd’hui, ait en partie fonctionné.
Mais de mars à août, tout va se gâter. D’abord les Anglais ne se laissent pas faire et détruisent la flotte française en rade d’Aboukir et il va falloir s’opposer à la révolte populaire du Caire. De plus, les Ottomans ne peuvent pas laisser cette intrusion sans réagir.
Enfin, c’est le début de la fin !
Et en août 1799, voilà le général dépité qui laisse Kléber aux commandes et ouvre la voie au retour des Anglais.Il était plus urgent de prendre le pouvoir à Paris. On connaît la date du 18 brumaire et la suite de l’histoire.
Et vient alors la véritable histoire à raconter aux grands et aux petits. Malgré la chaleur, les épidémies, les morts par centaines, les peintres et les graveurs Lejeune, Gros, Géricault les premiers, diront sous un jour favorable, voire légendaire, l’histoire d’un échec retentissant.
Et vient alors le véritable enjeu, pour nous aujourd’hui, celui de la découverte pluridisciplinaire d’un pays, le passage d’une Egypte rêvée à une Egypte réelle, avec ses plantes, ses oiseaux, ses architectures, ses hiéroglyphes, ses costumes et ses coutumes, son extraordinaire civilisation, puis d’une Egypte réelle à une Egypte stylistique, si je peux dire.
Mobilier et vaisselle popularisent une égyptomanie qui commencera dans la porcelaine de Sèvres, passera un jour par Tintin avec « Les cigares du Pharaon », pour irriguer des tendances de mode récurrentes dans lesquelles le coton égyptien sera un signe de qualité.
Je vais un peu vite, c’est certain, mais je me suis promis d’approfondir l’extraordinaire travail de Dominique-Vivant Denondont les croquis sont un trésor à ciel ouvert. Sans compter Champollion le décrypteur ou Nicolas Conté qui ne fit pas que des crayons, dont nous vénérons toujours la marque, mais fut un ingénieur aux talents multiples qui, lui aussi, ramena des albums extraordinaires.
Sur un échec se bâtit la Description de l’Egypte et son entrée dans notre imaginaire, face aux obélisques de nos villes.
Et aujourd’hui, dans les mailles de l’architecture de Jean Nouvel, les Pyramides nous contemplent et contemplent leurs voisins guerriers Palestiniens et Israéliens, en sachant bien que tous seront perdants.
Photographies: le moucharabieh de Jean Nouvel et Les Pestiférés de Jaffa d’Antoine-Jean Gros (1804)