Je suis assis à la première rangée du petit amphi et vois un classeur qui se casse la gueule à deux pas. Dans les quinze secondes qui suivent, personne ne semble vouloir se bouger pour le ramasser. Et en l'occurrence, ça commence à sérieusement polluer mon espace vital, que je tente au maximum de préserver ces derniers temps. Alors je me lève et ramasse ce foutu bordel, qui dégueule de feuilles de cours. Je suppose que c'est ce qu'on appelle le zèle et l'organisation, alors que je n'ai besoin que d'un bloc de correspondance et d'une plume. Je le tends à l'idiote qui vient de se lever. Il est clair que son cerveau agit à retardement et je ne lui jette même pas un regard.
En un sens, je ne sais pas si savoir combien de temps dure l'attente est vraiment bénéfique, mais ne pas avoir de montre sous les yeux peut se révéler tout aussi angoissant. Une fois que le premier mec nous libère, je file vers la sortie m'en griller une, plus rapide que le vent. Ou presque. De retour à ma place (je penserai un jour à y inscrire mon numéro de matricule social, pour la postérité), je tente de me préparer mentalement à la prochaine heure et demie de cours. Enfin quoi, un peu de tranquillité dans cette connerie d'espace-temps qui me désespère toujours plus, et voilà que cette connasse vient me remercier pour un acte héroïque terminé depuis belle lurette. Génial, création d'un fan-club et tout le tralala, et il faudrait lui annoncer que je n'en ai strictement rien à carrer qu'elle vienne me remercier ou non. Alors je me contente de murmurer un "pas de quoi" et voilà qu'elle se met dans l'idée de passer entre la table et le mur pour rejoindre sa place. Ce qui est, même pour la reine des anorexiques, physiquement impossible. Si j'arrive à mettre les gens aussi mal à l'aise, ou au moins à les troubler, c'est déjà une maigre victoire.
N'empêche, ça se termine comme partout: tu fermes ta gueule et tu es poli, en attendant que ça se passe.
La place que j'ai choisie est purement stratégique, d'autant que je suis le seul con à être à la première rangée. Grande nouvelle, je me range au côté des petits soldats de plastique fondu, et ce simple fait suffirait à me faire sortir les cotillons et à aller poser des bombes dans les maternités. Le second mec nous libère, je pose les armes et me fait la belle. A l'extérieur, je tire à pile ou face pour savoir si j'irai au dernier cours de l'après-midi. Face, perdu. De toutes manières, je n'ai pas le choix, je n'ai plus de clopes. Et je n'ai même pas besoin de chercher pour savoir qu'il n'y a pas de buraliste avant au moins quatre-cents mètres, soit à l'extérieur du site universitaire.
Voilà, je ris toujours le dernier.
Bien que me venger sur la clope pour combler le manque me file l'intestin au bord des lèvres.