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Badiou II … le Retour.

Publié le 28 janvier 2009 par Collectifnrv


Fin de l’introduction de « Second manifeste pour la philosophie » 
d’Alain Badiou 
Aux éditions Fayard , Janvier 2009

[…] Cette coalition a montré que tous les moyens lui étaient bons pour imposer à l'opinion publique sa vindicte stérile, y compris le sacrifice sans phrase d'une génération entière de jeunes gens acculés à un choix détestable ou bien le carriérisme sauvage assaisonné d'Éthique, de Démocratie, et, s'il le faut, de Piété, ou bien le non moins sauvage nihilisme des jouissances courtes, à la sauce no future. 

Le résultat de cet acharnement a été qu'entre les efforts héroïques de la jeunesse actuelle pour retrouver une voix qui porte et l'escouade amaigrie des survivants et héritiers de la grande époque, il y a, en philosophie, un trou béant qui déconcerte nos amis étrangers. Concernant la France, seule l'élection de Sarkozy parvient à les étonner autant que le fait, depuis vingt ans, l'abaissement de nos intellectuels. C'est que nos «amis américains» sont toujours trop prompts à oublier que la France, si elle est le lieu de quelques hystéries populaires grandioses qu'escortent de puissantes inventions conceptuelles, est aussi celui d'une réaction versaillaise et servile tenace, à laquelle le ralliement propagandiste de régiments d'intellectuels n'a jamais fait défaut. 

«Qu'êtes-vous devenus, philosophes français que nous avons tant aimés, pendant ces sombres années quatre-vingts et plus encore quatre-vingt-dix?» nous demande-t-on avec insistance. Eh bien, nous poursuivions le travail dans divers lieux protégés que nous avions construits de nos mains. 

Mais voici que des signes de plus en plus nombreux, en dépit ou à cause de ce que la situation historique, politique et intellectuelle de la France semble extrêmement dégradée, indiquent que nous allons, vieux rescapés dédiant notre fidèle labeur à l'assaut mécontent et instruit de nouvelles générations, retrouver un peu d'air libre, d'espace et de lumière. J'ai publié mon premier Manifeste pour la philosophie en 1989. Ce n'était pas la joie, je vous prie de le croire L'enterrement des «années rouges» qui suivirent Mai 68 par d'interminables années Mitterrand, la morgue des «nouveaux philosophes» et de leurs parachutistes humanitaires, les droits de l'homme  combinés  au droit d'ingérence comme seul viatique, la forteresse occidentale repue donnant des leçons de morale aux affamés de la terre entière, l'affaissement sans gloire de l'URSS entraînant la vacance de l'hypothèse communiste, les Chinois revenus à leur génie du commerce, la «démocratie » partout identifiée à la dictature morose d'une étroite oligarchie de financiers, de politiciens professionnels et de présentateurs télé, le culte des identités nationales, raciales, sexuelles, religieuses, culturelles tentant de défaire les droits de l'universel...  

Maintenir dans ces conditions l'optimisme de la pensée, expérimenter, en liaison étroite avec les prolétaires venus d'Afrique, de nouvelles formules politiques, réinventer la catégorie de vérité, s'engager dans les sentiers de l'Absolu selon une dialectique entièrement refaite de la nécessité des structures et de la contingence des événements, ne rien céder... Quelle Affaire.  

C'est de ce labeur que témoignait, de façon succincte et allègre à la fois, ce premier Manifeste pour la philosophie. Il était, ce petit livre, comme des mémoires de la pensée écrits dans un souterrain. 
Vingt ans après, vu l'inertie des phénomènes, c'est encore pire, naturellement, mais toute nuit finit par détenir la promesse de l'aube. On peut difficilement descendre plus bas dans l'ordre du pouvoir d'Etat, que le gouvernement Sarkozy; dans l'ordre de la situation planétaire, que la forme bestiale prise par le militarisme américain et ses servants ; dans l'ordre de la police, que les contrôles innombrables, les lois scélérates, les brutalités systématiques, les murs et les barbelés uniquement destinés à protéger les riches et les satisfaits Occidentaux de leurs ennemis aussi naturels qu'innombrables, à savoir les milliards de démunis de toute la planète, 

Afrique d'abord; dans l'ordre de l'idéologie, que la tentative misérable visant à opposer une laïcité en haillons, une «démocratie» de comédie et, pour faire tragique, l'instrumentation dégoûtante de l'extermination des Juifs d'Europe' par les nazis, à de supposés barbares islamiques ; dans l'ordre enfin des savoirs, que l'étrange mixture qu'on veut nous faire avaler entre un scientisme technologisé, dont le fleuron est l'observation des cervelles en relief et en couleurs, et un juridisme bureaucratique dont la forme suprême est «l'évaluation» de toutes   choses par des experts sortis de nulle part, qui concluent invariablement que penser est inutile et même nuisible.  

Cependant, si bas que nous soyons, je le redis, les signes sont là qui alimentent la vertu principale de l'heure le courage et son appui le plus général, la certitude que va revenir, qu'est déjà revenue la puissance affirmative de l'Idée. C'est à ce retour qu'est dédié le présent livre, dont la construction s'ordonne précisément à la question  qu'est-ce qu'une Idée? 

D'un point de vue étroitement chevillé à mon oeuvre propre, je peux évidemment dire que ce Second manifeste pour la philosophie soutient avec le deuxième tome de L'être et l'événement, titré Logiques des mondes et paru en 2006, le même rapport que le premier Manifeste soutenait avec le premier tome, paru en 1988  donner une forme simple et immédiatement mobilisable à des thèmes que la «grande oeuvre» présente dans leur forme achevée, formalisée, exemplifiée, minutieuse. 

Mais, d'un point de vue plus large, on peut aussi bien dire que la forme courte et clarifiée vise, en 1988, à attester que la pensée continue dans son souterrain, et, en 2008, qu'elle a peut-être les moyens d'en sortir. 

Aussi bien n'est-ce sans doute pas un hasard qu'en 1988, la question centrale de L'Être et l'événement ait été celle de l'être des vérités, pensé dans le concept de multiplicité générique. Tandis qu'en 2006, dans Logiques des mondes, la question est devenue celle de leur apparaître, trouvé dans le concept de corps de vérité, ou de corps subjectivable. 

Simplifions, et espérons il y a vingt ans, écrire un Manifeste revenait à dire : «La philosophie est tout à fait autre chose que ce qu'on vous dit qu'elle est. Essayez donc de voir ce que vous ne voyez pas. » Aujourd'hui, écrire un second Manifeste, c'est plutôt dire :

«Oui! La philosophie peut être ce que vous désirez qu'elle soit.  
Essayez de réellement voir ce que vous voyez. ».

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Avertissement au futur lecteur . 

Ce qui précède est simplement la fin de l’introduction du livre d’Alain Badiou,  

mais son manifeste est aussi un livre de philosophie, où le philosophe ramasse et vulgarise en quelques dizaines de pages, très « denses », le seul système philosophique consistant, produit ces cinquante dernières années, étudié par les département de philosophie du monde entier, confronté depuis quelques temps par Badiou avec les circonstances et situations d’un monde qu’il tente de rendre intelligible « en vérités ».

Cette confrontation est d’une fécondité d’autant plus impressionnante que Badiou pratique le discours de « clarté et distinction » de la grande tradition rationaliste, mais il le fait sans concession aux facilités en vogue des « café-philosophes ». Certains passage pourront donc « choquer les jeunes lecteurs » ( notamment ceux qui n’ont aucune connaissance en matière d’ontologie et de phénoménologie).

Proposé par Urbain


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