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Sagement vache

Publié le 28 janvier 2009 par Jlhuss

la-vache.1232996911.jpg - Moi ? 6 heures du matin, deux fois par semaine.
- Quand tu te coupes au rasage ?

-Contre les éboueurs, qui reposent toujours ma poubelle devant le 4 ter. Juste un cri rentré, sans effusion. Les cinq matins restants, silence, j’écoute les cris des autres. En ville, c’est souvent la Daisy du dessus qui fête le réveil d’Eros après une petite nuit de récupération. Aux champs, dans la même veine, les cris du coq. Je les crois programmatiques : le maître-queue chante à l’aube autant de fois qu’il montera ses poules en un jour.
- J’avais un oncle comme ça.
- Mais les vaches, hein ? Pourquoi les vaches meuglent-elles aux petites heures ? Leurs appels résonnent parfois dans la campagne encore grise, trompettes se répondant d’une colline à l’autre.

- Je te vois venir : elles viennent de lire la Bible et tentent de faire tomber les murs de l’abattoir. Gare, nos interprétations nous révèlent. Ainsi, pour le coq, autre hypothèse : comme tout Gaulois, il a peur que le ciel lui tombe sur la tête ; chaque soir, il croit que ce grand malheur est arrivé : silence de mort ; et il claironne aux premières lueurs pour prévenir la compagnie que ça tient toujours. Je fredonne dans le même esprit sous la douche… Quant aux vaches, crois-moi, c’est en gastronomes qu’elles s’apostrophent dès le petit jour : « L’herbe est plus grasse au pré Robin qu’à la côte Poulette ! », ou : « Moins de joncs chez le Jeannot que chez le Lucas. » Sérieusement, cher Arion, n’en déplaise à ton romantisme, je tiens qu’il n’y a rien dans une tête de bovin que de la pensée chlorophyllienne.
- N’en déplaise à ton prosaïsme, c’est toi le Lucas, avec tes jugements gros sabots. Vaches, taureaux, veaux et boeufs, c’est de la tendresse résignée. La rumination au pré fait sans doute le beurre d’après-demain ou le faux filet de l’année prochaine, mais d’abord de la sagesse morne à oeil fixe. La venue des fermiers dans l’herbage, leurs parlotes autour de son veau, tu crois qu’elle ne les voit pas, la vache ? ne comprend pas ce qui se trame ? ne fait pas la relation avec le camion dont aucune bête ne revient ? Pourquoi tu la conçois stupide, ou indifférente, la décornée au gros pis ? Crois-tu donc le bovin en général aussi mécanique que la volaille ou l’insecte ? Qu’est-ce que tu as de beaucoup plus que lui ? Comme dit Renard, la seule chose qui nous distingue des animaux : les soucis d’argent… Et le taureau mélancolique, immobile comme un Frémiet, tête basse avec les cornes en contrepoids des bourses, tu crois qu’il est de bronze ? qu’il ne rumine pas sa rage de devoir trois fois sur quatre lancer sa semence dans des pipettes au lieu de se caler au chaud de la bête ? On voit que tu as grandi dans les beaux quartiers.
- Bon, bon, vas-y. Quelle est selon toi la sagesse des vaches ?
- Toute vache bien née sent peser très tôt sur sa vie le poids de l’espèce. Si elle ne regarde jamais les oiseaux, ce n’est pas du tout par incuriosité, c’est parce qu’elle sait définitivement que la légèreté n’est pas pour elle.
- Oui. J’ai ma concierge comme ça, un peu forte, un peu lasse, elle vient de donner son canari et se proclame incapable de prendre l’avion…
- Ris si ça t’amuse, leur fatalisme rend les vaches tolérantes. Avec les mouches, il est clair qu’elles battent de la queue plus pour rythmer le fredon de la chorale que dans l’espoir de tuer ces folles : l’hiver viendra bien assez tôt. Deux êtres seulement les agacent à fond : l’enfant et le chien, on les comprend. Le premier par son insouciance, trésor perdu pour elles dès leurs trois mois. Elles rêvent d’encorner le marmot, se disant qu’un petit coup dans les fesses lui apprendrait à ne pas se tortiller pour rien. Contre les chiens, elles iraient volontiers jusqu’à la haine, si cet affect n’était pas mauvais pour la panse. Elles lorgnent tout envoyé de la gent canine comme le valet rampant des maîtres. Je ne connais pas une vache qui ne piaffe dans l’ombre de faire mordre la poussière au cabot. Bref, fataliste, généreuse, vindicative à bon escient, voilà parmi tant d’autres quelques ingrédients de la sagesse des vaches que l’homme ferait bien de se cuisiner avant leur viande.
- Bravo Arion ! joli paradoxe. Mais la littérature aussi trouve ses limites : dans la niaiserie. Tu ne persuaderas aucun lecteur raisonnable qu’une vache est plus que du bifteck à l’herbage.
- Raisonnable ? tu oses dire raisonnable et tu es homme ! Tu bâtis Babel, clones le veau d’or, sautes dans le kérosène pour aller chercher le mélanome des lagons, manger le dernier mérou, tuer le dernier éléphant, j’en passe et des plus drôles. Tu n’es que de la vache endiablée qui fait la belle en dansant sur deux pattes. Vraiment, tu vois, il y a des jours où je préfère la vache ordinaire !
- Et les autres jours, quand tu retrouves deux doigts de bon sens humain ?
- Je presse sur la souris et je vais faire un tour chez le Chat.

Arion

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