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Le conflit frontalier avec Djibouti, une manœuvre stratégique de l’Erythrée

Publié le 29 janvier 2009 par Infoguerre

Le conflit frontalier entre l’Erythrée et Djibouti est devenu une nouvelle source régionale de tensions dans une région, la Corne de l’Afrique, qui, à bien des égards, apparait comme stratégiquement incontournable. L’Erythrée utilise ses nouvelles prétentions territoriales comme l’instrument de sa politique internationale notamment en tentant d’impliquer les Etats voisins ou ayant des intérêts dans la région.

L’historique des affrontements

En 1996 et en 1999, Djibouti et l’Erythrée s’étaient déjà opposé, pour le contrôle de Ras Doumeira (1), un ensemble de hauteurs qui surplombe la Mer Rouge dans la région d’Obock au nord de Djibouti. Le 16 avril 2008, Djibouti a accusé les militaires érythréens d’avoir pénétré de plusieurs centaines de mètres le territoire djiboutien. Asmara a démenti toute visée sur Ras Doumeira parlant simplement d’un malentendu à propos d’un no man’s land de trois à cinq kilomètres à la frontière, malentendu résultant du problème de la détermination des frontières hérité de la décolonisation.

Le 12 juin 2008, le ministère de la Défense de Djibouti a affirmé que l’armée érythréenne avait envahi la région de Ras Doumeira, tuant 12 soldats djiboutiens et en blessant 55 autres. Cette nouvelle série d’affrontements (9-12 juin 2008) a donné lieu à une condamnation unanime par la communauté internationale et les organisations régionales, de l’agression commise par l’Erythrée.

Face au danger pour la stabilité de la Corne de l’Afrique et conformément aux accords de défense liant la France, ancienne puissance coloniale et Djibouti, l’armée française a été déployée en soutien aux Forces Armées de Djibouti (création d’un camp logistique proche de la zone de combat, reconnaissances aériennes, soutien médical…).

Un conflit nouveau portant sur des prétentions anciennes et dissimulant de véritables revendications stratégiques d’un Etat fortement affaibli

Ce conflit localisé est l’occasion pour l’Erythrée de tenter de dissimuler un certain nombre de problèmes notamment internes comme l’a souligné le rapport de la mission des Nations Unies d’août 2008. En effet, cet Etat refuse toute discussion, toute mission sur son territoire. Le régime d’Asmara se caractérise aussi par de flagrantes violations des droits de l’Homme (liberté de la presse, liberté religieuse, etc.).

De plus, ce conflit illustre un malaise croissant dans l’armée érythréenne. En effet, de nombreux observateurs s’accordent à dire que l’origine des combats de juin 2008 est une vague de désertion de soldats érythréens, issus de la conscription, tentant de se réfugier à Djibouti et poursuivis par leur armée.

En outre, ce conflit permet de faire passer au second plan les problèmes récurrents entre l’Erythrée et l’Ethiopie quand bien même Asmara apparaît par bien des égards comme la partie faible de ce conflit. Enfin, cet incident traduit une volonté stratégique d’Asmara de s’impliquer dans les relations internationales de la sous région en s’emparant d’un territoire clé pour le développement de Djibouti : passage obligé entre la mer Rouge et l’océan Indien mais aussi zone d’expansion économique avec le projet de construction d’un pont entre Djibouti et le Yémen (la ville nouvelle prévue dans le projet pourrait, en raison d’une situation locale tendue, être implantée au Yémen et non à Djibouti). Ce combat pourrait alors à bien des égards apparaître comme une revanche sur la perte des îles Hanish à l’issue du conflit avec le Yémen et de l’arbitrage de la cour Internationale de Justice.

Une volonté d’implication par l’Erythrée d’Etats tiers

Alors que l’Erythrée est accusée par son voisin djiboutien de refuser toute tentative de médiation internationale, Asmara tente de rejeter la source des problèmes sur certains Etats tiers notamment l’Ethiopie (ennemi de longue date) mais aussi les Etats-Unis.

Ainsi l’Ethiopie est accusée d’utiliser Djibouti et la région frontalière entre les trois pays pour préparer de nouvelles attaques contre l’Erythrée. Ces accusations, non relevées par l’Ethiopie, ont donné lieu à de vives réactions dans l’ancienne Somalie où certains n’hésitent pas à appeler à une guerre contre l’Erythrée qui s’est longtemps illustrée en soutenant les tribunaux islamistes.

Les Etats Unis, quant à eux, sont pointés du doigt pour leur participation active au conflit en Somalie et l’aide apportée au gouvernement de Djibouti. Les relations tendues entre Asmara et Washington pourraient déboucher sur l’inscription de l’Erythrée sur la liste des pays soutenant le terrorisme.

Cependant, l’Erythrée ne tient pas à impliquer la France qui a su tisser des liens anciens avec Asmara et nouer une coopération utile dans le domaine de la Défense.

Ce conflit frontalier, s’il peut sembler anecdotique notamment au regard du nombre de morts et du faible gain territorial, est la preuve de la volonté de l’Erythrée d’occuper une place de choix dans la Corne de l’Afrique. Ce conflit, pour la déstabilisation qu’il apporte, requiert une vraie attention et la recherche de solutions concertées entre les Etats concernés ; elles ne peuvent aboutir que si Asmara accepte l’ouverture de discussions qui devront être autant de mains tendues et comportées des propositions de développement et de coopération.

GM

(1) Ras Doumeira et l’île de Doumeira sont une zone stratégique en raison de leurs situations géographiques : elles surplombent Bab el-Mandeb, à l’entrée de la mer Rouge, passage obligé pour les tankers se rendant dans le golfe Persique et le trafic passant par Suez.

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