Je me souviens que j’ai rencontré une jolie fille de quinze ans--corps de femme, crâne de moineau--en allant à la boulangerie, il y a, de cela, 2 ans. On avait discuté ; du temps, on ne se connaissait mais on a discuté comme si on se connaissait depuis toujours. Après avoir acheté baguettes et pains, nous nous disions au revoir. On se quittait comme de parfait inconnus. Puis, je l’ai rerencontrée et rererencontrée. Je la croisais régulièrement au carrefour de ma rue, on discutait. On discutait toujours, à n’en plus finir. Alors que vous n’en avez rien à foutre de sa vie de collégienne (elle est en 3ème), elle n’est que vaguement intéressée par les concertos brandebourgeois, et ne connaît pas Massive Attack, ni Supergrass. Elle me parle de Greenday, The Kooks, Vertical quelque chose. Elle ne lit pas Houellebecq, ni Cordwainer Smith. Elle me parle du Chevalier au bouclier vert, des dieux s’amusent. Elle fait du jogging tous les dimanches matins, je lui réponds qu’il faudra doublement continuer si elle comptait un jour m’épouser. Elle rit et me répond que je suis un garçon si facile. « Tu dois être bien compliquée pour oser dire ça. » « Non. » Tous les lundis et tous les vendredis. Elle s’appelle Alice. Elle a deux frères aînés, son père est peintre (artisan). Elle aimerait devenir vétérinaire. Elle mesure 1m66 et pèse 55kg. Sa couleur préféré est le vert. Elle déteste les maths. Elle voudrait se faire une teinture mais sa mère ne veut pas. Son frère est un commercial. Son autre frère est dans la programmation. Ils ont 24 et 26 ans. Sa meilleure amie s’appelle Laureen.
Corps de femme, crâne de piaf. Plus on discutait, plus j’avais l’impression de parler à une gamine. Quelques fois, certains propos me rappelaient mes années collège/lycée. Les paniques avant les récitations, les exposés, les gaffes des profs, les bons profs, les mauvais, les chiants, les marrants. De l'histoire ancienne.
« Et… hum… tu l’as déjà fait ? » ça marrant comment elle débusque ça, lorsqu’on fait la queue, au milieu de tout le monde, tout timidement.
- Fait quoi ?
- Bin, le truc. (encore plus doucement)
- Quel truc ? (fort)
- Tu as déjà fait l’amour avec une fille? (très fort)
Les gens se sont retournés. Ils nous ont regardés, ont souris gentiment en me regardant. Ca m’apprendra. Maintenant, j’avais l’impression que tout le monde tendait l’oreille pour entendre ma remarquable réponse. Allais-je désenchanter le monde merveilleux de Nemo ? Si je dis oui, les gens penseront que je dis ça pour ne pas dire non. Si je dis non, ils vont se foutre de moi. Fallait rapidement trouver une réponse originale pour ça ait l’air naturel. Ca ne m’était pas venue sur le coup. Savais pas quoi répondre d’original.
- Ca dépend de ce que tu veux entendre.
- Bah… la vérité (souriante)
- Il y a des vérités plus plaisantes que d’autre… Tu préfèrerais…
Voilà comment avoir l'air d'un serré du cul. Je me suis rarement senti aussi ridicule.
- Hi hi.
- Quoi hi hi ?
- Je t’embête hein ?
- Non ça va.
- Bin t’es rouge !
Soupir. Je me concentre pour ne pas répondre un truc indécent. « Tu risques d’être déçu petite. J’ai une copine et on fait l’amour tous les soirs. » Quelle réplique minable. Quelle réplique minable. Genre je suis sérieux mais je continue à dire de la merde. Ca sort tout seul. Automatique. Je suis un automate.
Baguettes en main, on se fait la bise. « T’es tout chaud. » Rire. Rires. 1m83 de rage et 65kg de honte. Quelle importance ?
Cette petite domination semble lui avoir monté à la tête. En quelque sorte ; cela nous a rapprochés.
- Vous les mecs, vous ressentez quoi quand vous éjaculez ? Parce que vous il y a un truc qui sort… c’est plus… crémeux ?
- Non. Non. Rien à voir. C’est loin, c’est très loin de ce que tu es en train de t’imaginer.
- Ah ? Comment ça se passe ? Vas-y explique !
Non, j’avais mes croissants, adios.
La fois suivante, elle n’a pas lâché prise.
- Alors ça fait quelle sensation ? Vous préférez faire l’amour ou éjaculer ?
Voilà comment ça a commencé. On parlait que de cul.
- Ca dépend. Tu sais qu’un homme, quand il fait l’amour ne ressent pas grand-chose avant l’orgasme. Si on fait l’amour plus longtemps, c’est uniquement pour que l’orgasme soit plus fort. En fait, l’homme a besoin d’être… comment dire, excité ? pour atteindre l’orgasme, pour éjaculer. Après y a différente façon d’être excité, il y en a qui préfère frotter leur bite contre une paire de fesses, d’autre qui préfère la foutre dans un trou, ça dépend. Le pire c’est les mecs qui sont excités par des choses autres que les femmes. Genre ceux qui se font dessus quand ils voient une 575M, enfin une belle voiture…
- Ils sont bizarres les garçons, s’excitent toujours pour un rien.
Tellement naïve. Tellement facile à manipuler. Ca ne m’étonne pas que certains maris finissent par devenir ultra-protecteur.
Un jour, mon réveil a oublié de me réveiller. Je suis parti à 10h10 et j’ai surpris Alice en train d’attendre au carrefour où nous nous rencontrions. Je n’avais jamais fait gaffe. On va à la boulangerie par le même chemin, elle emprunte une autre direction pour rentrer. C’est si sage, les ados.
Elle attendait quelqu’un. Tant mieux. En rentrant chez moi elle était toujours là, assise sur un bloc de pierre absorbée par l’heure qui défile sur son portable. Je l’ai surprise par derrière, j’ai passé mon bras sous le sien, penché sa tête et planté mes dents sur son cou à la Dracula. Ses cheveux sentent bons. Elle rit. Elle aime bien jouer. J’aime bien la taquiner un peu quand elle a l’air trop sérieuse.
- Ton ami n'est pas venu ?
- Non... je ne sais pas ce qu'il fout encore.
On se sépare. Au revoir. Le dernier. Je ne l’ai plus revue nulle part. Disparu. Plus jamais croisée. Disons que je ne l’ai jamais vraiment cherchée non plus.
Elle s’appelait Alice, elle mesurait 1m66 et pesait 55kg. Son père est peintre. Sa couleur préféré était le vert. Elle détestait les maths. Elle a deux frères. Sa meilleure amie s’appelle Laureen.
C'est étrange, les choses viennent puis s'en vont. Vous avez l'impression que tout bouge, que tout bouge si vite. Vous avez l'impression d'être le seul élément qui reste figé. Dans le fond, tout est en mouvement, vous, les autres, tout le monde se déplace en même temps. C'est pour ça qu'il est si difficile de prévoir ce qu'il nous arrivera demain. C'est pour ça qu'il est si facile de regretter le passé.