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Lao Wang et la 8ème merveille du monde

Publié le 01 février 2009 par Hortensia

Lao Wang va, comme tous les matins, chercher de l’eau au puits. Le puits est à 3 km du petit village. Il marche d’un pas lent mais sûr. Il comptera à la prochaine lune 85 ans. Le vieux Wang n’est jamais sorti de son village, les quatre fermes. Il ne connaît rien d’autre, rien d’autre que le chant des oiseaux, que le son de la pluie fine deux fois l’an pendant un mois. Alors le soleil, ce vieil astre, bien plus vieux que le plus vieux des Wang, ne sort pas tout de suite, tout entier. Il joue à cache cache. Et c’est alors la pluie qui se met à s’insinuer, partout. Elle est fine et claire, même la nuit, elle résonne dans le fond de la vallée, au creux des montagnes Lishan et Fang. Et c’est bien comme cela. Elle apporte les pousses, elle s’incruste dans toute la terre, sur les monts, dans la vallée, et elle ramollit tout. Il n’est que plus facile par la suite de pousser la charrette, pour labourer le champ.

L’autre fois, et c’est de cette fois qu’il s’agit aujourd’hui, la pluie tombe, après la grosse chaleur qui dure trois mois. Trois mois durant. Pendant la chaleur, il n’y a que le soleil. La pluie est allée rejoindre le Dieu Hetao, alors pour qu’elle revienne, car le puits s’assèche, la famille Wang, la famille Zhongdui, la famille Wangma et la famille Fa font offrande au Dieu Hetao pour qu’il renvoie la pluie avant le grand froid qui la transforme en glace ou en neige, selon l’humeur du Dieu Gong, le plus colérique de tous les Dieux. Le village, cette fois-ci a offert au Dieu Hetao trois chèvres, deux coqs, 18 poulets. Parce que cette fois, la pluie n’est pas venue. Les Dieux sont en colère.

Le vieux Wang pense à tout cela alors que ces faibles jambes le portent au puits. Le puits est en activité depuis plus de 70 ans. Ce sont les parents Wang qui l’ont creusé. Les deux autres puits, au milieu du village se sont asséchés.

La Wang pense que c’est peut-être à cause de la famille Fa qui n’a pas fait l’offrande d’une chèvre. Mais il sait qu’ils sont bien pauvres. Il ne leur reste plus qu’une seule chèvre. Ils attendent qu’elle mette à bas. Ils ne peuvent pas faire autrement. L’autre est morte de faim dans la montagne la semaine dernière.

Lao Wang porte sur son dos les deux barriques attachées au solide pieux de bois posé sur ses épaules. Il en a l’habitude le vieux Wang ! Il fait ça depuis son mariage. Il avait alors 17 ans.

Lao Wang, pour arriver au puits, doit traverser trois champs, contourner le mont Lishan, longer les marécages qui ne sont plus que des semi-déserts aujourd’hui.

Il arrive au puits. Les deux seaux sont là. Il commence le travail, il faut aller de plus en plus profond pour trouver l’eau. Il chante pendant son travail. C’est une vieille chanson, une incantation pour le dieu Hetao.

Mon dieu Hetao,
Laisse la pluie fine
venir à notre village
les visages des femmes alors
seront doux
les poules iront pondre
et à la prochaine lune
Dame pluie te reviendra

Dieu Hetao tout le village
attend la joie de la pluie fine
Doux les visages comme la lune

Lao Wang est heureux, il chante, l’eau arrive au fond des seaux. Il remplit seau par seau les deux barriques. Le soleil brille. Il entend le vent frôler les broussailles devenues marron. Le jour est nouveau, bientôt la lune sera aussi nouvelle, elle annoncera sa vieillesse. Il est vieux, c’est le plus vieux du village.

Pendant que le bon puits lui délivre les seaux, il pense à son bon vieux père, enterré tout près. Il avait d’abord voulu creuser dans la vallée plus en amont du village. Pendant le creusement un homme était apparu de terre, fait de terre, un homme guerrier, à l’allure menaçante. C’était un soldat, envoyé par le dieu Gong certainement, pour les avertir d’un possible colère si le village avait là une autre source. Alors, le père Wang, pour conjurer le sort, avait détruit l’homme de terre. Il l’avait cassé en mille morceaux. Il était allé chercher un autre endroit, plus loin. Le village n’avait depuis, plus eu de problème d’eau.

Le jour commence à tomber. Alors qu’il remonte un seau, Lao Wang s’aperçoit que ce dernier est étrangement léger. Il active la manœuvre et remonte vite le seau.

Il est vide. Lao Wang fait redescendre un seau, il racle bien le bord cette fois-ci, sans chanter, sans rien penser d’autre qu’à l’eau dont sa famille avait besoin pour se nourrir. Et les animaux qui étaient rationnés.

Le seau arrive dans ses bras. Vide. Dans son village, le vide est un signe de malheur. Il faut toujours le conjuguer avec du plein. Yin et yang, sinon attention.

Lao Wang retourne au village, dépité, le dos courbé sous le poids de tout le vide qu’il rapporte. Les interrogations se chevauchent dans sa tête.

Le village décide de ne pas traîner. On ne veut pas penser à l’exil. Il faut creuser un autre puits et vite ! Les réserves sont à sec et les Dieux n’ont pas l’air de vouloir faire revenir la Pluie.

Lao Wang parle de son père qui avait déjà repéré un bon endroit où creuser, en amont du village. Il n’a pas le courage de parler de l’homme de terre, il ne veut effrayer personne et il faut agir vite. Il y aura certainement encore des traces des travaux du père du vieux Wang. En tout cas, le village aura moins à travailler et il est sûr que l’eau serait présente.

Il est trop tard aujourd’hui pour commencer le travail. Toutes les familles se donnent rendez-vous le lendemain à l’aube, vers 5h30 pour avoir finit le plus tôt possible. On espère que la fondation est encore là, qu’on n’aura pas à creuser tout du début.

La nuit plonge le village dans une attente subitement glaciale. Pas un bruit n’est à entendre dans la profonde nuit du village en survie.

Le lendemain, les hommes du village, suivis des femmes, se mettent en marche. Tout le monde traîne des outils des charrettes des seaux. Les enfants, joyeux de cette escapade entreprise par tout le village sautillent devant les hommes.

Le chemin n’est pas long. Les hommes et les enfants n’ont même pas besoin d’aller jusqu’à la vallée du mont Lishan. Ils ne mettent tous qu’une petite quarantaine de minutes pour se rendre à l’emplacement. Le vieux Wang reconnaît cette vallée si fertile, il reconnaît aussi l’emplacement précis. A quelques mètres de là, un bel arbre se dresse fièrement. En effet, le Vieux Père Wang, pour élever sa bonne conscience vers le dieu Gong avait eu l’idée de planter un arbre. Il pensait amadouer ainsi un éventuel caprice divin.

Arrivé à l’arbre tout le village s’arrête. Le vieux Wang s’avance, compte les pas et montre du doigt un morceau de terre. ‘’C'est ici que nous allons creuser, pour la survie de nos vies terriennes. Chantons tous la gloire de nos dieux !'’

Les hommes se mettent donc à creuser tout en chantant de vieilles chansons divines. Cela leur donne du baume au cœur. Lao Wang est confiant, il se rappelle toute cette eau que son père avait découverte à quelque mètre seulement du sol, jusqu’à qu’il tombe sur le militaire de terre, posé par les Dieux.

Qun Li Wangma, un jeune du village, un des nombreux enfants de la famille Wangma, alors qu’il est en train de creuser, s’écrit tout à coup : « Il n’y a plus de terre ! Je suis tombé sur un trou ! » Un autre jeune Wu Fa répond. Cette terre est complètement sèche, elle ne me dit rien qui vaille… Lao Wang n’est plus très alerte, peut-être s’est-il trompé. Je propose d’aller creuser à 2 km de là, plus vers la colline Lishan, je suis sûre qu’on trouvera la rivière d’outre terre, le Dieu Hetao m’a soufflé ce présage cette nuit ! »

Il part, suivi de la moitié du village. Lao Wang se dit que c’est mieux ainsi. Cela augmente les chances pour le village de trouver de l’eau. Il se met à chanter les louanges des inspirations venues du dieu Hetao, tout en souhaitant à Wu Fa bonne chance.

Mon Dieu Hetao
Fais nous trouver l’eau bénite
Mon Dieu Hetao
Merci d’inspirer Wu Fa
Nous allons la trouver
cette rivière sombre
qui fera jaillir l’eau claire !

Une partie du village était restée et tout le monde voulait en savoir plus sur cette caverne que venait de découvrir Qun Li.
Plusieurs hommes se mirent à creuser aux alentours.

Ainsi allèrent les deux grands creusements du village Lishan Lu Fang en cette année 1974 après notre ère chrétienne, quelque part en Chine centrale… L’un vers le trou béant, L’autre vers l’eau tant attendue….

Les travaux durèrent toute la journée. L’eau fut découverte par le groupe de Wu Fa, au début de l’après midi, alors que le soleil était au zénith. Le village continua de creuser afin de faire un beau puits capable de tirer de l’eau pour tout le village. En fin de journée, le village était sauvé. Les enfants, triomphants, allaient et venaient entre les deux groupes, pour annoncer les avancées progressives des deux groupes, puis finalement, annoncer les deux nouveaux puits, nommés ainsi FAWANG, des deux noms de familles des inspirés du Dieu Hetao.

De retour au village, les deux groupes s’unirent avec les femmes et tout le monde chanta un grand et long remerciement aux dieux Gong et Hetao qui avaient bien voulu sauver le village d’une sécheresse fatale.

Merci Gong
Si bon si généreux
D’avoir laissé ta colère
Dans l’entre du feu
Des divinités
Merci Hetao
Si bon si généreux
D’avoir inspiré
Le jeune Wu Fa
De nous avoir conduit
Vers la source promise

Le village était en joie. Les cultures ne seraient pas perdues, les bêtes seraient sauvées.

Le chant se termine. La plupart vont au lit. Demain est une longue journée, il faut emménager le puits, préparer le puisage, s’organiser pour l’entretien des terres.
Lao Zhongdui, l’autre vieux du village demande à Lao Wang : ‘’ Qu’allons-nous faire du premier creusement ? Tu as vu, il semble qu’il y ait un autre monde sous terre, caverneux et immense, il paraît que des salles s’enfilent les unes après les autres. Mon fils Xiadong est allé en reconnaissance. »

Lao Wang répond
‘’ Si les Dieux nous ont mis sur ce chemin de la découverte, nous nous devons de le poursuivre. Nous découvrirons peut-être une grosse surprise, des hommes enfouis, j’ai une inspiration… Poursuivons les reconnaissances demain. ‘’
Le vieux Zhongdui acquiesce. Après tout Lao Wang est la mémoire du village. Nous nous devons de l’écouter et de nous fier à ses inspirations.

Le lendemain une bonne partie du village se mit à la quête de l’inconnu d’outre terre. On découvrit quelques fragments pêle-mêle de tête de pieds, de jambes, etc., de statues funéraires en terre cuite. Tout le village et d’autres venus à la nouvelle, des alentours, furent frappés de stupeur, ne sachant pas de quoi il s’agissait, et les discussions allèrent bon train. Certains disaient, comme les vieux Wang et Zhongdui du village, que ce pouvait être une divinité en terre cuite, et que l’on avait creusé jusqu’à son temple. Des vielles femmes brûlèrent de l’encens en s’agenouillant, front contre terre, priant le dieu d’accorder protection et bonheur à toute leur maisonnée.

D’autres pensaient qu’il s’agissait du dieu des épidémies, et que si les gens vivaient dans une pauvreté extrême depuis de nombreuses années, c’était à cause de ces êtres néfastes qui incitaient les démons à semer le trouble. Pendant un moment les habitants des villages alentour furent dans un état de grande agitation. Était-ce un Dieu ? Etait-ce un démon ?

Après quelques hésitations du côté du ministère de la culture chinoise, car l’affaire était remontée jusqu’à eux, une équipe d’archéologue se mit en route et le chantier archéologique le plus grandiose au monde débuta. En deux ans, quelques 8000 statues (des bataillons composés de fantassins, de chars de cavaliers, etc.) furent découvertes, dans plusieurs fosses.

La huitième merveille du monde, intacte, venait d’être découverte, l’armée en terre cuite de Xi’an

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(derniers paragraphes d’après un extrait du livre ‘Les soldats de l’éternité’)

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