Ce 29 janvier, émergeant du métro devant l’Opéra Bastille, je me suis trouvé au milieu d’une foule extrêmement dense et il m’a fallu un quart d’heure pour parvenir à rejoindre le bas du boulevard Beaumarchais. Il fallait savoir apprécier la file la plus propice, tantôt obliquer vers la droite, parfois éviter un étal de merguez, se faufiler à gauche, éviter de piétiner un secouriste en train de prodiguer ses soins à une dame allongée à même sol, veillée par quelques personnes attentives. Mais, ce que j’ai ressenti, c’est un vrai sentiment de fraternité, la satisfaction de se découvrir si nombreux, égaux, calmes, résolus. Les moments les plus forts, c’est quand, du fait de la difficulté à cheminer dans des flots contraires, on évite de justesse une personne se dirigeant en sens inverse du sien. Alors qu’en temps normal, chacun serait prompt à se dresser sur ses ergots, à lancer à l’autre, sur un ton vindicatif, comme entre automobilistes, « et alors, tu peux pas faire attention ? », on se sourit gentiment, apaisés, heureux.
J’ai ainsi remonté une partie de la manif’ jusqu’à la place de la République. Comme la vitesse d’écoulement sur la chaussée était faible, j’ai progressé sur les trottoirs, empruntant même une fois, entre deux rues transversales, une rue parallèle au boulevard. Cela m’a permis de noter deux faits :
J’avais appris précédemment que les services de police ne comptabilisaient que les manifestants présents sur la chaussée, considérant que les personnes sur les trottoirs étaient des badauds. On peut comprendre ainsi les écarts entre les diverses estimations car je tiens à témoigner que la foule était aussi dense sur les trottoirs que sur les avenues et que l’on trouvait également des manifestants dans les rues transversales et parallèles, arborant force badges et drapeaux. Enfin, s’Il préfère des nombres truqués pour continuer à ne s’apercevoir de rien, libre à Lui.
Si , lors de manifestations précédentes les rues, transversales étaient barrées par d’imposants cordons de police, afin de maintenir le flot de la manifestation bien enclos sur le parcours prévu, cette fois-ci on ne trouvait qu’un ou deux agents placides, parfois même une gendarmette tout isolée. Visiblement, instruction avait été donnée d’éviter tout incident.
Un badge très répandu était un rectangle blanc, bordé de rouge, portant en noir les deux mots Rêve générale. J’ai trouvé cette expression très attrayante. En amputant la grève générale, dont il n’était pas question ce jeudi, de son G initial, elle la tirait vers le rêve. Mais le choc provoqué par ce mot masculin affublé d’un adjectif au féminin produisait une impression d’étrangeté, soulignant ce que, pour l’instant, ce rêve avait d’impossible.