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Michel Aglietta, La crise / par Alain Sueur

Publié le 31 janvier 2009 par Argoul

Pas plus long qu’un Que sais-je ? et beaucoup moins universitaire, ‘La crise’ offre en 10 question +1 un décorticage pédagogique de ce qui s’est passé et des hypothèses judicieuses pour en sortir, malgré le silence sur certains risques. Sa conclusion est que nous ne sommes pas sortis de l’auberge et que le pouvoir du monde est en train de basculer.

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1 – La crise est-elle un phénomène inhérent à l’économie de marché ?

« Le marché des actifs fonctionne selon des lois qui ne sont pas les mêmes que celles du marché des biens et services ordinaires, l’instabilité est intrinsèque au capitalisme financier » p.15

2 – Pourquoi n’a-t-on pas vu venir ?

Le coût du crédit très bas a incité les volumes de crédit à croître plus vite que le revenu disponible et a fait grimper les prix des actifs. L’erreur a été de modifier les normes comptables (IFRS) pour évaluer les actifs en garanties au prix du marché. « Les banquiers ne perçoivent donc pas le risque » p.19.

3 – Quelles sont les caractéristiques de cette crise ?

« Cette crise est d’une ampleur exceptionnelle dans la mesure même où le crédit a atteint des niveaux jamais égalés auparavant » p.21 Il est dû au levier de l’ingénierie financière : évaluation au prix du marché, produits dérivés dont titrisation, évaluation du risque non plus par dossier mais statistique (en ‘value at risk’ ou queue de distribution). Il est dû aussi au modèle de banque d’affaires qui consiste à vendre des crédits et à en transférer le risque à d’autres, donc à l’évaluer sans soin. « Le volume du crédit prime désormais sur la qualité des prêts » p.27. Personne n’a voulu voir le risque du système. « A commencer par les investisseurs qui auraient dû se demander pourquoi cette nouvelle classe d’actifs [les crédits titrisés] qui leur rapportait davantage que les obligations ordinaires (…) étaient aussi bien notées que ces dernières » p.31.

4 – Comment s’est-elle déclenchée ?

La crise asiatique de 1997 a changé le modèle des pays émergents, désormais excédentaires en dollars. L’entrée de la Chine à l’OMC a ouvert une ère de prix bas pour les biens à la consommation dans le monde. Or, « en soi, un contexte non inflationniste est très favorable à la prise de risques financiers parce qu’elle induit une baisse des taux d’intérêt » p.35. La crise des valeurs technologiques de 2000 a incité la Fed a poursuivre durablement une politique monétaire de relance, ce qui a permis l’envol des crédits – donc des prix – de l’immobilier américain. Le décalage croissant entre des pays excédentaires et les Etats-Unis vivant de plus en plus a crédit a entraîné un transfert massif de biens et de capitaux vers les Etats-Unis ce qui a empêché les taux longs US de remonter comme les taux courts dès 2005. « La Fed a perdu la maîtrise des taux longs » p.39. Cet afflux euphorique a fait s’effondrer les primes de risques et a poussé les prix des actifs vers la bulle. « La poursuite délibérée de l’offre de tels crédits [subprime = risqués], alors que les taux d’intérêt étaient à la hausse et que le marché immobilier donnait des signes d’essoufflement au cours de l’année 2006, était une fuite en avant des prêteurs que seule la titrisation justifiait parce les prêteurs se défaussaient du risque » p.42

5 – Est-elle mondiale ?

La crise sur les prêts immobiliers a gagné les autres prêts des ménages car l’immobilier leur servait de garantie ; la titrisation a mélangé les bons et les mauvais risques ; les banques du monde entier ont acheté des crédits titrisés notés ’sans risque’ ; même les fonds monétaires. La faillite de la banque Lehman le 15 septembre 2008 a montré le risque et chacun s’est figé, nulle banque ne voulant plus prêter à une autre. Y compris aux « banques des pays émergents qui utilisaient fortement le crédit en devises auprès des banques occidentales » p.47. Finie la théorie du ‘découplage’ entre émergents et développés. Les fonds souverains des Etats fortement excédentaires en dollars jouent un rôle crucial : si la crise des émergents est atténuée, ils vont venir investir massivement dans les entreprises occidentales ; si elle s’aggrave, le dollar sera moins demandé et les flux de financement vers les Etats-Unis s’arrêteront. De toute façon les pays émergeants sortiront renforcés de cette crise [sauf explosion sociale en Chine ou guerre ouverte entre Inde et Pakistan, mais l’auteur reste un économiste qui ne fait nulle part au risque géopolitique, ce qui est la limite de cet essai]. « Le centre de gravité de l’économie et de la finance aura tendance à se déplacer vers l’Est. Mais, à la différence cruciale de ce qui se produisit en 1929, la globalisation se poursuivra » p.57.

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6 – Quelles sont les retombées de la crise financière sur l’activité économique ?

Panne de crédit entraîne baisse de croissance, récession et désendettement. « Il faut donc s’attendre à ce que les conséquences en soient très lourdes pour l’économie et l’on peut prévoir qu’il faudra beaucoup de temps pour remettre en état les bilans et de revenir à des niveaux de dette qui permettront de relancer le crédit dans des conditions normales » p.60

7 – Comment gérer la crise ?

Restaurer le fonctionnement du marché des liquidités, resolvabiliser les banques empêtrées dans les subprime. Les Banques centrales ont baissé les taux, prêté ‘en dernier ressort’ en acceptant en garantie des créances plus douteuses, ce qui dégrade leur bilan. Les gouvernements ont apporté des capitaux publics aux banques et aux entreprises cruciales pour l’économie (assurances, automobile) sous formes d’actions préférentielles, de garanties de crédits et de rachat de créances douteuses. Ils recourent pour cela à la dette publique, mais à des conditions qui doivent être attrayantes. « Le rapport de force est désormais propice aux créanciers » p.81. [C’est un signe évident de spirale dépressive, mais l’auteur le minimise]. Cette dette publique va peser durablement sur les Etats : si l’emprunt privé ne repart pas, la croissance restera faible et les charges publiques seront élevées, faisant augmenter inévitablement les impôts à terme ; si le crédit repart, un effet d’éviction jouera sur la dette publique en faveur des emprunts d’entreprise et les titres d’Etat, malgré leur garantie, devront fournir un intérêt supérieur.

8 – A-t-elle fait progresser l’Europe ?

Les défaillances de Fortis et Dexia ont prouvé que chaque Etat ne contrôlait rien à lui tout seul. La zone euro n’a aucun pouvoir de supervision, ni aucun Budget de relance en commun. On est dans le chacun pour soi alors que la crise montre qu’on ne peut s’en sortir tout seul. [Grâce à la Présidence française durant le second semestre 2008 - qu’en aurait-il été d’une présidence tchèque ou italienne ?], BCE et Eurogroupe « ont géré la crise en étroite liaison. C’est un incontestable progrès » p. 94 La crise offre l’opportunité d’aller vers une intégration plus nette, comme dans les Etats-Unis des années 1930.

9 – Faut-il mettre en place de nouvelles régulations ?

Oui. Il faut obliger les banques à provisionner plus quand la valeur des actifs monte plus vite que le capital, donc réguler le levier. A augmenter leurs provisions en fonction de la croissance du crédit, donc réguler le volume. A exclure les échappatoires que sont les dérivés de crédit qui transfèrent le risque dans des structures non régulées comme les hedge funds, les places offshore et les marchés de gré à gré. « Cette règle n’aura de valeur et d’efficacité que si elle est internationale. Il ne sera pas aisé de l’imposer » p.102 Les agences de notation ne sont pas concurrentielles sur les crédits titrisés, juges et parties et rétribuées par ceux qu’elles ont mission de noter. Il faudrait en faire des organismes publics.

10 – Quelle gouvernance demain pour les banques ?

En finir avec le bonus asymétrique qui ne joue qu’à la gagne et que sur le court terme. Rendre les stock options neutres sur la gestion long terme de l’entreprise en soumettant leur distribution au risque et à la plus-value effective par rapport au marché. La conception actuelle des stock options « est parfaitement antiéconomique puisqu’elle privilégie les performances du marché plus que le développement économique réel de l’entreprise sur le long terme » p.112 (Warren Buffet est d’accord). Revoir la structure des pouvoirs dans les établissements financiers avec de vrais contrepouvoirs, notamment au conseil d’administration.

+1 – Quelle est la bonne réponse économique ?

« Il faut que les pouvoirs publics agissent de manière coordonnée pour que la récession ne se transforme pas en dépression » p.119. Baisser les taux, augmenter la dépense publique d’investissement, s’entendre pour cela en Europe notamment sur la recherche et l’éducation. « La leçon principale de la crise à plus long terme est la fin du modèle de croissance fondé sur la montée inexorable de l’endettement qui a été observé dans les vingt dernières années » p.124. Conjonction d’une gouvernance d’entreprise tournée exclusivement vers la création de valeur pour l’actionnaire qui a déconnecté productivité et salaires et encouragé le recours au crédit, d’une mondialisation des transferts de biens et de capitaux qui a artificiellement maintenus des taux bas, et de la montée des émergeants qui a pesé sur le prix du travail. « Il faut 3 à 4 ans pour que l’économie retrouve un rythme de croisière, et celui-ci est plus lent qu’avant la crise » p.125. Le modèle structurel de croissance en sera changé avec des rendements aux actionnaires plus raisonnables, un meilleur partage de la productivité et une croissance des émergents plus orientée vers leur marché intérieur.

Pour le prix de deux journaux du week-end, vous avez là un concentré d’information réfléchie à lire, à méditer et à consulter souvent.

Michel Aglietta, La crise – Pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? Michalon novembre 2008, 126 pages, 14€


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