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Réforme du contentieux : l’accentuation d’une justice administrative à deux vitesses

Publié le 03 février 2009 par Combatsdh

L’année 2009 sera pour la juridiction administrative une année importante de réforme, comme l’avaient été 1872, 1945, 1953, 1987 ou encore 2000.

L’année a commencé avec la publication du décret du 7 janvier 2009 qui prévoit qu’à compter d’hier (mais hier c’était un Dimanche donc sans audience collégiale) le membre de la formation qui prononce des conclusions à l’audience publique en toute indépendance et qui recevait jusqu’ici - et depuis 1849 - l’appellation de “commissaire du gouvernement” devient le “rapporteur public” (hormis - cachotterie du Conseil d’Etat - devant le tribunal des conflits puisque l’appellation est toujours prévue par un texte spécial de 1849. Enfin jusqu’à ce que la Cour de Strasbourg condamne la France en raison de son intervention….).

[on me souffle même dans l’oreillette que l’appellation a figuré pour la première fois au “recueil Lebon” (recueil des décisions du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits) dans un arrêt du Conseil d’Etat du 1er juin 1849, de Crozant, aux conclusions de M. Vuitry, p. 252 et s.].

Ainsi, ce Lundi 2 février, au cours des audiences publiques qui se sont tenues [car contrairement aux facs les juridictions administratives n’étaient pas en grève ou n’ont pas manifesté le 29 janvier], les présidents des formations de jugements des TA, CAA et du Conseil d’Etat ont invité pour la première fois le “rapporteur public” à prononcer ses conclusions.

Une fois qu’il a conclu, les parties ont pu présenter de brèves observations orales pour répondre à ces conclusions.

Mieux, à titre expérimental, un certain nombre de juridictions ou de formations de jugements ont pu, dès aujourd’hui, inverser le déroulement classique de l’audience en invitant le rapporteur public à prononcer ses conclusions juste après la lecture du rapport par le commissaire-rapporteur et les parties à présenter leurs observations orales après les conclusions.

Réforme du contentieux : l’accentuation d’une justice administrative à deux vitesses
Lire l’arrêté

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Le requérant pourra trouver le “sens des conclusions” avant l’audience publique sur Sagace, le site internet permettant aux requérants de suivre l’évolution de leur dossier contentieux (rappelons que cette idée avait été émise il y a plus d’un an par Frédéric Rolin comme le rappelle Pierre-Olivier Caille dans un récent article dans le JCP A n° 4, 19 Janvier 2009, act. 95).

Mais ce premier décret n’est que la première pierre d’une réforme bien plus importante.

Et c’est précisément l’objet de ce billet.

Des projets de loi (ou éventuellement d’ordonnances pour échapper à l’indiscipline de certains parlementaires) et de décrets vont prochainement être soumis au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA), l’instance représentative de la juridiction administrative.

Après deux ans de réflexion au sein du Palais royal dans le cadre de groupes de travail, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat aurait proposé au gouvernement les réformes du code de la justice administrative suivantes:

1. réformes procédurales:

- possibilité de dispenser de conclusions du rapporteur public par un simple décret et non plus par une loi en dérogation à l’article L.7 du code de la justice administrative. Il s’agit de concentrer l’intervention du rapporteur sur les dossiers présentant des difficultés juridiques particulières. Il n’interviendrait donc plus dans certains “contentieux de masse” dans lesquels la jurisprudence est “bien établie

On devine que derrière ces mots ce dont il s’agit c’est le contentieux qui occupe le tiers de l’activité des TA : le contentieux des étrangers (mais aussi le permis à point).

Cette réforme est annoncée depuis début 2008. Nous l’avions alors dénoncé. Nos arguments nous semblent toujours aussi pertinents (La suppression du commissaire du gouvernement dans le contentieux des OQTF : une fausse solution à l’encombrement, blog droitadministratif, avril 2008).

Une telle mise à l’index du rapporteur public dans la majeure partie des dossiers est fortement critiquée par les syndicats de magistrats administratifs qui pourraient faire pétitions et grève pour la contester (il n’est jamais trop tard pour bien faire même si la grève de la fonction publique c’était - on l’a dit - le 29 janvier).

Elle pourrait néanmoins être imposée si la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France dans l’affaire UFC Que Choisir de Côte d’Or en raison de l’absence de communication aux parties de la note du rapporteur et du projet de jugement accessibles au rapporteur public.

- généralisation du juge unique: là aussi cette mesure avait déjà été envisagée lors de l’adoption de la réforme des OQTF en juillet 2006. Suite à une grève de magistrats administratifs, les pouvoirs publics y avaient renoncée. Seraient concernés par ce passage au juge unique notamment le contentieux des OQTF mais aussi le permis à point.

- développement de nouveaux recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) : le rapport Schramek est disponible sur le site du Conseil d’Etat.

En contentieux des étrangers il avait proposé un RAPO pour certaines catégories de “plein droit”. La commission Mazeaud avait abouti aux mêmes propositions.

Pour les étrangers faisant l’objet d’un refus de séjour assorti d’une OQTF, il n’est pas acquis qu’un RAPO soit d’une quelconque utilité pour faire baisser le contentieux des étrangers devant les TA.

Certes, cela pourrait réinstaurer un espace de discussion entre l’administration et les étrangers sur la décision de séjour. Mais mieux vaudrait encore que cet espace précède la décision de refus et l’irrégularité - qui s’accompagne souvent de privation des droits sociaux et du travail et donc l’extrême-précarité.

L’étranger faisant l’objet d’un refus de séjour assorti d’une OQTF n’aura donc d’autre choix que de formuler ce RAPO - qui aura certainement un effet suspensif. A défaut de réponse de l’administration dans un certain délai, il n’aura d’autre issue que de saisir le TA d’un recours lui-aussi suspensif.

Cela ne fera donc baisser qu’à la marge le contentieux des étrangers (les 5 ou 10% de recours auxquels l’administration donnera une suite favorable). Ce taux pourrait varier suivant la composition des commissions qui se prononceront sur ces RAPO. L’enjeu est de savoir si on mettra à contribution des magistrats administratifs et judiciaires - comme dans les anciennes commissions de séjour - ainsi que des personnalités qualifiées.

Mais alors précisément il serait plus judicieux de réinstaurer ces anciennes commissions de séjour et leur avis obligatoire.

Mais est-il encore possible de soumettre à des commissions de séjour - ou même à un RAPO devant une commission - près de 45 000 décisions d’OQTF par an ?

Evidemment, non. C’est pour cela que le RAPO ne concernera que certaines catégories de refus de titre - ceux qui ne devraient pas exister car concernant des catégories ayant d’importantes attaches avec la France.

Plus fondamentallement, quel est l’intérêt pour l’administration de “produire” autant d’irréguliers alors que seuls 1 816 OQTF ont été exécutées en 2007 (soit 4,3%) et 19 000 contestées devant les TA (soit un taux de recours de 38% - record absolu de contestation de décisions de l’administration)?

Ne serait-il donc pas plus judicieux pour faire baisser réellement le contentieux des étrangers de revoir cette absurde politique de fabrique à sans-papiers et à contentieux aux enjeux humains inextricables ?

On peut en effet craindre que l’instauration d’un RAPO en contentieux des étrangers produise à peu près le même résultat que la création d’un recours préalable obligatoire auprès de la Commission de recours contre les refus de visas d’entrée en France: le néant

(d’ailleurs personne n’a sérieusement analysé le fait que le contentieux des visas a commencé à décroître avant même la mise en place de cette commission et que proportionnellement au nombre de refus de visas il est toujours resté très faible - moins d’un millier de requête pour des centaines de milliers de refus).

Un RAPO serait aussi instauré pour le permis à point.

Étude sur les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO)

26 novembre 2008
Publication de l’étude sur les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO)

Réforme du contentieux : l’accentuation d’une justice administrative à deux vitesses
Dossier de presse
Commander l’étude RAPO sur le site de la Documentation française  

- développement du recours aux magistrats honoraires: là aussi ça a déjà été testé depuis le 1er janvier 2007, en application de la loi du 24 juillet 2006 et le décret du 23 décembre 2006, en contentieux des étrangers. Le principe est de recourir à des magistrats à la retraite pour faire des permanences de contentieux des reconduites à la frontière. Il n’est pas certain que les candidats se bousculeront au portillon.

- création d’une action de groupe pour le traitement des contentieux collectif de masse (voir billet d’hier);

- accroissement des pouvoirs du rapporteur, rénovation de l’instruction (calendrier prévisionnel), restructuration des règles d’expertise.

2.  Transfert de contentieux:

- nouveaux transferts de compétence de 1er ressort du Conseil d’Etat aux tribunaux administratifs pour recentrer la compétence du Conseil d’Etat surles affaires les plus importantes;

- transfert du contentieux des visas du Conseil d’Etat au TA de Nantes : cette idée a aussi été émise depuisplus d’un an et annoncée dans des colloques. Le Conseil d’Etat était néanmoins hésitant car le TA de Nantes est déjà compétent en premier ressort pour tous le contentieux de la naturalisation. Grâce à l’(in)-action efficace de la CRèVE (commission de recours contre les refus de visas d’entrée en France), mise en place depuis 2001, le contentieux des visas ne représentent d’ailleurs plus que quelques centaines de requêtes.

- transfert du contentieux des refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile (RATATA) à la Cour nationale du droit d’asile : il s’agit du recours suspensif instauré suite à la condamnation de la France dans l’affaire Gebremedhin en avril 2007 par la loi Hortefeux de novembre 2007. L’attribution de cette compétence à la Commission des recours des réfugiés avait alors déjà été envisagée mais les associations membres de l’Anafé avaient protesté contre cette idée.

Ce contentieux avait alors été maintenu au sein de la juridiction administrative générale et transféré, avant même l’entrée en vigueur de la loi et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, du TA de Cergy-Pontoise au TA de Paris.

Il semblerait intéressant - afin d’éviter de futures condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (garanties à 100%) - de prévoir en même temps un recours suspensif contre les refus d’asile pour les demandeurs d’asile placés en procédure prioritaire (par exemple les… Géorgiens).

3° mesures statutaires et budgétaires

- pérennisation du recrutement complémentaire de conseiller de TA-CAA : comme cela a été expliqué dans un billet hier, depuis 1980, périodiquement le législateur a autorisé l’organisation de ce recrutement complémentaire. Il est aujourd’hui prévu dans le CJA jusqu’en 2015. Le législateur viendrait inscrire cette voie de recrutement dans le CJA.

- confirmation de la qualité de magistrat pour les conseillers de TA et CAA - comme cela est inscrit dans la loi depuis 1986. Mais cela ne concerne toujours pas les membres du Conseil d’Etat - classe à part….

- développement du tour extérieur “TA-CAA” pour l’intégration au Conseil d’Etat (actuellement 1/4 des postes de maîtres de requête et 1/6 des postes de conseillers d’Etat leur sont réservés voir ici ) et possibilité d’intégrer la mission d’inspection permanente ;

- création d’un guide de déontologie unique aux conseillers de TA-CAA et aux membres du Conseil d’Etat ;

- après l’ouverture du TA de Toulon en 2008, ouverture d’un TA en Seine-St-Denis à l’automne 2009 (mais où ça)

- 70 nouveaux postes de magistrats administratifs d’ici 2011 (étudiants en droit public, tentez le concours vous dis-je!)

- développement des compétences du CSTACAA.

On regrettera que rien ne semble avoir été prévu pour les assistants de justice, fonction occupée par beaucoup d’étudiants en droit et/ou chargés de TD.

Notre impression générale sur ces projets est qu’ils vont accroître le phénomène d’une justice adminisrative à deux voies:

- une voie de garage pour les contentieux “de masse” introduits par les administrés dans des situations précaires (OQTF, RSA, DALO, contentieux des APL, petits fonctionnaires, etc.) - considérés comme des requérants ne sachant pas élaborer des requêtes contieuses “comme il faut” et poser les bonnes questions de droit. Ils ne méritent donc pas le traitement de leurs litiges avec l’administration par une formation collégiale avec rapporteur public,

 - une voie autoroutière pour les “sachants” qui connaissent les règles de procédure contentieuse administrative et posent de vrais problèmes de droit méritant qu’on s’y penche et qu’on le traite à plusieurs magistrats avec le regard complémentaire - mais de plus en plus chichement accordé - d’un rapporteur public.

Est-ce vraiment cela l’avenir de la justice administrative du XXIè siècle?


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