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Ne pas croire est une croyance, 1

Publié le 21 janvier 2009 par Tudry

 Réactions à l'entretien avec Michel Onfray publié sur www.surlering.com :

« Tout vrai philosophe ne se tient jamais contre les autres;

mais avec les autres face à la vérité. »  Charles Péguy

Monsieur Onfray est, semble-t-il, comme un archétype de ce qui se fait de mieux en matière de religion de l'homme. Comment lui reprocher de ne « pas croire » ? D'aucune façon, ceci, à la limite ne nous regarde pas, à ceci près que, précisément, en tant que chrétiens nous faisons du salut de tous, même et surtout de ceux qui ne le veulent pas, un devoir de responsabilité... Toutefois, d'un point de vue très personnel, je ne crois pas en la coercition, c'est-à-dire à une conversion forcée, rien de plus faux et de plus contraire à cette métanoïa de nous exigée. Nos saints Pères dans la foi s'exercèrent à convertir par la « raison » posant la Révélation Trinitaire comme aboutissement et acmé en même temps que renversement des philosophies antérieures. Il semble que de tels arguments ne puissent plus, en nos temps d'inflation du sentiment, avoir de prise sérieuse. Le renversement et l'autonomisation de la raison éloignent également cette perspective. Aussi, notre reproche va uniquement à cette conversion forcée à la religion athéiste que M. Onfray semble appeler de ses voeux. Néanmoins, avouerons-nous également, notre joie ! Oui notre joie, directement issue de notre amour chrétien pour l'entière liberté de la personne humaine, notre joie de ce que l'Amour de Dieu aille jusqu'à laisser la liberté à l'homme de nier qu'Il est. Que l'homme se nie lui-même en affirmant cette négation, c'est là l'expression du langage, nécessairement paradoxal, de Dieu dans ce monde agissant comme réfracteur et dans lequel, en conséquence, un grand bien peut apparaître sous formes de colères ...

« Je ne crois pas à l'existence historique de Jésus ...Dès lors, l'aventure chrétienne se résume à celle d'une mythologie parmi des centaines d'autres. C'est celle sous laquelle nous vivons... Elle n'en fait pas une vérité pour autant ! »

Arguments bien connus, et souvent (trop ?) entendu. Toutefois, notons que M. Onfray choisi de dire : « je ne crois pas ... » et non « Jésus n'a pas existé », ou « nous savons qu'il n'a pas existé » ou encore « je sais que l'existence de Jésus est uniquement mythologique ». Ainsi, de lui-même le philosophe se place au plan de la croyance, croyance négatrice certes mais croyance tout de même, non du savoir ou de la connaissance. En quoi, donc, M. Onfray n'a-t-il pas confiance ? Le témoignage des livres ? Avons-nous d'autres choix pour « asseoir » nos savoirs ou nos croyances ? En dehors des livres quelles preuves ai-je de l'existence historique de Platon, de Diogène, de Pythagore, d'Epicure ? Certes, il ne nous est pas demandé de croire en ces personnes, la doctrine que leur prête l'opinion publique ou scientifique nous est largement suffisante. Platon en choisissant de parler par la bouche de Socrate ne nous demandait pas de croire en Socrate, pas plus qu'en lui-même mais en une « vision du monde », en un système d'investigation et d'affirmation. Or, précisément, il nous est demandé par le Christ, par Lui-même, à travers les mots de Ses disciples, de croire en Lui, en Une personne, pas dans une doctrine et ceci, non pour acquérir une vision juste du monde, pour vivre d'une façon meilleure et plus belle, mais pour atteindre le salut, c'est-à-dire non pas une vie meilleure et plus belle et plus « saine » dans l'au-delà mais pour recevoir dès l'ici-bas les prémices de la vie future qui est communion trinitaire. Le Christ ne nous a pas demandé de « croire en son existence historique », Il n'impose pas Il transforme, Il s'est incarné pour proposer. « Venez et voyez », Il nous invite à le rencontrer, à le re-connaître. On ne rencontre pas une idée pas plus qu'une existence historique, on rencontre une Personne, après la rencontre, l'existence historique ne s'impose pas, elle apparaît pour ce qu'elle est. La science philosophique autant que matérialiste use toujours d'euphémismes et de sophisme. En effet, le Verbe ne s'est pas fait « existence historique », Il s'est fait homme, non pas objet ou sujet d'enquêtes sociologiques ou psychanalytiques mais « chair » pour que toute chair puisse être « verbifiée », selon l'heureuse formule de saint Irénée. Il l'a fait, une fois pour toute et depuis c'est par la chaîne de la transmission (paradosis, en grec) que nous sommes témoin de Sa présence, ce qui implique, confiance, fidélité et espérance. C'est donc, dans Son absence que nous devons établir fermement l'assurance de Sa présence. Malgré, et presque contre cette « existence historique », terrible perspective inversée, c'est donc dans le silence que Dieu se révèle, c'est, paradoxalement Son apparente absence qui enseigne le mieux sur Son inaltérable présence, « Toi, qu'on ne peut comprendre qu'en se taisant. » (Arnobe)

Peut-on comprendre une personne sans la connaître ? On peut comprendre une idée que l'on ne connait pas en se la faisant expliquer clairement. Qui expliquera jamais l'authentique personne humaine ? Alors, combien moins la Personne divine qui n'est « saisissable » (mais toujours incompréhensible) que dans une sincère communion (communion qui est de nature trinitaire). « Je ne crois pas en l'existence historique de Jésus », réduction et rétrécissement rationaliste, forclusion de l'instance possible du dialogue ! Un athée déclarant « je ne crois pas en Dieu » laisse ouverte la possibilité d'un dialogue avec celui qui « croit en Dieu », un athéiste militant déclarant « Dieu n'existe pas » ferme toute éventualité d'un débat possible, il réduit celui qui lui fait face à jouer le rôle, au mieux, du naïf un peu inculte qu'il faut éduquer et éclairer, au pire de l'affreux inquisiteur rétrograde et refoulé. « Je ne crois pas en l'existence historique de Jésus », là l'adversaire cesse même d'être envisageable, il est exclu de l'histoire.

« Les religions relèvent d'une ère que je souhaiterais voir dépasser. Nous sommes assez adultes pour ne plus avoir besoin de fables, de mythes, d'histoires infantiles ( comme en proposent toutes les religions...) et pour construire nos règles du jeu non pas avec de l'illusion, mais avec de la réalité et de la vérité. Les temps de la philosophie me semblent venus... Le mieux vivre avec autrui est une affaire qui relève de la règle du jeu éthique, de la convention morale et non du commandement descendu du ciel. »

« Nous sommes assez adultes » ? Vraiment ? Regardons un peu l'état du monde après tant de siècles d'histoire et de systèmes philosophiques divers et variés, l'homme serait adulte, lui qui continue à courir après tant de vide, tant de choses qui, il le sait intimement, ne peuvent le mener nul part ? La philosophie pourrait nous indiquer la voie, nous permettre de dépasser les fables infantiles des religions ... N'est-ce pas précisément ce que le christianisme proposait originellement ? La philosophie elle aussi ne devrait-elle pas remettre en cause ses propres fables et mythologies, celle de Hegel, de Marx, de Hengels, n'ont-elles pas, elles aussi, largement démontrés leurs limites et leurs dangers ? En outre, voilà bien le souci, il s'agit de s'entendre sur ce dont nous parlons et ce n'est pas un « commandement » qui est descendu du Ciel, ni un avatara, c'est le Verbe, « le pain du Ciel », la personne du Fils. Sophismes ? Paroles creuses qui ne convaincront pas un « esprit libre » ? Certes, et en outre il existe bien des remises en cause tout aussi virulentes que celles de M. Onfray à l'égard des religions, elles semblent seulement rencontrer un moindre écho que les siennes (quoique le cas Dawkins soit également révélateur ...).

La non-croyance est une croyance, une superstition de l'ego (ce diviseur). La non-croyance est une séparation radicale. La base en est, pour la modernité contemporaine, le « cogito ergo sum » de Descartes. Poser pour fondement à la cognition la connaissance de soi pour soi c'est refuser la fidélité aux pères (la tradition) et le témoignage des autres, de l'autre, du prochain; c'est un isolement, un retranchement. C'est, proprement, le refus de la communion (d'essence trinitaire) comme mode d'existence du monde, réitération de la chute, volonté de connaissance unilatérale de moi par moi en moi, l'ego comme seule mesure de l'existence authentique et de sa vérité. Scepticisme jaloux, bilieux et envieux qui ne tarde pas a devenir gnosticisme égoïste, jouisseur et utilitariste. Fidélité et confiance sont ruinées, alors, oui il ne reste plus que la possibilité du « contrat », d'un acte légal et juridique qui exclut la communauté naturelle, aussi bien que l'amour fraternel gratuit en vue d'un bien et d'une fin commune, pour faire place aux intérêts fluctuants et aux nécessités contraignantes. Sur quel « vivre mieux ensemble » peut bien déboucher cette philosophie ?

« Si rater un aspect libérateur de la spiritualité passe par la pratique de l'illusion la plus ancestrale, l'autopunition pratiquée au quotidien, l'autocastration érigée en obsession existentielle, la pratique de l'idéal ascétique, le sacrifice de l'idéal misogyne, la mort à petit feu chaque jour pour, prétendument, mieux mourir le jour où il faudra vraiment passer l'arme à gauche, alors je veux bien passer pour quelqu'un de réducteur... Mais conservez présent à l'esprit l'idée qu'on reproche souvent aux autres ce que l'on n'a pas envie de se reprocher à soi. »

La plus grande misère c'est d'ignorer ce dont on parle ! C'est bien en effet une réduction, une vue pauvre et diminuée que de résumer ainsi le christianisme, puisque c'est bien de lui qu'il s'agit, quoiqu'en dise le Philosophe. Tenant compte de la dernière remarque du Philosophe il nous apparaît encore plus clairement que la définition de la vie spirituelle par ce dernier, ne ressort pas d'une stricte analyse « réaliste et véridique » mais révèle bel et bien, au contraire, la religion phantasmée par lui. Reproche-t-il à la religion, le Philosophe, ce qu'il craindrait de se reprocher à lui-même ?

Le Philosophe souhaite faire du « passé table rase », dépasser l'illusoire religieux qu'il ne veut voir que comme tel; l'élan créateur, la transcendance de l'esprit vers ce qu'il reconnaît pour supérieur, les réalisations somptueuses, l'art, la grâce pacificatrice du chant, la force des hymnes, des poèmes, tout ce concret, ce réel, ce palpable fait sous le souffle de l'Esprit ... tout cela il faut le balayer vite fait, bien fait. De toute façon, le profane ou l'athée peuvent faire aussi bien. Le Beau, le Bon, le Vrai ne dépendent que de l'homme, d'un contrat éthique, d'une convention morale. Bien ! Alors finissons en aussi et balayons ce qui demeure encore bien ancré de marxisme (dont les chants et les oeuvres belles sont aussi peu nombreux qu'incertains), de positivisme (dont Comte voulut qu'il fusse une religion sans Dieu) ... Que chacun fonde son éthique avec ce qu'il pourra sauver du nettoyage éthique du Philosophe, mais que restera-t-il ?

En définitive, comme depuis si longtemps, le libre-penseur ne remet pas tant en cause « l'existence » du Christ, de Dieu, de la religion, que l'existence concrète du mal dans l'homme et le monde. C'est cette existence-là qui, précisément, est incompatible avec ses théories. Si il veut expatrier Dieu il doit avant tout expatrier l'idée du mal et du péché. C'est ce que Berdiaev reprochait déjà en 1918 à tous les révolutionnaires de son temps, et de tout temps. Mais, il nous faut toujours garder en mémoire toute les possibilités de retournement qui existent ou peuvent exister. Il nous faut aussi garder toute humilité et accepter le « scandale », accepter toute les voies de Dieu, les voies choisies par Lui, pour Lui. Devant la colère, la haine, les injures, le « blasphème » gardons en mémoire cette admirable sentence énoncé au nom du Seigneur par Maître Eckhart :

« PLUS ILS BLASPHEMENT ET PLUS ILS ME LOUENT. »


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