1
Je suis assigné aujourd'hui au démarchage des mauvais payeurs. Sur mon écran défile une liste remplie de noms, contacts, numéros de commande, téléphone, modes de paiement, livraisons choisies, produits commandés, etc. Ma mission, que je l'accepte ou non, me scotcher le tympan à l'oreillette du téléphone et laisser défiler les numéros. Prendre contact avec les clients. Culpabiliser les voix qui traverseront la ligne.
2
Les voix sonnent honteuses depuis l'autre côté du combiné, des oui c'est vrai on avait commandé mais, des on a essayé de vous appeler, je vous jure, mais on n'a pas, des oui, j'ai trouvé quelque chose en grande surface finalement, mais vos produits avaient l'air. Moi ça m'est égal, bien sûr. Je traque simplement l'information d'annulation ou de sauvegarde de la commande en question. Leur baratin m'indiffère. J'aimerais les couper dans leurs explications, leur dire que j'ai encore des dizaines de numéros sur ma liste et que la lumière décline, les minutes se recouvrent les unes les autres en bas à droite de l'écran. Mais non. Restons polis. Ah oui, ah bon, mais tout à fait, je comprends, bien entendu, en guise de refrain permanent.
3
Une dame (son nom n'en est pas un, c'est le numéro de la ligne que je scrute, numéro vingt-sept, colonne B) m'explique qu'elle n'a pas pu finaliser sa commande parce qu'elle s'est fait hospitaliser en urgences entre temps, vous comprenez. Je lui réponds que bien sûr nous comprenons, c'est affreux, mais l'argent, nous, il nous faut l'argent.
4
Une autre m'explique qu'il n'est pas question qu'elle paie d'avance la totalité du règlement. Je lui réponds qu'elle n'a malheureusement pas le choix. C'est honteux, elle dit. C'est comme ça.
5
Mon dernier numéro composé, montre en main, aiguilles en tête, à 16h25, soit cinq minutes avant mon départ précipité pour attraper le train derrière. L'homme me décline son nom, son identité, son grade. M'explique en y mettant les formes et la langue le projet qu'il compte développer. Je le coupe, plusieurs, fois, je lui dis oui j'ai bien compris mais et ça ne change rien. Sa mâchoire bat, sa gorge traine, il me gardera en ligne vingt-cinq minutes. Au terme de la conversation, il ne me paiera rien. Il me promet de me rappeler rapidement, de me rappeler personnellement, clin d'œil dans la voix, vous devez bien marcher à la commission ? me dit-il. Même pas ; moi, ici, je ne marche à rien.