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Questions (et réponses) actuelles

Publié le 06 février 2009 par Collectifnrv
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J’ai mis à contribution deux personnalités , fort différentes, qui sur des thèmes à première vue assez divergents, on répondu « actuellement » à des questions « inactuelles ».  

Danièle Sallenave ( réponse à une question du monde sur les "quelques jours dans un collège et vous pensez avoir pris la mesure des questions à résoudre" ?):

Surtout, je n'aurais pas vu le travail admirable de certains professeurs, parmi les plus jeunes. Leur métier est aujourd'hui le dernier des métiers parce que les enseignants ne sont pas soutenus. On leur en veut d'être porteurs d'une idée qui dérange : que gagner beaucoup d'argent, dominer l'autre, lui marcher sur le ventre pour "arriver", s'abrutir de football et de jeux télévisés, cela ne peut pas être le but d'une vie, et lui donner son sens.  
Alain Badiou ( fin de la réponse à une question de Libé (Jo Frein) sur le « bilan désastreux »du communisme) 
Il s'agissait d'inventer et de déployer une réalité collective qui ne soit pas fondée sur la propriété privée. Il est clair que les moyens adoptés ont été désastreux. Doit-on pour autant renoncer au projet lui- même?Au contraire! Nous devons impérativement maintenir l'idée d'une société dont le moteur ne soit pas la propriété privée, l'égoïsme et la rapacité. On fait mine aujourd'hui de découvrir que les dirigeants des banques et leurs principaux clients sont des obsédés du gain. Mais le profit comme moteur de la vie sociale, c'est précisément ce dont le projet communiste veut débarrasser l'humanité.

Question du Monde : Vous êtes très dure envers ce que vous appelez "les délires démagogiques des années 1970" ou encore "le tsunami pédagogiste".  
Danièle Sallenave :   
Il y a ici une étrange convergence entre la gauche et la droite. Pour une droite tentée par le poujadisme, les livres sont suspects. On parle bien de supprimer les épreuves de culture générale aux concours de la fonction publique. Pour être postier, il serait inutile d'avoir lu La Princesse de Clèves. Ou peut-être d'avoir lu, tout simplement.... De l'autre côté, on continue d'affirmer à gauche que transmettre la langue, les textes, c'est transmettre des valeurs bourgeoises. C'est un des effets peut-être pervers du livre de Pierre Bourdieu De la distinction. On en a uniquement gardé l'idée que distinguer entre les "grands textes" et les autres, ce serait une manière pour la classe dominante de se reconnaître et de perpétuer sa domination.   
Libé ( Jo Frein ) : Reprochez-vous à la gauche de préférer la réforme à la révolution?  
On ne vit plus dans cette opposition. «Révolution» est aujourd'hui un concept vide et même le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ne prépare pas la révolution
**. Pour établir une comparaison historique, je dirais que nous sommes dans une situation comparable à celle des années 1840. La Restauration a eu lieu, le capitalisme s'est installé dans toute son extension, l'idée de révolution paraît définitivement enterrée-on raconte alors sur Robespierre et Saint-Just ce qu'on dit aujourd'hui sur Mao et Lénine. Quand aux républicains, qui incarnent alors la gauche, ils sont, comme nos socialistes d'ajourd'hui, absorbés par le jeu parlementaire, et on verra en 1848 comment ils vont se faire voler leur apparente victoire par Napoléàn III.   
Or, ce qui s'est passé d'important à l'époque, c'est une reconstruction intellectuelle, nourrie par des expériences politiques ouvrières isolées: les communismes utopiques, le Manifeste de Marx, etc.  
Mais cette effervescence passe d'abord, comme il est normal, inaperçue.  

Libé ( Jo Frein ) : Le PS et l'UMP, est-ce la même chose pour vous?   
Alain Badiou :  
Dans la longue durée, oui
*. La complicité du Parti socialiste et de la droite se scelle dès les années 80. La dérégulation financière, la promotion de Tapie et du carriérisme individuel, les limitations du regroupement familial, les camps de rétention, c’est la gauche qui les a faits. C'est Mauroy et Defferre qui ont stigmatisé les grévistes de Flins comme des islamistes, c'est avec les socialistes qu'on a remplacé le mot «ouvrier» par le mot «immigré» ou «clandestin». Le Parti socialiste a été chargé au long cours de la pédagogie pro-capitaliste en direction des classes moyennes et populaires et de sa conséquence immédiate: durcissement de la répression policière dans les banlieues. Néanmoins, il existe maintenant, au sein même de la gauche réformiste, une frange violemment hostile à Sarkozy. Le décalage entre la mollesse du jeu parlementaire et cette animosité qui n'a pas encore trouvé sa forme définit la gauche actuelle.   
Alain Badiou (réponse à une question de Libé sur « L'hypothèse communiste »
***)  
L'hypothèse communiste est une tentative pour investir le présent d'un autre biais que celui de sa nécessité. La démocratie de nos jours. consiste à dire qu'il n'y a pas d'autre norme possible que le gain. Tel est l'objet du consensus implicite entre la droite et la gauche; telle est aussi ce que la crise financière dévoile au grand jour, avec les sommes colossales qui sont en jeu. Les bonus des dirigeants d'entreprises, etc. On peut subir un tel système, on peut penser qu'il est le seul possible, mais peut-on, philosophiquement, le vouloir, ou le désirer?   
Conclusion provisoire ( de l’auteur du billet):  
Face à   
« une idée qui dérange : que gagner beaucoup d'argent, dominer l'autre, lui marcher sur le ventre pour "arriver", s'abrutir de football et de jeux télévisés, cela ne peut pas être le but d'une vie, et lui donner son sens »,  
et  
« le profit comme moteur de la vie sociale »  
peut-on  
« subir un tel système »,   
peut-on raisonnablement, sérieusement uniquement   
« penser qu'il est le seul possible » ,  
et surtout   
« peut-on, philosophiquement, le vouloir, ou le désirer? ».

C’est à ces questions, qui me semblent claires, que je vous invite, chers NRV, à répondre ce jour , et à mesurer comment les réponses qu’on peut y apporter ( au delà des ébauches ci-dessus) clarifient remarquablement le « débat » politique actuel, et déterminent la réponse à une autre question, devenue lancinante ces derniers temps : « qu’est-ce que la gauche, qui est à gauche , qu’est qu’une politique de gauche aujourd’hui » ?  
Quant à la question « subsidiaire » : « Que faire », nous y répondrons (ensemble) dès lors que ce premier point sera élucidé, car comme vous l’aurez compris : clarifier l’une c’est se donner les moyens de répondre à l’autre.  
Remerciements à Danièle Sallenave et Alain Badiou pour leur contribution au débat, qui n’est évidemment pas « comment sortir de la crise » ou « comment moraliser le capitalisme » mais « comment la politique, une autre politique est possible, avec pour objectif de changer la vie »

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Couâââ ?

* On pourrait ajouter « dans la longue durée, et spécialement en cet instant »  
** Début de controverse : réaction dès le lendemain de Bensaïd, à propos du NPA, de « la révolution » et surtout de « la forme parti » condamnée par ailleurs par Badiou, dans la suite logique de sa position de boycott de la « démocratie électorale (représentative) ».  
*** « L’hypothèse communiste » est le titre annoncé de « circonstances 5 » à paraître fin mars .


Urbain


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